La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/09/2024 | FRANCE | N°490697

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 27 septembre 2024, 490697


Vu la procédure suivante :



La société ETPO a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'enjoindre avant dire droit à la région Guadeloupe de lui communiquer sans délai les détails des notes attribuées, les explications littérales accompagnant ces notes et les caractéristiques et avantages de la proposition retenue et d'annuler la procédure engagée par la région Guadeloupe pour la passation d'un marché public portant sur le lot n° 2 de

s travaux relatifs à la " Route nationale 2 - Déviation de la Boucan au droit ...

Vu la procédure suivante :

La société ETPO a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'enjoindre avant dire droit à la région Guadeloupe de lui communiquer sans délai les détails des notes attribuées, les explications littérales accompagnant ces notes et les caractéristiques et avantages de la proposition retenue et d'annuler la procédure engagée par la région Guadeloupe pour la passation d'un marché public portant sur le lot n° 2 des travaux relatifs à la " Route nationale 2 - Déviation de la Boucan au droit de la Boucan - Terrassement, ouvrage d'art et ouvrages hydrauliques " ainsi que la décision du 14 novembre 2023 par laquelle la région Guadeloupe a rejeté son offre.

Par une ordonnance n° 2301443 du 21 décembre 2023, ce juge a annulé cette procédure.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 et 22 janvier et 5 et 22 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Guadeloupe demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société ETPO ;

3°) de mettre à la charge de la société ETPO la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la région Guadeloupe, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de la société ETPO et à la SCP Gury et Maître, avocat de la société GTA ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / (...) / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe que la société ETPO a demandé à ce juge, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure engagée par la région Guadeloupe pour la passation d'un marché public portant sur le lot n° 2 des travaux relatifs à la " Route nationale 2 - déviation de la Boucan au droit de la Boucan - Terrassement, ouvrage d'art et ouvrages hydrauliques ", dont le groupement constitué des sociétés GTA, Sotradom, Baudin Chateauneuf, Freyssinet et Balineau a été déclaré attributaire par la commission d'appel d'offres lors de sa séance du 12 août 2022. L'offre du groupement dont la société ETPO était mandataire a été rejetée par une décision du 14 novembre 2023, après que la procédure de passation du lot n° 1 du même marché public de travaux a été déclarée sans suite par le pouvoir adjudicateur en décembre 2022 puis relancée, après scission de ce lot n° 1 en deux nouveaux lots, le 14 juin 2023. Par une ordonnance du 21 décembre 2023, contre laquelle la région Guadeloupe se pourvoit en cassation, le juge des référés a annulé la procédure de passation du lot n° 2.

3. Aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". En vertu de l'article R. 2181-3 de ce code, cette notification " mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Enfin, aux termes de l'article R. 2181-4 du même code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / 1° Lorsque les négociations ou le dialogue ne sont pas encore achevés, les informations relatives au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue ; / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

4. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précédemment cités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

5. Il ne résulte ni des dispositions citées au point 3, ni de la finalité de la communication des motifs de rejet de l'offre rappelée au point 4, que le délai écoulé entre la décision d'attribution du marché et l'information d'un candidat évincé du rejet de son offre serait susceptible, à lui seul, de constituer un manquement de l'acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence. Par suite, en jugeant que la région Guadeloupe avait commis un manquement en ne communiquant au concurrent évincé sa décision concernant l'attributaire du lot n° 2 que quinze mois après la réunion de la commission d'appel d'offres, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a commis une erreur de droit. La région Guadeloupe est, dès lors et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le choix du groupement attributaire a été arrêté par la commission d'appel d'offres le 12 août 2022, soit avant que le délai de validité des offres n'expire le 24 septembre suivant. Par suite, le moyen tiré de l'attribution du marché au-delà de ce délai ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la région Guadeloupe aurait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en poursuivant la procédure d'attribution du lot n° 2 malgré le lancement d'une nouvelle procédure d'attribution du lot n°1 après l'abandon de la précédente dans les conditions rappelées au point 2, ni que l'analyse des offres des candidats à l'attribution du lot n° 2 aurait été affectée par le décalage du commencement effectif des travaux qui en résulterait.

