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24/06/2024 | FRANCE | N°495010

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 juin 2024, 495010


Vu la procédure suivante :



Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'une part, de modifier l'ordonnance n° 2406561 du 26 mars 2024 et d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'organiser son retour en France dans les meilleurs délais sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. >


Par une ordonnance n° 2412795 du 29 mai 2024, la juge...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'une part, de modifier l'ordonnance n° 2406561 du 26 mars 2024 et d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'organiser son retour en France dans les meilleurs délais sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2412795 du 29 mai 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a, en premier lieu, enjoint à l'Etat d'exécuter l'ordonnance n° 2406561 du 26 mars 2024 en organisant à ses frais le retour de Mme A... en France et en réexaminant sa situation au regard de son entrée sur le territoire au titre de l'asile à son arrivée en zone d'attente sous astreinte de 100 euros par jour à compter d'un délai de huit jours suivant la notification de l'ordonnance, en deuxième lieu, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de communiquer au tribunal administratif de Paris copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter l'ordonnance du 26 mars 2024 et, en dernier lieu, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 et 20 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 29 mai 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) de mettre fin à la mesure d'injonction prononcée par l'ordonnance du 26 mars 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a considéré que le procès-verbal d'audition du 26 février 2024 ne constituait pas un élément nouveau de nature à supprimer son injonction sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative ;

- c'est à tort que la juge des référés a retenu que le consentement de Mme A... a été vicié par des renseignements erronés en ce que, d'une part, Mme A... avait été informée de la possibilité de se faire assister au cours de la procédure par un avocat ou une association humanitaire et, d'autre part, il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'il aurait été indiqué à Mme A... que le recours à un conseil serait financièrement à sa charge ;

- aucune atteinte grave et manifestement illégale n'a été portée au droit au recours de Mme A... par les services de la police aux frontières de l'aéroport de Paris-Orly.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 et 21 juin 2024, Mme A... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 18 juin 2024, l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les personnes étrangères (ANAFE) demande au juge des référés du Conseil d'Etat de rejeter la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer. Elle soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens exposés dans la requête de Mme A....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et, d'autre part, Mme A... et l'ANAFE ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du jeudi 20 juin 2024, à 14 heures 30 :

- Me Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... ;

- le représentant de Mme A... ;

- les représentantes du ministère de l'intérieur et des outre-mer ;

- les représentantes de l'ANAFE ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 20 juin 2024 à 18 heures puis au 21 juin 2024 à 12 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". Selon l'article L. 521-4 du même code : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin. ".

2. Il résulte de l'instruction que Mme A..., ressortissante ivoirienne, s'est présentée le 22 février 2024 au point de passage frontalier de l'aéroport de Paris-Orly, munie d'un visa touristique de type C d'une durée de vingt jours, délivré le 21 février 2024, valable jusqu'au 27 mars 2024. A l'issue d'un contrôle de la police aux frontières, Mme A..., déclarant rendre visite à son frère résidant à Cachan, a fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français au motif qu'elle ne disposait pas de moyens de subsistances suffisants correspondant à la période et aux modalités de son séjour en France. Après avoir contacté l'ANAFE, elle a présenté une demande d'asile en zone d'attente. A la suite de son entretien avec l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 26 février 2024, une décision de refus d'entrée en France au titre de l'asile prévoyant également son réacheminement vers la Côte d'Ivoire lui a été notifiée. Ayant sollicité le même jour une audition au cours de laquelle elle a déclaré renoncer à son droit au recours contre cette décision et vouloir repartir immédiatement en Côte d'Ivoire, Mme A... a été réacheminée dans ce pays le 27 février 2024. A son retour en Côte d'Ivoire, elle a, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre l'exécution de la décision du 26 février 2024. Par une ordonnance du 26 mars 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à l'Etat d'organiser dans les meilleurs délais, à ses frais, le retour de Mme A... en France et, à son arrivée en zone d'attente, de réexaminer sa situation au regard de son entrée sur le territoire au titre de l'asile. Par une ordonnance du 29 mai 2024, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait appel, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'une part, assorti l'injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard et, d'autre part, rejeté les conclusions reconventionnelles du ministre de l'intérieur et des outre-mer tendant à ce qu'il soit mis fin à cette mesure.

