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12/07/2024 | FRANCE | N°495568

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 12 juillet 2024, 495568


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, à titre principal, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 21 mai 2024 l'assignant à résidence, en troisième lieu, à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de cet arrêté en tant qu'il le contraint à résider dans le périmètre restreint qu'il fixe et à se présen

ter deux fois par jour, chaque jour de la semaine, au commissariat situé au 63...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, à titre principal, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 21 mai 2024 l'assignant à résidence, en troisième lieu, à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de cet arrêté en tant qu'il le contraint à résider dans le périmètre restreint qu'il fixe et à se présenter deux fois par jour, chaque jour de la semaine, au commissariat situé au 63 rue du Faubourg Saint-Jean à Orléans, et d'enjoindre à l'administration de lui délivrer une autorisation de travail sur le fondement de l'article R. 732-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, en quatrième lieu, à titre encore plus subsidiaire, d'enjoindre à l'administration de réduire les pointages à une fois par semaine et fixer le lieu du pointage au commissariat de police situé au 6 place Choiseul à Orléans et, en dernier lieu, en tout état de cause, d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation, de lui délivrer une autorisation de travail ou, à défaut, un document lui permettant de justifier son identité, dans les 15 jours suivant la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2415138 du 17 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juin et 9 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la mesure contestée préjudicie de manière grave et immédiate à sa situation en ce que, en premier lieu, il est dans l'impossibilité de travailler et de justifier de son identité, en deuxième lieu, l'obligation qui lui est faite de se présenter deux fois par jour dans un commissariat situé à plus de dix kilomètres de son domicile, alors qu'un autre commissariat se situe à seulement 700 mètres, l'empêche de s'occuper convenablement de ses enfants, dont l'une est âgée de 9 mois et, en dernier lieu, elle a un fort retentissement sur son état psychologique ;

- la mesure d'assignation à résidence le concernant, sans limite de durée, est illégale faute de perspective raisonnable de mise à exécution de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet ;

- la mesure aurait dû être prise non sur le fondement de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais sur le fondement de l'article L. 731-5 du même code ;

- la mesure d'assignation à résidence et ses modalités de contrôle portent une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et de venir et à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 juillet 2024, à 15 heures :

- Me Sebagh, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- la représentante de M. A... ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu la note en délibéré enregistrée le 12 juillet 2024 présentée par M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) "

2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant marocain né en France le 19 juillet 1984 et ayant acquis la nationalité française à sa majorité par déclaration du 18 juin 2002, a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris, le 30 novembre 2017, à une peine délictuelle de sept années d'emprisonnement pour des faits datant de 2014 de participation à une entreprise terroriste. Après avoir purgé cette peine, il a fait l'objet d'une mesure de déchéance de la nationalité française, par décret du 23 décembre 2022, puis d'un arrêté d'expulsion du 15 juin 2023, une décision du même jour fixant le Maroc comme pays de renvoi. Cet arrêté n'ayant pu être exécuté faute de délivrance d'un laissez-passer consulaire par les autorités marocaines, M. A... a fait l'objet, sur le fondement de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, d'une mesure d'assignation à résidence par arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 21 mai 2024. Il a demandé la suspension de cet arrêté sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, cité au point 1, ou, à défaut, celle de ses modalités de contrôle. Il fait appel de l'ordonnance du 17 juin 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Sur la mesure d'assignation à résidence :

3. Aux termes de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France : " L'autorité administrative peut autoriser l'étranger qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, à se maintenir provisoirement sur le territoire en l'assignant à résidence jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, dans les cas suivants : / (...) 6° L'étranger fait l'objet d'une décision d'expulsion (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 732-5 du même code : " Lorsque l'assignation à résidence a été édictée en application des 6°, 7° ou 8° de l'article L. 731-3 ou des articles L. 731-4 ou L. 731-5, la durée maximale d'un an prévue à l'article L. 732-4 ne s'applique pas. "

4. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France cité ci-dessus que la légalité d'une mesure d'assignation à résidence prise en application du 6° cet article n'est pas subordonnée à l'existence d'une perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'expulsion prise à l'encontre de l'étranger qui en fait l'objet. Par suite, la circonstance, à la supposer établie, qu'il n'existerait aucune perspective raisonnable d'expulsion de M. A... à destination du pays dont il a la nationalité ne peut faire regarder, dans les circonstances de l'espèce, la mesure d'assignation à résidence qu'il conteste comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