9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la société ETPO a eu communication des motifs du rejet de son offre par la décision du 14 novembre 2023, mentionnée au point 2, complétée par les éléments communiqués par la région Guadeloupe à l'appui de son mémoire en défense produit devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, ce qui l'a d'ailleurs conduite à abandonner expressément son moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 citées au point 3 et à renoncer à sa demande d'injonction avant dire droit. Dès lors que la société ETPO a été mise à même, dans les circonstances de l'espèce, de contester utilement l'éviction du groupement auquel elle appartient dans un délai suffisant avant la date à laquelle le juge des référés statue, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 2181-1 et R. 2181-1 mentionnées au point 3, qui ne peut, à lui seul, ainsi qu'il a été dit au point 5, constituer un manquement de l'acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence, doit, par suite, être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 2151-1 du code de la commande publique : " L'acheteur fixe les délais de réception des offres en tenant compte de la complexité du marché et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur offre ". Aux termes de l'article R. 2151-4 du même code : " Le délai de réception des offres est prolongé dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'un complément d'informations, nécessaire à l'élaboration de l'offre, demandé en temps utile par l'opérateur économique, n'est pas fourni dans les délais prévus à l'article R. 2132-6 ; / 2° Lorsque des modifications importantes sont apportées aux documents de la consultation. / La durée de la prolongation est proportionnée à l'importance des informations demandées ou des modifications apportées ".

11. Une personne publique ne peut apporter de modifications au dossier de consultation remis aux candidats à un appel d'offres que dans des conditions garantissant l'égalité des candidats et leur permettant de disposer d'un délai suffisant, avant la date limite fixée pour la réception des offres, pour prendre connaissance de ces modifications et adapter leur offre en conséquence.

12. Il résulte de l'instruction que les modifications apportées par la région Guadeloupe au dossier de consultation remis aux candidats, qui ne revêtaient pas un caractère substantiel, ont été accompagnées de plusieurs reports de la date de remise des offres, proportionnés à l'importance de ces modifications, permettant aux candidats de disposer d'un délai suffisant, avant la date limite fixée pour la réception des offres, pour prendre connaissance de ces modifications et adapter leur offre en conséquence. Par suite, la société ETPO n'est pas fondée à soutenir que la procédure de passation aurait dû être reprise depuis son commencement, ni que la région Guadeloupe aurait commis un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence en modifiant les documents de la consultation.

13. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ". Aux termes de l'article R. 2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de décrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure ".

14. Contrairement à ce qu'allègue la société ETPO, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas des modifications apportées par la région Guadeloupe aux documents de la consultation, notamment quant au délai maximal d'exécution des travaux du lot n° 2, qu'elle n'aurait pas déterminé avec suffisamment de précision la nature et l'étendue des besoins à satisfaire en méconnaissance des dispositions citées au point précédent.

15. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société ETPO devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe doit être rejetée.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la région Guadeloupe qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société ETPO la somme de 4 500 euros à verser à la région Guadeloupe, au titre des mêmes dispositions, pour l'ensemble de la procédure.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 21 décembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulée.

Article 2 : La demande de la société ETPO présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La société ETPO versera à la région Guadeloupe une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Guadeloupe et à la société ETPO.

Copie en sera adressée à la société GTA.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 490697
Date de la décision : 27/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-08-015-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. - PROCÉDURES D'URGENCE. - CIRCONSTANCE CONSTITUANT UN MANQUEMENT AUX OBLIGATIONS DE PUBLICITÉ ET DE MISE EN CONCURRENCE – DÉLAI ÉCOULÉ ENTRE LA DÉCISION D’ATTRIBUTION DU MARCHÉ ET L’INFORMATION DU CANDIDAT ÉVINCÉ DES MOTIFS DU REJET DE SON OFFRE [RJ1] – ABSENCE – ILLUSTRATION.

39-08-015-01 Il ne résulte ni des articles L. 2181-1 et R. 2181-1 et suivants du code de la commande publique (CCP), ni de la finalité de la communication des motifs de rejet de l’offre, que le délai écoulé entre la décision d’attribution du marché et l’information d’un candidat évincé du rejet de son offre serait susceptible, à lui seul, de constituer un manquement de l’acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence....Ne commet pas de manquement une collectivité qui a communiqué au concurrent évincé les motifs de rejet de son offre quinze mois après la réunion de la commission d’appel d’offres.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 sep. 2024, n° 490697
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Cassara
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON ; SCP GURY & MAITRE ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490697.20240927
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award