Sur l'intervention :

3. Eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, l'ANAFE justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande de Mme A.... Il y a donc lieu d'admettre son intervention.

Sur la demande en référé :

4. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que le consentement de Mme A..., consigné dans un procès-verbal du 26 février 2024 qu'elle a signé, avait été biaisé par des renseignements erronés donnés par les agents de la police aux frontières, qui lui auraient indiqué qu'elle ne pouvait contester la décision du 26 février 2024 de refus d'entrée au titre de l'asile qu'avec le recours à un avocat à ses frais.

5. Aux termes de l'article L. 352-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de refus d'entrée au titre de l'asile et, le cas échéant, la décision de transfert ne peuvent être exécutées avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures suivant leur notification ou, en cas de saisine du président du tribunal administratif, avant que ce dernier ou le magistrat désigné à cette fin n'ait statué. ". Aux termes de l'article L. 343-1 du même code : " L'étranger placé en zone d'attente est informé, dans les meilleurs délais, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France. Il est également informé des droits qu'il est susceptible d'exercer en matière de demande d'asile (...) ".

6. Contrairement à ce que soutient Mme A..., si l'article L. 352-8 du CESEDA prévoit que la décision de refus d'entrée au titre de l'asile ne peut être exécutée avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures suivant sa notification, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que la personne concernée exerce, y compris dans ce délai de quarante-huit heures, son droit de quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France, ainsi que le prévoit l'article L. 343-1 du même code.

7. Il résulte de l'instruction, qu'à la suite de la décision de refus d'entrée en France au titre de l'asile, Mme A... a, d'une part, expressément renoncé à son droit d'exercer un recours à l'encontre de la décision du 26 février 2024 de refus d'entrée au titre de l'asile et, d'autre part, clairement exprimé son souhait de repartir le plus tôt possible en Côte d'Ivoire. Si Mme A... produit une retranscription d'échanges sur messagerie instantanée avec un représentant de l'ANAFE dans laquelle elle indique, le 8 mars 2024, qu'elle aurait renoncé à contester cette décision et préféré retourner en Côte d'Ivoire parce qu'il lui avait été indiqué qu'une telle contestation impliquait qu'elle ait recours à ses frais à un avocat, cet échange, postérieur de plus d'une semaine à la décision en cause, n'est corroboré ni par le procès-verbal qu'elle a signé, ni par aucun document ou circonstance propre à l'espèce qui seraient concomitants avec le souhait qu'elle a exprimé de repartir dans son pays. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le consentement de Mme A... à renoncer à son droit que la mesure d'éloignement ne soit pas exécutée dans un délai de 48 heures afin d'exercer son droit de quitter la zone d'attente n'aurait pas été libre et éclairé en raison d'indications inexactes sur les conditions dans lesquelles elle pouvait contester le refus d'entrée en France au titre de l'asile.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance du 29 mai 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a refusé de prendre en compte l'élément nouveau invoqué pour mettre fin à la mesure d'injonction prononcée. Par suite, il y a lieu d'annuler cette ordonnance et de mettre fin à l'injonction prononcée par l'ordonnance du 26 mars 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme que demande Mme A... à ce titre.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de l'ANAFE est admise.

Article 2 : L'ordonnance n° 2412795 du 29 mai 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 3 : Il est mis fin aux effets de l'article 1er de l'ordonnance n° 2406561 du 26 mars 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A....

Copie en sera adressée à l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les personnes étrangères.

Fait à Paris, le 24 juin 2024

Signé : Stéphane Hoynck


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 495010
Date de la décision : 24/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2024, n° 495010
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495010.20240624
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