5. En deuxième lieu, si M. A... fait valoir que son assignation à résidence aurait dû être prise sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 731-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France aux termes duquel : " L'autorité administrative peut, à titre probatoire et exceptionnel, assigner à résidence l'étranger faisant l'objet d'une décision d'expulsion édictée en application de l'article L. 631-2 ", il ne démontre, ni même n'allègue, que sa situation n'entrait pas dans les prévisions de l'article L 731-3 du même code, sur lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est fondé pour prendre la mesure contestée.

6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... est né en France et y a toujours vécu. Il a épousé, en 2014, une ressortissante marocaine titulaire d'une carte de résident dont il a eu deux filles, nées respectivement en 2015 et 2023. Eu égard à la gravité des faits qu'il a commis, pour lesquels il a été condamné à une peine de sept années d'emprisonnement délictuel, et aux autres condamnations dont il a été l'objet, notamment pour transport, offre ou cession non autorisés de stupéfiants, la mesure d'assignation à résidence dont il fait l'objet, qui lui permet de vivre avec sa famille, ne saurait, en tout état de cause, être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme portant une atteinte grave et manifestement disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

7. En dernier lieu, eu égard aux buts en vue desquels elle a été prise, la mesure contestée, en imposant à M. A... de demeurer sur le territoire de la commune d'Orléans et de se trouver à son domicile entre 21h00 et 7h00, ne peut être regardée, en l'état de l'instruction, comme portant une atteinte manifestement illégale à sa liberté d'aller et de venir.

Sur les modalités de contrôle :

8. Aux termes de l'article L. 733-1 : " L'étranger assigné à résidence en application du présent titre se présente périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. / Il se présente également, lorsque l'autorité administrative le lui demande, aux autorités consulaires, en vue de la délivrance d'un document de voyage. "

9. Si la mesure d'assignation à résidence contestée comportait à l'origine l'obligation pour M. A... de se présenter deux fois par jour, à 11h00 et 17h00, dans un commissariat situé 63 rue du Faubourg Saint-Jean à Orléans, situé à environ 45 minutes en transports en commun et deux heures à pied du domicile actuel de l'intéressé, un nouvel arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 8 juillet 2024 est venu modifier ces modalités. Désormais, M. A... est astreint à se présenter, les jours de semaine, à un commissariat situé 6 place Choiseul, dont il est constant qu'il se trouve à seulement dix minutes à pied de son domicile, et, le weekend et jours fériés, lorsque ce commissariat est fermé, auprès des services de la police aux frontières situés 167 rue de Châteauroux à Olivet, à une trentaine de minutes à pied. Si M. A... conteste également la nécessité qui lui est faite de pointer deux fois par jour et sept jours sur sept et demande que son obligation en la matière soit réduite, il ne résulte pas de l'instruction que le requérant, qui s'est rendu coupable de faits graves, pour lesquels il a été condamné à sept années d'emprisonnement délictuel, ait fait montre d'une réelle volonté de s'amender, ni même qu'il ait pris pleinement conscience de la gravité de ses actes, et ne présente plus de caractère de dangerosité pour la société. Dès lors, et alors même que n'existerait aucune perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'expulsion prise à son encontre, les modalités de contrôle de la mesure d'assignation à résidence dont il fait l'objet ne peuvent être regardées, en l'état de l'instruction, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et de venir ni, en tout état de cause, à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Si M. A... demande à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui délivrer une autorisation de travail sur le fondement de l'article R. 732-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou, à défaut, un document lui permettant de justifier de son identité, il ne résulte pas de l'instruction que la condition d'urgence particulière posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative puisse être regardée comme remplie faute pour le requérant de disposer d'une telle autorisation ou d'un tel document.

11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence s'agissant de la mesure d'assignation à résidence et des modalités de son contrôle, M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 12 juillet 2024

Signé : Alain Seban


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 495568
Date de la décision : 12/07/2024

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2024, n° 495568
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495568.20240712
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