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12/07/2024 | FRANCE | N°495749

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 12 juillet 2024, 495749


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 5 décembre 2023 par laquelle le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de son éloignement et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans, d'autre part, d'enjoindre que soit réexaminée sa situation dans un délai de quinz

e jours. Par une ordonnance n° 2405121 du 21 juin 2024, la juge des référ...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 5 décembre 2023 par laquelle le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de son éloignement et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans, d'autre part, d'enjoindre que soit réexaminée sa situation dans un délai de quinze jours. Par une ordonnance n° 2405121 du 21 juin 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 10 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 21 juin 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Versailles ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté de la préfète de l'Essonne du 5 décembre 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de l'Essonne de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite en ce que son éloignement du territoire français, qui peut intervenir à tout moment, aurait de très graves conséquences sur son état de santé en raison de l'impossibilité d'une prise en charge médicale adéquate dans son pays d'origine ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de la vie et à son droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, garantis par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il n'existe pas de possibilité effective qu'il accède aux traitements nécessaires et appropriés à son état de santé dans son pays d'origine, eu égard aux coûts de ces derniers ainsi qu'à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du Mali ;

- compte tenu de son état de santé, il ne peut légalement être éloigné du territoire français, ainsi qu'il résulte des dispositions combinées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article L. 613-1 du même code dans sa rédaction antérieure à l'intervention de l'article 37 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, la rédaction issue de cette loi devant être écartée en raison de sa méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 juillet 2024, à 11 heures :

- Me Sebagh, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- le représentant de M. A... ;

- M. A... ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Essonne a pris le 5 décembre 2023, à l'encontre de M. A..., ressortissant malien en situation irrégulière sur le territoire français, alors détenu à la prison de Fleury-Mérogis, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français, avec interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Cet arrêté a été notifié à l'intéressé le 18 décembre suivant. Par jugement du 5 février 2024, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cet arrêté. Par une décision du 4 juin 2024, la préfète de l'Essonne a décidé de placer M. A... en rétention administrative pour une durée de quarante-huit heures à compter du 13 juin 2024. Par une ordonnance du 14 juin 2024, le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes a autorisé la prolongation de la rétention de M. A... pour une durée de vingt-huit jours à compter du 15 juin 2024, soit jusqu'au 13 juillet suivant. Le 14 juin 2024, le médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a rendu un avis sur l'état de santé de M. A.... Par une ordonnance n° 2405121 du 21 juin 2024, la juge des référés de tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de M. A..., présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de l'Essonne du 5 décembre 2023. M. A... relève appel de cette ordonnance.

3. Il ressort des dispositions des articles L. 614-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu organiser une procédure spéciale afin que le juge administratif statue rapidement sur la légalité des mesures relatives à l'éloignement des étrangers, hors la décision refusant le séjour et les mesures d'expulsion. A cet égard, il appartient à l'étranger qui entend contester une obligation de quitter le territoire français, non accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence, et non assortie d'un délai de départ volontaire, de saisir le juge administratif, sur le fondement des dispositions de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui restent applicables à la date de la présente ordonnance, d'une demande tendant à son annulation, assortie le cas échéant de conclusions à fin d'injonction. Cette procédure particulière est exclusive de celles prévues par le livre V du code de justice administrative. Il en va autrement, dans le cas où les modalités selon lesquelles il est ultérieurement procédé à l'exécution d'une telle mesure relative à l'éloignement forcé d'un étranger emportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait survenus depuis l'intervention de cette mesure et après que le juge, saisi sur le fondement de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a statué ou que le délai prévu pour le saisir a expiré, excèdent ceux qui s'attachent normalement à sa mise à exécution.

4. Il résulte de l'instruction que saisi pour avis par M. A..., qui indiquait être suivi et traité en raison d'une infection par le virus de l'immunodéficience humaine et d'une hypertension artérielle, le médecin de l'OFII a, le 14 juin 2024, estimé que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale, que le défaut d'une telle prise en charge peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne peut y bénéficier d'un traitement approprié et que les soins nécessités par son état de santé doivent en l'état être poursuivis pendant une durée de six mois. Cet avis dont il n'est pas contesté qu'il a été porté à la connaissance de la préfète de l'Essonne constitue, alors même qu'il ne la lie pas, un élément nouveau devant nécessairement conduire l'autorité administrative à réexaminer la situation de M. A... avant de procéder effectivement à son éloignement à destination du Mali. Dans ces conditions, M. A... était recevable à saisir le 19 juin 2024 le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en invoquant, au vu de cette nouvelle circonstance, l'atteinte grave et manifestement illégale que l'exécution de l'arrêté du 5 décembre 2023 porterait à son droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, qui constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, dans la mesure où son éloignement à destination du Mali entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé.

5. Il ne résulte pas de l'instruction que la préfète de l'Essonne, à laquelle il incombait de réexaminer la situation de M. A..., au vu de l'avis du médecin de l'OFII, se soit expressément prononcée sur la possibilité, compte tenu de cet élément nouveau, de poursuivre la mise en œuvre de l'arrêté du 5 décembre 2023, lequel est susceptible d'être exécuté à tout moment, d'autant qu'il a été indiqué à l'audience qu'un laissez-passer consulaire a été délivré par les autorités maliennes pour permettre le retour de M. A.... Ce faisant, il a été porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de l'intéressé de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants garanti par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il suit de là qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 décembre 2023 jusqu'à ce que la préfète de l'Essonne se soit expressément prononcée, en particulier au regard des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur la possibilité d'en poursuivre, ou non, la mise en œuvre, compte tenu de l'état de santé de M. A....

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté ses conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 5 décembre 2023 et à ce qu'il soit enjoint à la préfète de l'Essonne de réexaminer, dans un délai de quinze jours, sa situation au vu de son état de santé, en particulier, à l'aune de l'avis du médecin de l'OFII du 14 juin 2024.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 21 juin 2024 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Essonne de réexaminer, dans un délai de quinze jours, la situation de M. A... au vu de son état de santé, en particulier à l'aune de l'avis du médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Article 3 : L'exécution de l'arrêté du 5 décembre 2023 est suspendue jusqu'à ce que la préfète de l'Essonne se soit expressément prononcée sur la possibilité d'en poursuivre la mise en œuvre.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 12 juillet 2024

Signé : Maud Vialettes


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 495749
Date de la décision : 12/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2024, n° 495749
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495749.20240712
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