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12/06/2024 | FRANCE | N°492584

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 12 juin 2024, 492584


Vu les procédures suivantes :



1°) Sous le n° 492584, par deux mémoires, enregistrés le 14 mars et le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Aéroports de la Côte d'Azur, la société Aéroports de Lyon et la société Aéroport Toulouse-Blagnac demandent au Conseil d'État, à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2024-90 du 8 février 2024 précisant les modalités de déclaration

et d'acquittement de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longu...

Vu les procédures suivantes :

1°) Sous le n° 492584, par deux mémoires, enregistrés le 14 mars et le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Aéroports de la Côte d'Azur, la société Aéroports de Lyon et la société Aéroport Toulouse-Blagnac demandent au Conseil d'État, à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2024-90 du 8 février 2024 précisant les modalités de déclaration et d'acquittement de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 100 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

2°) Sous le n° 492595, par deux mémoires, enregistrés le 14 mars et le 25 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Aéroports de Paris demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2024-90 du 8 février 2024 précisant les modalités de déclaration et d'acquittement de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 100 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

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3°) Sous le n° 492637, par deux mémoires, enregistrés le 15 mars et le 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Area, la société des autoroutes Esterel-Côte-d'Azur (ESCOTA), la société APRR, la société Autoroutes du sud de la France (ASF), la société Cofiroute, la société des Autoroutes du nord et de l'est de la France (SANEF), la société des Autoroutes de Paris Normandie (SAPN), la société Autoroutes de liaison Seine-Sarthe (ALiS) et la société Atlandes demandent au Conseil d'État, à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2024-90 du 8 février 2024 précisant les modalités de déclaration et d'acquittement de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 100 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 qui n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023.

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4°) Sous le n° 492662, par deux mémoires, enregistrés le 18 mars et le 26 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'Union des aéroports français et francophones associés demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2024-90 du 8 février 2024 précisant les modalités de déclaration et d'acquittement de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 425-1 à L. 425-20 du code des impositions sur les biens et services, à l'exception des mots " d'une ou de plusieurs infrastructures de transport de longue distance au sens de l'article L. 425-4 " figurant à l'article L. 425-2 du code des impositions sur les biens et services, et des termes " ainsi qu'au 1° de l'article L. 421-94 et à l'article L. 425-1 du code des impositions sur les biens et services " figurant au premier alinéa du 4° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, et du 4° de l'article L. 1512-20 du code des transports, dans leur rédaction issue de l'article 100 de la loi de finances pour 2024.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code des impositions sur les biens et services ;

- le code des transports ;

- la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, notamment son article 100 ;

- la décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Aéroports de la Côte d'Azur et autres et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Area et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Les sociétés Aéroport de la Côte-d'Azur et autres, la société Aéroports de Paris, les sociétés Area et autres et l'Union des aéroports français et francophones associés soulèvent, à l'appui de leurs requêtes tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 8 février 2024 précisant les modalités de déclaration et d'acquittement de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance, des questions prioritaires de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mêmes dispositions législatives. Il y a lieu de joindre ces questions et de statuer par une seule décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Les dispositions de l'article 100 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 ont notamment inséré, au sein du code des impositions sur les biens et services, des articles L. 425-1 à L. 425-20 afin d'instituer une taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance.

4. En particulier, l'article L. 425-2 de ce code, résultant de cet article 100, dispose : " Est soumise à la taxe l'exploitation d'une ou de plusieurs infrastructures de transport de longue distance au sens de l'article L. 425-4 lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1° L'exploitation est rattachée au territoire de taxation mentionné à l'article L. 425-3 dans les conditions prévues à l'article L. 425-5 ; 2° Les revenus de l'exploitation, au sens de l'article L. 425-6, encaissés au cours de l'année civile excèdent 120 millions d'euros ; 3° Le niveau moyen de rentabilité de l'exploitant, au sens de l'article L. 425-8, excède 10 % ". L'article L. 425-3 définit le territoire de taxation et l'article L. 425-4 l'infrastructure de transport de longue distance. L'article L. 425-5 détermine les conditions selon lesquelles l'exploitation d'une infrastructure de transport de longue distance est rattachée au territoire de taxation. Les articles L. 425-6, L. 425-7 et L. 425-8 définissent les revenus de l'exploitation d'infrastructures de transport de longue distance et le niveau de rentabilité pris en compte pour l'établissement de la taxe. Le montant de la taxe est déterminé par l'article L. 425-12, l'article L. 425-15 identifiant pour sa part son redevable. Par ailleurs, l'article L. 1512-20 du code des transports affecte le produit de la taxe à l'établissement public mentionné à l'article L. 1512-19 de ce code.

5. En premier lieu, les dispositions résultant de l'article 100 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 sont applicables aux litiges procédant des recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation du décret du 8 février 2024 qui a été pris pour leur application.

6. En deuxième lieu, si, par sa décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les mots " d'une ou de plusieurs infrastructures de transport de longue distance au sens de l'article L. 425-4 " figurant à l'article L. 425-2 du code des impositions sur les biens et services résultant de l'article 100 de la loi du 29 décembre 2023, les autres dispositions issues de cet article 100 n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. En troisième lieu, selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Cette exigence n'est pas respectée si l'impôt revêt un caractère confiscatoire ou fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

8. Les requérantes font valoir, à l'appui des questions prioritaires de constitutionnalité qu'elles soulèvent, que les dispositions résultant de l'article 100 de la loi du 29 décembre 2023 de finance pour 2024, en tant notamment qu'elles définissent les infrastructures de transport de longue distance dont l'exploitation est soumise à la taxe en cause, qu'elles en déterminent les critères d'assujettissement et qu'elles prennent en compte une condition tenant au niveau moyen de rentabilité de l'exploitant, portent atteinte au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques.

9. Ces moyens soulèvent des questions qui présentent un caractère nouveau ou sérieux au sens de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées mettant en cause la conformité à la Constitution des dispositions résultant de l'article 100 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

D E C I D E :

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Article 1er : Les questions de la conformité à la Constitution des dispositions résultant de l'article 100 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 sont renvoyées au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée aux sociétés Aéroport de la Côte d'Azur et autres, à la société Aéroport de Paris, aux sociétés Area et autres, à l'Union de aéroports français et francophones et associés et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, président de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat ; Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 12 juin 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Marie Prévot

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 492584
Date de la décision : 12/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2024, n° 492584
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Prévot
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492584.20240612
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