Vu la procédure suivante :
Par un arrêt du 4 décembre 2020, la cour d'appel de Bordeaux a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Bordeaux de la question de la légalité de tout ou partie de l'article 38 de la convention d'affermage du 21 décembre 1979 par laquelle la commune de Saint-Yrieix-La-Perche a confié l'exploitation de son marché aux bestiaux à MM. D... B..., C... B... et E... A....
Par un jugement n° 2100457 du 13 février 2024, le tribunal administratif de Limoges, à qui la résolution de cette question préjudicielle a été attribuée par une ordonnance rendue le 9 mars 2021 par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, a déclaré illégales dans leur ensemble les stipulations de l'article 38 de la convention d'affermage.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 février, 26 mars et 22 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Yrieix-La-Perche demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de déclarer légales dans leur ensemble les stipulations de l'article 38 de la convention d'affermage du 21 décembre 1979 ;
3°) de mettre à la charge de MM. B... et A... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'article 136 du décret du 17 mai 1809 relatif aux octrois municipaux et de bienfaisance ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bertrand, avocat de la commune de Saint-Yrieix-la Perche et à la SCP Bénabent, avocat de MM. B..., et de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt du 4 décembre 2020, la cour d'appel de Bordeaux, saisie d'un litige opposant la commune de Saint-Yrieix-la-Perche à MM. B... et A..., relatif à l'exécution d'une convention d'affermage conclue le 21 décembre 1979 et portant sur l'exploitation du marché aux bestiaux de la commune, a sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se prononce sur la question préjudicielle relative à la légalité de tout ou partie de l'article 38 de cette convention. Par un jugement rendu le 13 février 2024, contre lequel la commune de Saint-Yrieix-la-Perche se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Limoges a déclaré illégales dans leur ensemble les stipulations de l'article 38 de la convention.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".
3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions citées au point précédent, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
4. Il ressort des pièces du dossier de la procédure, et notamment du relevé de l'application " Sagace ", que le sens des conclusions de la rapporteure publique devant le tribunal administratif de Limoges a été mis en ligne le 16 janvier 2024 à 8 heures, soit quarante-huit heures avant l'audience, qui s'est tenue le 18 janvier 2024. Dans ces conditions, la commune de Saint-Yrieix-la-Perche n'est pas fondée à soutenir que le jugement aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière.
Sur la question préjudicielle :
5. L'article 38 de la convention d'affermage du 21 décembre 1979, dont l'appréciation de la légalité est l'objet du renvoi préjudiciel sur lequel s'est prononcé le tribunal administratif, stipule que : " Toute contestation survenant entre les deux parties au sujet de l'exécution de la présente convention est obligatoirement réglée selon la procédure ci-après : / Chacune des parties soumet d'abord sa contestation à l'autre par écrit en lui fixant un délai de réponse de quinze jours. / Si aucun accord n'est intervenu, la contestation est soumise, soit à un expert unique choisi d'un commun accord entre les parties, soit à deux experts, chaque partie en désignant un. En cas de désaccord, la contestation est soumise à un tiers expert désigné par le président du tribunal administratif. / Si le conflit subsiste, il est porté devant le tribunal administratif de Limoges ".
6. Or l'article 136 du décret du 17 mai 1809 relatif aux octrois municipaux et de bienfaisance, applicable aux droits de place perçus dans les halles et marchés, attribue spécialement compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur toutes les contestations qui pourraient s'élever entre les communes et les fermiers de ces taxes indirectes, sauf renvoi préjudiciel à la juridiction administrative sur le sens et la légalité des clauses contestées des baux.
7. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a jugé que les stipulations du dernier alinéa de l'article 38 de la convention d'affermage prévoyant la saisine du juge administratif pour le règlement des litiges subsistant entre les parties étaient illégales comme contraires aux dispositions du décret du 17 mai 1809, mentionnées au point précédent, donnant compétence aux juridictions de l'ordre judiciaire. Il en a déduit que les stipulations du troisième alinéa de cet article prévoyant l'obligation pour les parties de saisir le président du tribunal administratif d'une demande tendant à la désignation d'un " expert " étaient illégales dans la mesure où elles conduisaient à l'engagement, par le juge administratif, d'une mission de conciliation en-dehors des domaines de compétence de la juridiction administrative. Il a enfin considéré que, compte tenu de leur lien indivisible avec le troisième alinéa, les stipulations des deux premiers alinéas de l'article 38 organisant les premières étapes de la procédure amiable entre les parties devaient également être déclarées illégales.
8. Devant le Conseil d'Etat, juge de cassation, le jugement attaqué n'est pas contesté en tant qu'il a jugé illégales les stipulations du dernier alinéa de l'article 38.
9. S'agissant de l'appréciation portée par le tribunal administratif sur la légalité des autres stipulations de cet article 38, la compétence, confiée par les dispositions figurant désormais à l'article L. 213-5 du code de justice administrative, aux présidents de tribunaux et de cours administratives d'appel pour organiser des missions de médiation et désigner les personnes chargées d'une telle mission ne saurait s'exercer hors des domaines de compétence de leur juridiction. Dès lors, en jugeant illégales les stipulations de l'article 38 de la convention en tant qu'elles prévoient qu'en cas d'échec de la procédure amiable de règlement des différends survenus entre les parties, la contestation est soumise à un tiers désigné par le président du tribunal administratif, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 6 que ces litiges relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit.
10. En jugeant ensuite, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les stipulations des deux premiers alinéas de l'article 38 prévoyant, lors de la survenance d'une contestation entre les parties au sujet de l'exécution de la convention, un échange écrit entre celles-ci puis, en cas d'échec, la désignation par chacune d'entre elles d'un " expert " ou d'un " expert " commun, ne sont pas divisibles des autres stipulations de l'article 38, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit.
11. Enfin, il n'appartient pas au juge administratif, saisi à titre préjudiciel par le juge judiciaire de la légalité de stipulations d'un contrat, de se prononcer sur les effets de la déclaration d'illégalité qu'il prononce. La commune de Saint-Yrieix-la-Perche n'est, dès lors et en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en jugeant que l'exigence de loyauté des relations contractuelles ne faisait pas obstacle à la déclaration d'illégalité de l'article 38 de la convention et en s'abstenant de moduler dans le temps les effets de la déclaration d'illégalité de ces stipulations.
12. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Yrieix-la-Perche n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par MM. B... et A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge de ceux-ci, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Saint-Yrieix-la-Perche est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de MM. B... et A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Yrieix-La-Perche et à M. C... B..., premier défendeur dénommé.