Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 17 octobre 2017 par laquelle le conseil départemental de la Gironde a prononcé sa révocation à compter du 1er novembre 2017. Par un jugement n° 170375 du 17 octobre 2019, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n°19BX03084 du 7 juin 2022, la cour administrative de Bordeaux a, sur appel de M. A..., annulé ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 août et 9 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de la Gironde demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2017-105 du 27 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Maître Ridoux, avocat du département de la Gironde et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B... A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., adjoint technique territorial de 2ème classe, exerçant les fonctions d'agent de maintenance des bâtiments au sein du collège Cassignol de Bordeaux a fait l'objet d'une procédure disciplinaire à l'issue de laquelle le président du conseil départemental de la Gironde a, par arrêté du 17 octobre 2017, décidé de le révoquer à compter du 1er novembre 2017. M. A... a demandé l'annulation de cette sanction au tribunal administratif de Bordeaux qui a rejeté sa demande par un jugement du 19 juin 2019. Le département de la Gironde se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement et la décision du 17 octobre 2017 prononçant la révocation de M. A....
2. D'une part, aux termes de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en vigueur à la date de la décision en litige : " I. - Le fonctionnaire consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, sous réserve des II à V du présent article. / Il est interdit au fonctionnaire : 1° De créer ou de reprendre une entreprise lorsque celle-ci donne lieu à immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à affiliation au régime prévu à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, s'il occupe un emploi à temps complet et qu'il exerce ses fonctions à temps plein ; (...) IV. - Le fonctionnaire peut être autorisé par l'autorité hiérarchique dont il relève à exercer à titre accessoire une activité lucrative ou non, auprès d'une personne ou d'un organisme public ou privé dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui lui sont confiées et n'affecte pas leur exercice. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'exercice d'une activité à titre accessoire par un fonctionnaire constitue une dérogation au principe général selon lequel il consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées par l'administration. Le décret du 27 janvier 2017 relatif à l'exercice d'activités privées par des agents publics et certains agents contractuels de droit privé ayant cessé leurs fonctions, aux cumuls d'activités et à la commission de déontologie de la fonction publique précise à son article 6 les activités exercées à titre accessoire susceptibles d'être autorisées, subordonne cet exercice, à son article 7, à la délivrance d'une autorisation par l'autorité dont relève l'agent intéressé, et impose à l'agent concerné, à l'article 8, préalablement à l'exercice d'une telle activité, d'adresser à l'autorité dont il relève une demande écrite précisant notamment la nature, la durée, la périodicité et les conditions de rémunération de cette activité.
3. D'autre part, aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction applicable : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : Troisième groupe : (...) ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ; / Quatrième groupe : / (...) la révocation (...) ".
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. La constatation et la caractérisation des faits reprochés à l'agent relèvent, dès lors qu'elles sont exemptes de dénaturation, du pouvoir souverain des juges du fond. Le caractère fautif de ces faits est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation. L'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises.
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé établies les fautes reprochées à M. A..., en relevant, d'une part qu'il exerçait à titre commercial une activité d'animation de soirées musicales, ne relevant d'aucune des catégories d'activités accessoires autorisées sur le fondement de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 et de l'article 6 du décret du 27 janvier 2017 mentionnés au point 2, et d'autre part qu'en dépit de la mise en demeure de cesser ces activités qui lui avait été adressée et du blâme qui lui avait été infligé le 27 janvier 2017, il n'avait, postérieurement à cette sanction, pas cessé d'exercer cette activité ni fait procéder à la radiation de son entreprise du registre du commerce et des sociétés.
6. D'une part, après avoir déduit de ces constatations, non contestées en cassation, que M. A... avait, ce faisant, adopté un comportement révélant une volonté manifeste de ne pas respecter ses obligations statutaires et de ne pas se conformer aux instructions de sa hiérarchie, la cour administrative d'appel n'a pu juger sans dénaturation des pièces du dossier que de tels faits, qui remettent gravement en cause les règles applicables au cumul d'activité et le principe d'obéissance hiérarchique, n'avaient pas, en dépit de leur réitération, mis en cause l'intérêt ou la dignité du service.
7. D'autre part, eu égard à la gravité des manquements de M. A... à ses obligations statutaires, tels que relevés par la cour administrative d'appel, toutes les sanctions moins sévères que la révocation susceptibles d'être infligées à M. A... en application de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983, étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes qu'il avait commises.
8. Il résulte de ce qui précède que le département de la Gironde est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
10. En premier lieu, d'une part, si M. A... soutient que le tribunal aurait omis de statuer sur le moyen tiré de ce que, à la date de la sanction attaquée, sa société n'était plus domiciliée à l'adresse de son logement de fonctions, cette circonstance, à la supposer établie, était sans incidence sur le bien-fondé de la sanction contestée, qui ne reposait pas sur ce motif. Le tribunal administratif n'était, par suite, pas tenu de répondre à ce moyen inopérant. D'autre part, c'est par un jugement suffisamment motivé que le tribunal administratif a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe " non bis in idem " en jugeant que la sanction de révocation contestée ne s'appliquait pas aux faits ayant justifié le blâme qui lui avait été précédemment infligé, mais au comportement fautif qui a perduré après cette sanction.
11. En second lieu, d'une part, l'activité d'animation de soirées musicales exercée à titre commercial par M. A... ne relève d'aucune des catégories d'activités accessoires autorisées sur le fondement de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 et limitativement énumérées à l'article 6 du décret du 27 janvier 2017. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas sérieusement contesté que, ainsi qu'il a été dit au point 5, en dépit du refus explicite opposé à sa demande d'exercer cette activité qui lui a été adressé le 26 septembre 2016, des mises en demeure de cesser cette activité qui lui ont été adressées et du blâme qui lui a été infligé le 17 janvier 2017, M. A... a poursuivi cette activité. Au regard de la gravité des fautes ainsi commises, et quand bien même cette activité ne l'aurait pas empêché d'accomplir les missions qui lui étaient dévolues dans le cadre de son emploi au collège Cassignol, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la sanction de révocation qui lui a été infligée est disproportionnée.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros que demande le département de la Gironde au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Gironde, qui n'est pas la partie perdante, les sommes demandées à ce titre par M. A....
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 7 juin 2022 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. A... devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : M. A... versera au département de la Gironde la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département de la Gironde et à M. A....
Délibéré à l'issue de la séance du 27 juin 2024 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 10 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Isidoro
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova