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10/07/2024 | FRANCE | N°494846

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 10 juillet 2024, 494846


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 et 25 juin et 3 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la " Défense Collective " de Rennes, M. B... C... et M. A... D... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution du décret du 3 avril 2024 portant dissolution du groupement de fait " Défense Collective " ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 et 25 juin et 3 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la " Défense Collective " de Rennes, M. B... C... et M. A... D... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 3 avril 2024 portant dissolution du groupement de fait " Défense Collective " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt à agir ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le décret contesté fait obstacle à la poursuite des activités de la " Défense Collective ", expose ses membres à des poursuites pénales et porte atteinte aux libertés d'association, de manifester et d'expression, sans qu'il soit fait état de circonstances particulières de nature à renverser cette présomption d'urgence ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

- le décret contesté repose sur des faits matériellement inexacts en ce que, en premier lieu, la présentation de l'organisation, du fonctionnement et de l'identification de la " Défense Collective " est erronée, en deuxième lieu, la " Défense Collective " ne partage aucun lien organique ou matériel avec le média indépendant " Rennes DTR " et, en dernier lieu, les références aux procédures judiciaires sont lacunaires ou erronées ;

- il repose sur des faits imputables au média indépendant " Rennes DTR ", en ce que, d'une part, les publications sur les réseaux sociaux Instagram et Facebook appelant à la violence comme voie du militantisme proviennent des comptes du média et, d'autre part, les faits de violence mentionnés ont été commis lors de mobilisations n'ayant été ni organisées, ni revendiquées, ni relayées par la " Défense Collective " ;

- il repose sur des motifs inopérants insusceptibles de justifier le prononcé d'une mesure de dissolution sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dès lors que les interpellations, les procédures judiciaires et les condamnations imputées aux membres de la " Défense Collective ", notamment à son adjoint et son dirigeant, sont erronées ;

- il est entaché d'une erreur de qualification juridique des faits dès lors qu'il repose sur des motifs insusceptibles d'être qualifiés de provocation à des agissements violents contre les personnes ou les biens en manifestation ;

- à titre subsidiaire, la mesure de dissolution n'est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée à la finalité de sauvegarde de l'ordre public et à la gravité des atteintes susceptibles d'être portées à l'ordre public ;

- la mesure de dissolution porte une atteinte injustifiée et disproportionnée aux libertés d'expression, de réunion et d'association dès lors qu'elle ne répond pas à un besoin social impérieux et qu'il n'est pas démontré avoir tenté de recourir à une autre mesure, en méconnaissance des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 14 et 28 juin 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le groupement " Défense Collective ", M. B... C... et M. A... D... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 25 juin 2024, à 10 heures :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de " Défense Collective " et autres ;

- les représentants de " Défense Collective ", ainsi que M. C... et M. D... ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 3 juillet 2024 à 15 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ; (...) ". Aux termes de l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".

3. D'une part, eu égard à la gravité de l'atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d'interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l'ordre public. D'autre part, la décision de dissolution d'une association ou d'un groupement de fait prise sur le fondement de ces dispositions ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article.

4. Par un décret du 3 avril 2024, pris sur le fondement des dispositions précitées du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, le groupement de fait " Défense collective " a été dissout. Par la présente requête, ce groupement et MM. C... et D... ont saisi le juge des référés du Conseil d'Etat d'une demande, fondée sur l'article L. 521 - 1 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de ce décret.

5. En premier lieu, l'atteinte qui est nécessairement portée à la liberté d'association par l'exécution d'un décret prononçant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait est, en principe, constitutive d'une situation d'urgence. Le décret contesté, qui prononce la dissolution du groupement de fait " Défense collective ", crée ainsi, pour les requérants, une situation d'urgence. Si le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir que ceux-ci ont attendu plusieurs semaines avant d'introduire la présente requête en référé et que la protection de l'ordre public justifierait de ne pas suspendre l'exécution de ce décret, il n'apporte pas, s'agissant de cette dernière assertion, d'éléments suffisants à l'appui de ces allégations. Par suite, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme remplie.

6. En second lieu, le décret attaqué fait grief au groupement " Défense collective ", qui se présente comme " un groupe politique fondé à Rennes en 2016 " ayant pour objectif " de soutenir les personnes confrontées à la répression policière et judiciaire " et de sensibiliser aux risques encourus en manifestation, de provoquer à des agissements violents contre les personnes et les biens, lors de manifestations. Pour justifier cette mesure, tant la motivation du décret que les écritures et productions du ministre de l'intérieur et des outre-mer, y compris lors de l'audience publique, invoquent, d'une part, diverses publications du groupement " Défense collective ", la vente d'un T-shirt et l'implication de ses membres dans des actions violentes au cours de manifestations, ayant pour certains donné lieu à des condamnations pénales, d'autre part, de nombreuses publications sur plusieurs réseaux sociaux émanant du média " Rennes DTR " valorisant les actions violentes commises au cours de manifestations contre des biens voire y incitant. Toutefois, d'une part, si les publications émanant de ce média constituent des provocations à la commission de troubles graves à l'ordre public, il ne résulte pas des pièces versées au dossier du juge des référés ni des éléments exposés à l'audience publique que ce média serait, comme le soutient le ministre de l'intérieur et des outre-mer, lié à " Défense collective " de sorte que ses publications pourraient être attribuées au groupement requérant. Le moyen tiré de ce que ces publications ne sauraient justifier la mesure litigieuse apparaît donc, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret. D'autre part, le moyen tiré de ce que les seuls faits qui sont directement imputés au groupement " Défense collective " ne peuvent pas être qualifiés de provocations ou de participation à des agissements troublant gravement l'ordre public de nature à justifier l'application des dispositions précitées du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure est également, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés et dans l'attente du jugement au fond du recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation du décret contesté, qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de ce décret jusqu'à ce qu'il soit statué sur ce recours.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 4 000 euros à verser au groupement " Défense Collective ", à M. C... et à M. D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : Jusqu'à ce qu'il soit statué sur les recours pour excès de pouvoir formés contre le décret du 3 avril 2024 portant dissolution du groupement de fait " Défense collective ", l'exécution de ce décret est suspendue.

Article 2 : L'Etat versera au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme globale de 4 000 euros au groupement " Défense collective ", à M. C... et à M. D....

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au groupement " Défense Collective ", à M. B... C... et à M. A... D... ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2024 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, conseillère d'Etat, présidant ; M. Fabien Raynaud et M. Gilles Pellissier conseillers d'Etat, juges des référés.


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 494846
Date de la décision : 10/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2024, n° 494846
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. G Pellissier
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:494846.20240710
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