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11/07/2024 | FRANCE | N°495800

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 juillet 2024, 495800


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les syndicats professionnels " Prism'Emploi " et " Syndicat national CFTC du travail temporaire " (SNTT CFTC) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2024-583 du 24 juin 2024 relatif à la durée minimale d'exercice préalable de certains professionnels avant leur mise à disposit

ion d'un établissement de santé, d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un é...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les syndicats professionnels " Prism'Emploi " et " Syndicat national CFTC du travail temporaire " (SNTT CFTC) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2024-583 du 24 juin 2024 relatif à la durée minimale d'exercice préalable de certains professionnels avant leur mise à disposition d'un établissement de santé, d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un établissement ou service social ou médico-social par une entreprise de travail temporaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, le décret contesté porte une atteinte grave et immédiate aux exigences de santé publique en ce que les établissements de santé comptent un nombre important de postes vacants et ont largement recours aux contrats d'intérim pour les pourvoir et, d'autre part, il porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts, en premier lieu, des intérimaires du secteur médical et médico-social en ce qu'il est applicable depuis le 1er juillet 2024, en deuxième lieu, des professionnels ne pouvant justifier de deux années d'exercice hors-intérim et, en dernier lieu, des entreprises de travail temporaire en ce que le décret entrave la possibilité d'exercer dans le cadre d'un contrat d'intérim ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux ;

- le décret contesté, en ce qu'il n'a pas été accompagné de mesures transitoires, porte une atteinte excessive au principe de sécurité juridique dès lors que l'arrêté fixant la liste des pièces justificatives à fournir pour le personnel intérimaire a été pris le 28 juin 2024, et est entré en vigueur le 30 juin, soit la veille de la mise en application du décret contesté ;

- il s'affranchit de la volonté du législateur dès lors qu'il met en place un dispositif applicable à tous les professionnels médicaux et paramédicaux, en méconnaissance de l'article 29 de la loi du 27 décembre 2023 qui prévoit un champ d'application du décret limité aux jeunes diplômés et tendant à lutter contre la désertification médicale ;

- il porte une atteinte disproportionnée et injustifiée au principe de libre prestation de services dès lors qu'il limite le recours aux travailleurs intérimaires, en méconnaissance de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ainsi que des dispositions des directives 2008/04/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 et (UE) 2018/958 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 ;

- il méconnaît l'article 15 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européen et l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 28 juin 2024 fixant à titre transitoire la liste des pièces justificatives mentionnées aux articles R. 6115-2 du code de la santé publique et R. 313-30-6 du code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. " En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Il ressort des pièces du dossier que pour encadrer le recours au travail temporaire dans les établissements sociaux et médico-sociaux, confrontés à des déficits de personnel permanent, l'article 29 de la loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels a inséré au code de l'action sociale et des familles un article L. 313-23-4 dont le premier alinéa est rédigé ainsi qu'il suit : " Les établissements et les services relevant des 1°, 2°, 4°, 6° et 7° du I de l'article L. 312-1 ne peuvent avoir recours, dans le cadre des contrats de mise à disposition qu'ils concluent avec des entreprises de travail temporaire, à des médecins, des infirmiers, des aides-soignants, des éducateurs spécialisés, des assistants de service social, des moniteurs-éducateurs et des accompagnants éducatifs et sociaux qu'à la condition que ceux-ci aient exercé leur activité dans un cadre autre qu'un contrat de mission conclu avec une de ces entreprises de travail temporaire pendant une durée minimale appréciée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat " et rétabli au code de la santé publique un article L. 6115-1 dont le premier paragraphe est ainsi rédigé : " Les établissements de santé et les laboratoires de biologie médicale ne peuvent avoir recours, dans le cadre des contrats de mise à disposition qu'ils concluent avec des entreprises de travail temporaire, à des médecins, des chirurgiens-dentistes, des pharmaciens, des sages-femmes ou des professionnels de santé relevant du livre III de la quatrième partie qu'à la condition que ceux-ci aient exercé leur activité dans un cadre autre qu'un contrat de mission conclu avec une de ces entreprises de travail temporaire pendant une durée minimale appréciée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. " Le décret en Conseil d'Etat n° 2024-583 du 24 juin 2024 relatif à la durée minimale d'exercice préalable de certains professionnels avant leur mise à disposition d'un établissement de santé, d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un établissement ou service social ou médico-social par une entreprise de travail temporaire a notamment rétabli dans le code de la santé publique un article R. 6115-1 qui dispose que pour les sages-femmes et les professionnels de santé relevant du livre III de la quatrième partie du même code, cette durée minimale est de deux ans, et prévu, en outre, à l'article R. 6115-2 : " Préalablement à la conclusion du contrat de mise à disposition, l'entreprise de travail temporaire s'assure que le professionnel auquel elle envisage de confier la mission remplit la condition de durée minimale d'exercice mentionnée à l'article R. 6115-1, en se faisant communiquer par lui les pièces, dont la nature est précisée par un arrêté des ministres chargés de la santé et du travail, justifiant de la durée et de la nature des fonctions qu'il a antérieurement exercées. / L'entreprise de travail temporaire atteste du respect de cette condition auprès de l'établissement de santé ou du laboratoire de biologie médicale, au plus tard lors de la signature du contrat de mise à disposition, par tout moyen conférant date certaine de réception. / L'entreprise de travail temporaire conserve les preuves des vérifications qu'elle a effectuées en application du présent article pendant cinq ans à compter de la conclusion du contrat de mise à disposition. Celle-ci sont transmises, à sa demande, à l'établissement de santé ou au laboratoire de biologie médicale ayant conclu le contrat de mise à disposition du salarié, et, en cas de contrôle, à l'autorité compétente. " Le Syndicat professionnel " Prism'Emploi " et le Syndicat national CFTC du travail temporaire (SNTT CFTC) demandent, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de ce décret.

3. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension sur le fondement des dispositions citées au point 1 doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

4. Pour établir l'urgence qu'il y aurait, selon eux, à suspendre l'exécution du décret qu'ils contestent, les syndicats requérants, dont l'un défend les intérêts des entreprises de travail temporaire et l'autre ceux des salariés du travail temporaire, font valoir que le travail temporaire joue un rôle essentiel afin de pallier certaines difficultés que rencontrent les établissements sociaux et médico-sociaux pour fonctionner et est aujourd'hui essentiel pour permettre au système de santé de répondre à ses missions. Ils font valoir que, le décret s'appliquant, aux termes de son article 3, " aux contrats de mise à disposition signés à compter du 1er juillet 2024 ", alors qu'il a été publié au Journal officiel le 25 juin 2024, ils n'ont disposé que d'un délai extrêmement bref pour se mettre en conformité avec ses nouvelles dispositions, et, en particulier, pour rassembler les pièces justificatives requises par l'arrêté du 28 juin 2024 fixant à titre transitoire la liste des pièces justificatives mentionnées aux articles R. 6115-2 du code de la santé publique et R. 313-30-6 du code de l'action sociale et des familles, à savoir, à titre transitoire, une attestation sur l'honneur du professionnel concerné qu'il remplit bien la condition d'avoir exercé pendant deux ans dans un cadre autre que celui du travail temporaire et la copie du diplôme ou de l'autorisation d'exercice de la profession. Eu égard à la légèreté des obligations ainsi mises à la charge des entreprises de travail temporaire et des salariés intervenant dans ce cadre, et à l'absence de démonstration, par les syndicats requérants, qu'elles seraient de nature soit à déséquilibrer leur activité économique, soit à réduire notablement l'offre de travail temporaire et à faire obstacle à ce qu'une réponse soit apportée aux besoins des établissements sociaux et médico-sociaux, la condition d'urgence à suspendre l'exécution du décret attaqué ne peut être regardée comme remplie.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition tenant à l'existence d'un moyen sérieux, la requête du Syndicat professionnel " Prism'Emploi " et autre doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce qu'il y a lieu de faire selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête des syndicats professionnels " Prism'Emploi " et " Syndicat national du travail temporaire " est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat " Prism'Emploi ", premier dénommé.

Copie en sera adressée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 495800
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2024, n° 495800
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495800.20240711
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