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21/08/2024 | FRANCE | N°496704

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 août 2024, 496704


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution, d'une part, de l'arrêté d'expulsion du 15 novembre 2019 pris à son encontre et, d'autre part, de la décision du 5 juillet 2024 le plaçant en rétention administrative. Par une ordonnance n° 2402122 du 18 juillet 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, enjoint à la préfète de l'Aube de ne pas poursuivre l'exé

cution de l'arrêté du 15 novembre 2019 portant expulsion de M. B... du te...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution, d'une part, de l'arrêté d'expulsion du 15 novembre 2019 pris à son encontre et, d'autre part, de la décision du 5 juillet 2024 le plaçant en rétention administrative. Par une ordonnance n° 2402122 du 18 juillet 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, enjoint à la préfète de l'Aube de ne pas poursuivre l'exécution de l'arrêté du 15 novembre 2019 portant expulsion de M. B... du territoire français et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête, enregistrée le 5 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 18 juillet 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy en tant qu'elle enjoint à la préfète de l'Aube de ne pas poursuivre l'exécution de l'arrêté du 15 novembre 2019 portant expulsion de M. B... du territoire français ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que :

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a considéré que le placement de M. B... en rétention administrative constituait un refus implicite d'abroger l'arrêté d'expulsion du 15 novembre 2019 dès lors que, d'une part, M. B... sollicitait la suspension de l'exécution de l'arrêté et non celle du refus implicite de l'abroger et, d'autre part, les dispositions de l'article L. 632-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'imposaient pas à l'administration de réexaminer sa situation ;

- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de mener une vie privée et familiale de M. B... dès lors que, d'une part, il représente une menace grave pour l'ordre public eu égard à ses nombreuses condamnations pénales, justifiant la poursuite de l'exécution de la mesure d'expulsion et, d'autre part, sa cellule familiale ne s'est constituée que postérieurement à l'édiction de l'arrêté d'expulsion ;

- il n'est pas porté atteinte au droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants de M. B... dès lors que l'arrêté d'expulsion constitue une décision distincte de celle portant fixation du pays de renvoi et n'a, par lui-même, ni pour objet, ni pour effet de renvoyer M. B... au Rwanda ou dans un autre pays vers lequel il serait admissible ;

- en tout état de cause, dès lors que les autorités françaises ont préalablement apprécié la réalité et l'actualité du risque qu'il allègue encourir en cas de renvoi au Rwanda, et qu'il a informé la préfecture en mars 2020 de son accord pour être expulsé vers cet Etat, il n'est pas démontré que la fixation du pays de destination méconnaît son droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2024, M. B... conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et, d'autre part, M. B... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 12 août 2024, à 11 heures :

- Me Gallo, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. B... ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. M. B..., ressortissant rwandais né le 12 avril 1987, a obtenu le 10 novembre 2005 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le statut de réfugié puis se l'est vu retirer, sur le fondement de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et droit d'asile (CESEDA), au motif qu'il représentait une menace grave pour la société française, par une décision de l'Office du 20 juillet 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 4 février 2020. Par deux arrêtés des 15 novembre 2019 et 29 janvier 2020 devenus définitifs, le préfet de l'Aube a décidé respectivement de l'expulsion de M. B... et de sa reconduite à destination du Rwanda ou de tout autre pays où il serait légalement admissible. A partir du mois de février 2020, il a été assigné à résidence. Par une décision du 5 juillet 2024, la préfète de l'Aube, constatant qu'il ne respectait plus ses obligations découlant de son assignation à résidence, l'a placé en rétention, placement prolongé par le juge des libertés et de la détention. M. B... a saisi, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy afin qu'il enjoigne à la préfète de l'Aube " de cesser l'exécution de l'arrêté d'expulsion du 15 novembre 2019 prise à son encontre " et " de suspendre l'exécution de la décision du 5 juillet 2024 " décidant son placement en rétention. Par une ordonnance du 18 juillet 2024, le juge des référés a d'une part rejeté ces dernières conclusions comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, d'autre part " enjoint à la préfète de l'Aube de ne pas poursuivre l'exécution de l'arrêté du 15 novembre portant expulsion de M. B... du territoire français ". Le ministre de l'intérieur et des outre-mer interjette appel de cette ordonnance en tant qu'elle a prononcé cette injonction.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction d'une part que M. B... a fait l'objet, depuis qu'il est âgé de 17 ans, de sept condamnations pénales pour des faits de vols et de violence, dont une à une peine de réclusion criminelle de dix ans. S'il soutient n'avoir plus été condamné depuis 2016, il n'est sorti de prison qu'en 2020. D'autre part, M. B... a cessé au moins depuis 2023 de respecter les obligations assortissant son assignation à résidence. Alors même que M. B... est père de deux enfants nés respectivement en juillet 2021 et en février 2023, l'exécution de la mesure d'expulsion le concernant par son éloignement du territoire français, eu égard à la gravité des faits pour lesquels il a été pénalement condamné, à leur caractère répété et à la violation de ses obligations d'assignation à résidence, ne porte pas à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a, par l'ordonnance attaquée, estimé que la poursuite de l'exécution de l'arrêté d'expulsion du 15 novembre 2019, susceptible de se traduire par son éloignement du territoire français, portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de M. B... de mener une vie privée et familiale.

4. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 511-7 du CESEDA : " Le statut de réfugié est refusé ou il y est mis fin dans les situations suivantes : (...) /

2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d'Etat, des Etats dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou une apologie publique d'un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française. " La perte du statut de réfugié résultant de l'application de ces dispositions ne saurait avoir une incidence sur la qualité de réfugié, que l'intéressé est réputé avoir conservée dans l'hypothèse où l'OFPRA et, le cas échéant, le juge de l'asile, ont fait application de ces dispositions. D'autre part, il résulte de la combinaison des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève et des dispositions de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 et de celles, précitées, de l'article L. 511-7 du CESEDA qu'il peut être dérogé au principe de non-refoulement lorsqu'il existe des raisons sérieuses de considérer que le réfugié constitue une menace grave pour la sureté de l'Etat ou lorsque ayant été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, il constitue une menace grave pour la société. Toutefois un Etat membre ne saurait éloigner un réfugié lorsqu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'il encourt dans le pays de destination un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Par suite, la personne à qui le statut de réfugié a été retiré, mais qui a conservé la qualité de réfugié, ne peut être éloignée que si l'administration, au terme d'un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, conclut à l'absence de risque pour l'intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination.

5. Si M. B... a obtenu en 2005 le statut de réfugié en raison des risques auxquels il était exposé dans son pays d'origine du fait de ce que son père adoptif était soupçonné d'avoir pris part au génocide des Tutsis et soutient qu'il conserve la qualité de réfugié, il n'apporte aucun élément de nature à établir l'actualité de ces risques, alors que le ministre de l'intérieur fait valoir sans être contesté que les déclarations de culpabilité du chef de génocide et de crime contre l'humanité à l'encontre de son père adoptif ont été annulées par la chambre d'appel du tribunal pénal international pour le Rwanda et qu'en tout état de cause le seul lien familial avec une personne impliquée dans le génocide ne fait pas courir de risques de persécutions de la part des autorités de l'Etat. S'il prétend que ces risques pourraient provenir d'autres personnes, notamment de familles de victimes, il n'apporte aucun élément à l'appui d'une telle allégation. Par ailleurs, le ministre de l'intérieur produit un courrier que M. B... a adressé à la préfecture de l'Aube le 2 mars 2020 par lequel il " l'informe de son accord pour être expulsé au Rwanda ", accord que M. B... affirme à l'audience ne plus maintenir non pas en raison des risques qu'il encourrait en cas de retour au Rwanda, mais en raison des changements dans sa situation familiale. Dans ces circonstances, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que l'auteur de l'ordonnance attaquée a jugé que M. B... encourait, en cas de refoulement vers le Rwanda, un risque réel et sérieux d'être soumis aux traitements prohibés par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et qu'en conséquence l'exécution de l'arrêté d'expulsion à destination du Rwanda portait une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à la vie ou son droit de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants.

6. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle enjoint à la préfète de l'Aube de ne pas poursuivre l'exécution de l'arrêté du 15 novembre 2019 portant expulsion de M. B... du territoire français et le rejet de la demande de suspension de l'exécution de cet arrêté présentée par M. B... sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nancy du 18 juillet 2024 est annulée en tant qu'elle enjoint à la préfète de l'Aube de ne pas poursuivre l'exécution de l'arrêté du 15 novembre 2019 portant expulsion de M. B... du territoire français.

Article 2 : La demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 novembre 2019 présentée par M. B... au juge des référés du tribunal administratif de Nancy est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B....

Fait à Paris, le 21 août 2024

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 496704
Date de la décision : 21/08/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 aoû. 2024, n° 496704
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BENABENT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:496704.20240821
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