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18/06/2024 | FRANCE | N°494725

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 18 juin 2024, 494725


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 31 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Centre d'imagerie médicale Italie (CIMI) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution de la décision du 17 avril 2024 par laquelle le conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins l'a radiée du tableau de l'ordre ;<

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Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 31 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Centre d'imagerie médicale Italie (CIMI) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 17 avril 2024 par laquelle le conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins l'a radiée du tableau de l'ordre ;

2°) de mettre à la charge du conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que sa radiation du tableau de l'ordre l'oblige à cesser toute activité ce qui, d'une part, l'expose à des difficultés financières puisqu'elle ne perçoit plus de revenus et doit s'acquitter de charges fixes diverses, comprenant notamment les salaires des médecins associés et des salariés, ses loyers, ses équipements et, d'autre part, rend plus difficile l'obtention de soins par les patients et notamment les diagnostics de l'endométriose ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée méconnaît le principe du contradictoire et l'article R. 4113-7 du code de la santé publique dès lors que le conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins ne l'a pas invitée à présenter ses observations orales ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation dès lors que le courrier de notification ne contenait pas la décision du 17 avril 2024 ;

- elle est entachée d'erreurs de fait dès lors que, en premier lieu, les professionnels en exercice sont détenteurs de plus de la moitié de son capital social ce qui permet de garantir son indépendance, en deuxième lieu, les actions de préférence peuvent prévoir des droits spécifiques inférieurs ou supérieurs aux actions ordinaires et, en dernier lieu, les informations supplémentaires destinées aux associés détenant plus de 20 % du capital social ne remettent pas en cause l'obligation d'information complète et égalitaire des associés inscrite dans les statuts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2024, le conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SELAS Centre d'imagerie médicale Italie (CIMI), et d'autre part, le conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 juin 2024, à 10 heures 30 :

- Me Perier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SELAS Centre d'imagerie médicale Italie (CIMI) ;

- les représentants de la SELAS Centre d'imagerie médicale Italie (CIMI) ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes de l'article R. 4113-4 du code de la santé publique, relatif aux sociétés d'exercice libéral dont l'objet social est l'exercice en commun de la profession de médecin, de chirurgien-dentiste ou de sage-femme : " La société est constituée sous la condition suspensive de son inscription au tableau de l'ordre. / La demande d'inscription de la société d'exercice libéral est présentée collectivement par les associés et adressée au conseil départemental de l'ordre du siège de la société par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, accompagnée, sous peine d'irrecevabilité, des pièces suivantes : / 1° Un exemplaire des statuts et, s'il en a été établi, du règlement intérieur de la société ainsi que, le cas échéant, une expédition ou une copie de l'acte constitutif ; (...) 4° Une attestation des associés indiquant : a) La nature et l'évaluation distincte de chacun des apports effectués par les associés ; b) Le montant du capital social, le nombre, le montant nominal et la répartition des parts sociales ou actions représentatives de ce capital ; (...) / L'inscription ne peut être refusée que si les statuts ne sont pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur. (...) Toute modification des statuts et des éléments figurant au 4° ci-dessus est transmise au conseil départemental de l'ordre dans les formes mentionnées au présent article ".

3. Il résulte de ces dispositions que le conseil départemental de l'ordre des médecins, qui doit refuser l'inscription au tableau d'une société d'exercice libéral de médecins dont les statuts ne seraient pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires, doit procéder au même examen lorsque lui est transmise une modification des statuts d'une société inscrite au tableau de l'ordre. S'il estime que cette modification n'est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires, il lui appartient de mettre en demeure la société de se conformer à ces dispositions et, si elle ne le fait pas, de la radier du tableau. Par suite, la décision par laquelle un conseil départemental de l'ordre se prononce sur la conformité d'une modification des statuts d'une société d'exercice libéral aux dispositions législatives et réglementaires a la nature d'une décision prise pour l'inscription au tableau.

