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24/07/2024 | FRANCE | N°493887

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 24 juillet 2024, 493887


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le numéro 493887, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 avril et 21 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le groupement forestier Forêt de Teillay, la société La Durantière, le groupement forestier du Roupeyroux Lorgerie, le groupement forestier Le Ban, la société FCLA, le groupement forestier de la Verrerie et la société de la Maisonnette demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leu

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Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 493887, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 avril et 21 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le groupement forestier Forêt de Teillay, la société La Durantière, le groupement forestier du Roupeyroux Lorgerie, le groupement forestier Le Ban, la société FCLA, le groupement forestier de la Verrerie et la société de la Maisonnette demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et du secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires chargé de la mer et de la biodiversité du 8 avril 2024 fixant les modalités de déclarations préalables à l'effacement de clôtures en application de l'article L. 424-3-1 du code de l'environnement, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 171-1, L. 372-1, L. 424-3-1 et L. 428-21 du code de l'environnement.

2° Sous le numéro 494120, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 mai et 21 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société civile immobilière Les Nardilays, la société civile immobilière L'Echeveau, M. A... F..., la société Chales Invest, la société civile SCIF La Mordorée, le groupement forestier La Mordorée, la société GEPARACT, la société Maremberts et la société civile DREAMCO demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du même arrêté, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 171-1, L. 372-1, L. 424-3-1 et L. 428-21 du code de l'environnement.

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3° Sous le numéro 494964, par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juin et 9 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Fédération nationale des chasses professionnelles, la Fédération française des professionnels du sanglier, M. B... D..., l'EARL Landre, M. C... E... et la SARL Chasse de Boissière Rambaud David demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du même arrêté, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 171-1, L. 372-1, L. 424-3-1 et L. 428-21 du code de l'environnement.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'environnement, notamment ses articles L. 171-1, L. 372-1, L. 424-3-1 et L. 428-21 ;

- la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus soulèvent la même question prioritaire de constitutionnalité. Il y a lieu de les joindre pour statuer sur cette question par une seule décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 171-1 du code de l'environnement : " I. - Les fonctionnaires et agents chargés des contrôles prévus à l'article L. 170-1 ont accès : / 1° Aux locaux accueillant des installations, des ouvrages, des travaux, des aménagements, des opérations, des objets, des dispositifs et des activités soumis aux dispositions du présent code, à l'exclusion des locaux à usage d'habitation. Ils peuvent pénétrer dans ces lieux entre 8 heures et 20 heures et, en dehors de ces heures, lorsqu'ils sont ouverts au public ou lorsque sont en cours des opérations de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation mentionnées par le présent code ; / 2° Aux autres lieux, notamment aux enclos, à tout moment, où s'exercent ou sont susceptibles de s'exercer des activités soumises aux dispositions du présent code ; (...) / II. - Les fonctionnaires et agents chargés des contrôles ne peuvent avoir accès aux domiciles et à la partie des locaux à usage d'habitation qu'en présence de l'occupant et avec son assentiment. ". Aux termes de l'article L. 372-1 du même code : " Les clôtures implantées dans les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du plan local d'urbanisme en application de l'article L. 151-9 du code de l'urbanisme ou, à défaut d'un tel règlement, dans les espaces naturels permettent en tout temps la libre circulation des animaux sauvages. Elles sont posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, leur hauteur est limitée à 1,20 mètre et elles ne peuvent ni être vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune. Ces clôtures sont en matériaux naturels ou traditionnels définis par le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires prévu à l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse prévu aux articles L. 4424-9 à L. 4424-15-1 du même code, par le schéma d'aménagement régional pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion prévu à l'article L. 4433-7 dudit code ou par le schéma directeur de la région d'Ile-de-France prévu à l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme. Les clôtures existantes sont mises en conformité avant le 1er janvier 2027. Tout propriétaire procède à la mise en conformité de ses clôtures dans des conditions qui ne portent pas atteinte à l'état sanitaire, aux équilibres écologiques ou aux activités agricoles ou forestières du territoire. Le présent alinéa ne s'applique pas aux clôtures réalisées plus de trente ans avant la publication de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. Il appartient au propriétaire d'apporter par tous moyens la preuve de la date de construction de la clôture, y compris par une attestation administrative. Toute réfection ou rénovation de clôtures construites plus de trente ans avant la promulgation de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 précitée doit être réalisée selon les critères définis au présent article. / Le premier alinéa du présent article ne s'applique pas : / 1° Aux clôtures des parcs d'entraînement, de concours ou d'épreuves de chiens de chasse ; / 2° Aux clôtures des élevages équins ; / 3° Aux clôtures érigées dans un cadre scientifique ; / 4° Aux clôtures revêtant un caractère historique et patrimonial ; / 5° Aux domaines nationaux définis à l'article L. 621-34 du code du patrimoine ; / 6° Aux clôtures posées autour des parcelles sur lesquelles est exercée une activité agricole définie à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime ; / 7° Aux clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières ; / 8° Aux clôtures posées autour des jardins ouverts au public ; / 9° Aux clôtures nécessaires à la défense nationale, à la sécurité publique ou à tout autre intérêt public. / L'implantation de clôtures dans les espaces naturels et les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du plan local d'urbanisme en application de l'article L. 151-9 du code de l'urbanisme est soumise à déclaration. / Les habitations et les sièges d'exploitation d'activités agricoles ou forestières situés en milieu naturel peuvent être entourés d'une clôture étanche, édifiée à moins de 150 mètres des limites de l'habitation ou du siège de l'exploitation. ". Aux termes de l'article L. 424-3-1 du même code : " I. - Tout propriétaire d'un enclos prenant la décision d'en supprimer la clôture ou se conformant à l'article L. 372-1 procède à l'effacement de celle-ci dans des conditions qui ne portent atteinte ni à l'état sanitaire, ni aux équilibres écologiques, ni aux activités agricoles du territoire. / II.- Dans le cas où une des atteintes mentionnées au I du présent article résulte de l'effacement d'une clôture, celui-ci est soumis à déclaration préalable auprès du représentant de l'Etat dans le département où l'enclos est situé. / III. - Les modalités de déclaration préalable prévoient notamment d'informer l'administration des mesures qui sont prises préalablement à l'effacement de la clôture en vue de la régulation des populations de grand gibier contenues dans l'enclos. / Un arrêté conjoint des ministres chargés de l'environnement et de l'agriculture détermine ces modalités de déclaration préalable. ". Enfin, aux termes de l'article L. 428-21 du même code : " Les gardes-chasse particuliers assermentés constatent par procès-verbaux les infractions aux dispositions du présent titre qui portent préjudice aux détenteurs de droits de chasse qui les emploient. (...) / Par ailleurs, les agents de développement mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 421-5 constatent par procès-verbaux, dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas du présent article, les infractions relatives à la conformité des clôtures mentionnées à l'article L. 372-1, au plan de gestion annuel mentionné au I de l'article L. 424-3, au schéma départemental de gestion cynégétique, au plan de chasse et au permis de chasser, sur tous les territoires du département dont les propriétaires et détenteurs du droit de chasse sont adhérents d'une fédération. Ils disposent à cet effet des mêmes droits d'accès que ceux reconnus aux fonctionnaires et aux agents chargés de la police de l'environnement en application du 1° du I de l'article L. 171-1. Toute infraction constatée est signalée au représentant de l'Etat dans le département. ".

