La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/07/2024 | FRANCE | N°493110

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 25 juillet 2024, 493110


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance n° 2315512 du 2 avril 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 3 juillet 2023 au greffe de ce tribunal, présentée par l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages.



Par cette requête et un mémoire en réplique, enregistré le 19 juin 2024 au secr

étariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association d'entraide aux malades de myof...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2315512 du 2 avril 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 3 juillet 2023 au greffe de ce tribunal, présentée par l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages.

Par cette requête et un mémoire en réplique, enregistré le 19 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et de la prévention a rejeté sa demande tendant à ce que soit mis en place " un moratoire sur la vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges ", à ce que soient mises en œuvre des " études indépendantes par des équipes d'experts incluant notamment des spécialistes de la toxicité des adjuvants aluminiques afin de lever les doutes sur la toxicité du Gardasil " et à ce que " la levée du secret industriel sur la composition exacte du Gardasil 9 " soit ordonnée ;

2°) d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention, d'une part, " de mettre en place un moratoire sur la vaccination contre les papillomavirus dans les collèges ", dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard, d'autre part, d'ordonner la mise en œuvre d'études indépendantes par des équipes d'experts incluant notamment des spécialistes de la toxicité des adjuvants aluminiques afin de lever les doutes sur la toxicité du Gardasil, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard et, enfin, d'ordonner la levée du secret industriel sur la composition exacte du Gardasil pour permettre que des études soient menées par des équipes indépendantes sur les propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de cet adjuvant, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 5 décembre 2005 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé ;

- l'arrêté du 28 février 2018 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nejma Benmalek, auditrice,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'annonce publique le 28 février 2023 de l'organisation d'une campagne nationale de vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges pour les élèves de la classe de cinquième, l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages a demandé au ministre de la santé et de la prévention, par courrier du 25 avril 2023, de mettre en place un " moratoire " sur cette campagne et d'ordonner " la mise en œuvre d'études indépendantes par des équipes d'experts incluant notamment des spécialistes de la toxicité des adjuvants aluminiques afin de lever les doutes sur la toxicité du Gardasil ", ainsi que " la levée du secret industriel sur la composition exacte " du Gardasil 9. La demande de l'association requérante d'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande doit être regardée comme dirigée contre l'instruction du 19 juin 2023 par laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et le ministre de la santé et de la prévention ont précisé les modalités d'organisation et de suivi de la campagne nationale de vaccination contre les papillomavirus humains, dans tous les collèges publics relevant du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et dans tous les collèges privés volontaires pour accueillir cette campagne.

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ".

3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les infections à papillomavirus humains touchent la moitié des jeunes entre quinze et vingt-quatre ans et que plus des deux tiers des femmes et des hommes sont contaminés au cours de leur vie. Selon un rapport de la Haute autorité de santé établi en 2019, environ 1 750 nouveaux cas de cancer provoqués par des papillomavirus humains surviennent chaque année en France chez l'homme et 4 580 nouveaux cas chez la femme, à l'origine de 1 117 morts évitables par an. Alors que le seul dépistage ne permet pas, contrairement à ce que soutient l'association, de détecter tous les cancers et lésions précancéreuses provoqués par des papillomavirus humains, plusieurs études internationales ont en outre démontré l'efficacité de la vaccination pour réduire significativement l'incidence de ces cancers. Ainsi, la Haute autorité de santé a recommandé en décembre 2019 l'élargissement de la vaccination contre les papillomavirus humains, qui concernait d'ores et déjà les filles, à tous les garçons âgés de onze à quatorze ans révolus et l'amélioration de la couverture vaccinale en s'appuyant sur les expériences étrangères en milieu scolaire. La couverture vaccinale s'élevant, au 31 décembre 2022, à 41,5 % chez les filles de seize ans et à 8,5 % chez les garçons du même âge, elle demeure en-deçà de l'objectif de 80 % à l'horizon 2030 fixé dans le cadre de la stratégie décennale de lutte contre les cancers. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'organisation d'une campagne de vaccination contre les papillomavirus humains dans les collèges, qui est susceptible d'augmenter cette couverture vaccinale et dont le bénéfice qui en est attendu doit, au regard du risque éventuellement susceptible d'être présenté par la vaccination pour chaque personne vaccinée, s'apprécier tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter, constitue, contrairement à ce qu'affirme l'association, en complément du dépistage, un moyen de lutter contre les pathologies engendrées par ces papillomavirus.