4. Il résulte en outre des dispositions des articles L. 4112-4, R. 4112-5, R. 4112-5-1 et R. 4113-8 du code de la santé publique, d'une part, qu'une décision d'un conseil départemental de l'ordre des médecins en matière d'inscription au tableau des sociétés d'exercice libéral doit, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, faire l'objet d'un recours administratif devant le conseil régional puis, au besoin, devant le conseil national et, d'autre part, qu'un recours pour excès de pouvoir contre la décision du conseil national relève de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'Etat. En cas d'urgence, le Conseil d'Etat peut être saisi, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce que la décision prise en matière d'inscription au tableau soit suspendue, alors même qu'il n'aurait pas encore été statué sur le recours administratif.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la SELAS Centre d'imagerie médicale Italie (CIMI), constituée en 1990 pour l'exercice de la profession de médecin par ses membres sous la forme d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée et inscrite depuis lors au tableau de l'ordre des médecins du département de la ville de Paris, regroupait exclusivement des médecins radiologues exerçant dans la société. Ses associés ont décidé, le 21 août 2023, de la transformer en société d'exercice libéral par actions simplifiées, de modifier ses statuts et ont agréé, le 21 septembre 2023, des modifications statutaires et capitalistiques de la société. A la suite de la communication au conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins de ces modifications, cette autorité l'a invité le 17 janvier 2024 à lui communiquer les documents contractuels correspondant aux modification statutaires et capitalistiques intervenues. Après avoir mis en demeure le 8 février 2024 la société de modifier les dispositions statutaires relatives, d'une part, à la répartition des droits financiers conférés aux associés et, d'autre part, celles relatives aux modalités d'information de ceux-ci et de lui communiquer divers documents, le conseil départemental a décidé, le 17 avril 2024, de radier la société du tableau de l'ordre, au motif que résultait des stipulations contractuelles des statuts une répartition des droits financiers contraire au principe d'indépendance prévu à l'article R. 4127-5 du code de la santé publique et un droit à l'information des associés contraire aux dispositions de l'article L. 223-26 du code de commerce. Par lettre du 14 mai 2024, la société CIMI a saisi le conseil régional d'Ile de France de l'ordre des médecins d'un recours administratif contre la décision du conseil départemental de l'ordre. Elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de la décision du conseil départemental.

Sur la condition d'urgence :

6. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

7. Aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales : " La société ne peut exercer la ou les professions constituant son objet social qu'après agrément par l'autorité ou les autorités compétentes ou son inscription sur la liste ou les listes ou au tableau de l'ordre ou des ordres professionnels ". La radiation de la société CIMI du tableau de l'ordre des médecins a ainsi pour effet, en application de ces dispositions, de lui interdire d'exercer son activité et, par suite, notamment, d'exploiter des équipements matériels lourds d'imagerie médicale et expose la société à des risques que la caisse primaire d'assurance maladie de Paris suspende le paiement des forfaits techniques liés à l'utilisation de ces équipements. L'arrêt de son activité privera de revenu professionnel les dix-neuf salariés qu'elle emploie, ainsi que, pour une part, les radiologues associés en son sein. La société CIMI justifie ainsi d'une atteinte grave et immédiate à sa situation et à celle des salariés et des praticiens travaillant en son sein.

8. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence justifiant la suspension de l'exécution de la décision attaquée est remplie.

Sur le moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :

9. Aux termes de l'article R. 4113-7 du code de la santé publique : " La décision de refus d'inscription est motivée. Elle est notifiée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à chacun des intéressés. Elle ne peut être prise qu'après que les intéressés ont été appelés à présenter au conseil de l'ordre toutes explications orales ou écrites. / Si l'inscription est prononcée, notification en est faite à chacun des associés dans les mêmes formes (...) ".

10. Si le conseil de l'ordre a invité la société CIMI à lui communiquer des documents relatifs au changement de forme sociale de la société et à la modification de ses statuts, puis a mis en demeure la société de régulariser ses statuts, les courriers en cause, pas plus que les éléments produits lors de la procédure écrite et ceux échangés lors de l'audience publique, ne permettent d'établir que le conseil de l'ordre se serait prononcé le 17 avril 2024 après avoir appelé la société requérante ou ses associés à présenter des explications orales sur les éléments ayant fondé la décision de radiation.

11. Le moyen tiré de ce que, toute décision de radiation du tableau devant, sauf disposition spéciale contraire, suivre les formes prévues pour les refus d'inscription au tableau, la décision attaquée serait entachée d'un vice de procédure tenant à l'absence d'invitation à présenter au préalable des explications orales devant le conseil départemental de l'ordre, laquelle n'aurait pu, en l'espèce, que priver la société et ses associés d'une garantie ou influer sur le sens de la décision prise, est ainsi de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que doit être suspendue l'exécution de la décision du 17 avril 2024 du conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins radiant la société CIMI du tableau de l'ordre.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins une somme de 3 000 euros à verser à la société requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, lesquelles font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par le conseil départemental de l'ordre au même titre.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de la décision du 17 avril 2024 par laquelle le conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins a radié la société CIMI du tableau de l'ordre des médecins est suspendue.

Article 2 : Le conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins versera une somme de 3 000 euros à la société CIMI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SELAS Centre d'imagerie médicale Italie et au conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins.

Copie en sera adressée au conseil régional d'Ile de France de l'ordre des médecins.

Fait à Paris, le 18 juin 2024

Signé : Stéphane Hoynck


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 494725
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2024, n° 494725
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:494725.20240618
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