4. Les dispositions de l'article L. 424-3-1 du code de l'environnement, sur le fondement duquel a été pris l'arrêté attaqué, sont applicables au présent litige. Celles des articles L. 171-1, L. 372-1 et L. 428-21 du même code, également issues de la loi du 2 février 2023 relative à la lutte contre l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, qui édictent les normes que doivent respecter les clôtures et modifient les modalités de mise en œuvre du droit de visite dans les enclos aux fins, notamment, de contrôler la conformité des clôtures avec ces nouvelles règles, ne sont pas dénuées de tout lien avec le litige. Les dispositions des articles L. 171-1 dans leur rédaction applicable au présent litige, et celles des articles L. 372-1, L. 424-3-1 et L. 428-21 du code de l'environnement, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles méconnaissent le droit au respect de la vie privée et l'inviolabilité du domicile, de ce qu'elles portent une atteinte à l'exercice du droit de propriété disproportionnée par rapport aux objectifs d'intérêt général poursuivis en ce qu'elles ont pour effet d'interdire aux propriétaires d'édifier des clôtures permettant d'éviter l'intrusion de personnes ou d'animaux sur leur propriété privée dans les zones naturelles ou forestières délimitées par un plan local d'urbanisme et, à défaut d'un tel plan, dans l'ensemble des espaces naturels, de ce qu'elles portent une atteinte disproportionnée aux situations légalement acquises par leurs propriétaires en prévoyant la mise en conformité obligatoire des clôtures existantes de moins de trente ans avec les nouvelles caractéristiques qu'elles prévoient, et de ce qu'elles méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, en traitant différemment les propriétaires de clôtures selon qu'elles ont été édifiées avant ou après le 2 février 1993, alors qu'ils se trouvent dans une situation identique au regard des objectifs tendant à permettre la libre circulation des animaux sauvages, à restaurer les continuités écologiques, à préserver la qualité des espaces ruraux ou à lutter contre les risques sanitaires et d'incendie poursuivis par la loi, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles L. 171-1, L. 372-1, L. 424-3-1 et L. 428-21 du code de l'environnement est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes du Groupement forestier Forêt de Teillay et autres, de la SCI Les Nardilays et autres et de la Fédération nationale des chasses professionnelles et autres jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Groupement forestier Forêt de Teillay, première dénommée pour l'ensemble des requérants de la requête enregistrée sous le n° 493887, à la SCI Les Nardilays, première dénommée pour l'ensemble des requérants de la requête enregistrées sous le n° 494120, à la Fédération nationale des chasses professionnelles, première dénommée pour l'ensemble des requérants de la requête enregistrées sous le n° 494964, au Premier ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 24 juillet 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 493887
Date de la décision : 24/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2024, n° 493887
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493887.20240724
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