4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les vaccins contre les infections à papillomavirus humains, qui sont utilisés depuis plus de quinze ans dans de nombreux pays et dont plus de 300 millions de doses ont été administrées, présentent un bon profil de sécurité. Si l'association requérante fait valoir que le vaccin Gardasil 9 utilisé dans le cadre de la campagne de vaccination dans les collèges comporte un adjuvant aluminique, couvert par un brevet, qui ne serait pas susceptible de faire l'objet d'évaluations indépendantes, celui-ci est utilisé depuis 2001 dans le vaccin HBvaxpro, depuis 2007 dans le vaccin Gardasil et depuis 2015 dans le vaccin Gardasil 9, de sorte que, contrairement à ce qu'elle affirme, il ne peut être regardé comme nouveau. Le vaccin Gardasil 9 a obtenu une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence européenne des médicaments le 10 juin 2015 au titre de laquelle aucun signal de sécurité n'a été détecté à ce jour. Selon l'enquête nationale de pharmacovigilance réalisée par l'Agence nationale de sécurité du médicament en 2023 et portant sur le Gardasil 9, le bilan du suivi national portant sur la période du 1er juillet 2020 au 31 décembre 2022 n'a pas fait apparaître de nouveau signal de sécurité, par rapport aux données antérieures de notification spontanée.

5. En outre, alors que le recours à des adjuvants aluminiques est indispensable à la stimulation de la réponse immunitaire aux antigènes vaccinaux inactivés ou purifiés et donc à l'efficacité de la vaccination elle-même, aucun lien de causalité n'a pu être établi entre adjuvants aluminiques et maladies auto-immunes, auxquelles l'association rattache la lésion histologique de myofasciite à macrophages, les nombreuses études pharmaco-épidémiologiques portant sur les vaccins contre les papillomavirus humains n'ayant pas davantage mis en évidence d'augmentation du risque de telles maladies. Ces adjuvants, utilisés depuis 1926, sont bien tolérés et très efficaces et ne pourraient être remplacés dans l'immédiat.

6. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'en l'état des connaissances scientifiques, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, en ce que la vaccination contre les papillomavirus humains ne serait pas nécessaire et présenterait des risques pour la santé humaine et en ce que " la balance entre les bénéfices et les risques serait négative ".

7. En deuxième lieu, l'association requérante ne peut utilement invoquer ni le principe de précaution tel qu'il est garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence, la décision attaquée n'affectant pas l'environnement au sens des dispositions de cet article, ni le même principe garanti par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'instruction contestée n'entrant pas dans le champ de ces dispositions.

8. En troisième lieu, l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) ". Selon l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...) Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ". Aux termes de l'article L. 2132-1 du même code, toutes les constatations importantes concernant la santé d'un enfant doivent être notées, au fur et à mesure, dans son carnet de santé. L'arrêté du 5 décembre 2005 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé, en vigueur lors de la délivrance de carnets de santé aux collégiens aujourd'hui scolarisés en classe de cinquième, tout comme l'arrêté du 28 février 2018 ayant le même objet, désormais en vigueur, prévoient que celui-ci comporte une page consacrée aux allergies sur laquelle le médecin reporte, avec l'accord des parents, les éventuelles allergies de l'enfant.

9. Il résulte des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique que toute vaccination doit être précédée, auprès des personnes qui sont titulaires de l'autorité parentale ou qui assurent la tutelle de l'enfant, d'une information portant sur l'utilité, l'urgence éventuelle, les conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles que comporte cette vaccination ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus, de sorte que leur consentement libre et éclairé, garanti par les dispositions de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, puisse être recueilli.

10. En l'espèce, d'une part, par un premier courrier du 6 juin 2023, un second courrier diffusé au moment de la rentrée scolaire 2023 et un dépliant communiqué aux familles concernées, ces documents renvoyant vers les sites internet de l'Institut national du cancer et de Santé publique France et invitant les représentants légaux des enfants à se rapprocher de leur médecin traitant, ceux-ci ont bénéficié, avant que ne soit recueilli leur consentement, d'une information, dont une grande partie était accessible sans recours à un outil électronique, sur la campagne de vaccination en cours, sur les papillomavirus humains et leurs dangers ainsi que sur les effets secondaires de la vaccination. D'autre part, l'instruction attaquée prévoit que la vaccination n'est réalisée que pour les élèves qui présentent, outre l'autorisation recueillie auprès des deux parents, leur carnet de santé, lequel, conformément aux dispositions précitées du code de la santé publique, mentionne, lorsqu'elles sont connues, les éventuelles allergies du patient. Enfin, l'hypersensibilité aux substances actives ou à l'un des excipients du vaccin, dont l'occurrence est particulièrement rare, constituant la seule contre-indication aux vaccins contre les papillomavirus humains, l'association n'est pas fondée à soutenir que l'information donnée à ce propos aurait dû être plus développée. Par suite, le moyen tiré de ce que les modalités d'organisation de la campagne de vaccination portent atteinte au droit à l'information et à un consentement libre et éclairé des représentants légaux des élèves concernés par cette campagne, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1111-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique, ne peut qu'être écarté.

11. Il suit de là que l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages n'est pas fondée à demander l'annulation de l'instruction du 19 juin 2023. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association d'entraide aux malades de myofasciite à macrophages, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et Mme Nejma Benmalek, auditrice-rapporteure.

Rendu le 25 juillet 2024.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

La rapporteure :

Signé : Mme Nejma Benmalek

La secrétaire :

Signé : Mme Paule Troly


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 493110
Date de la décision : 25/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2024, n° 493110
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nejma Benmalek
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493110.20240725
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award