Vu la procédure suivante :
M. C... et Mme B... A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de les prendre en charge sans délai dans le cadre de l'hébergement d'urgence, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 2402594 du 6 mai 2024, le juge des référés du tribunal administratif a, d'une part, admis M. et Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 mai et 4 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 6 mai 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de faire droit à leur demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, ils occupent irrégulièrement un hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile et, d'autre part, l'état de santé de M. A... est incompatible avec une vie sans domicile fixe ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit à l'hébergement d'urgence ;
- la carence de l'Etat dans sa mission d'hébergement d'urgence méconnaît leur droit à l'hébergement d'urgence dès lors que, d'une part, ils relèvent du droit commun de l'hébergement d'urgence au sens de l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles et, d'autre part, il n'est pas démontré que le dispositif d'hébergement d'urgence de la Haute-Garonne soit saturé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2024, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. et Mme A... et, d'autre part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 5 juin 2024, à 11 heures 30 :
- Me Cyrille Lesourd, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et Mme A... ;
- la représentante de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) "
2. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse ". Aux termes de l'article L. 345-2-2 du même code : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. / L'hébergement d'urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, les besoins de la personne accueillie (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. "
3. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 2, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.
4. M. et Mme A... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne de les prendre en charge dans une structure d'hébergement d'urgence. Ils font appel de l'ordonnance du 6 mai 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande pour défaut d'urgence.
5. Il résulte de l'instruction que M. et Mme A..., ressortissants albanais, sont entrés en France le 28 juin 2022 et ont présenté des demandes d'admission au statut de réfugié politique, à la suite de quoi ils ont été accueillis dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile. En raison de son état de santé, M. A..., qui souffre d'un diabète avec de sérieuses complications, a présenté une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoit que : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) " Il a été mis en possession d'un récépissé de cette demande, Mme A... recevant une autorisation provisoire de séjour en qualité d'accompagnante. Après le rejet définitif de leur demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile le 11 mars 2024, M. et Mme A... ont été invités à quitter leur lieu d'hébergement, sans toutefois obtenir, en dépit des démarches effectuées, de solution d'hébergement susceptible de prendre le relai.
6. Compte tenu de la gravité de l'état de santé de M. A..., qui se trouverait dans une situation de détresse médicale caractérisée s'il devait se retrouver sans abri, l'absence de toute proposition d'hébergement d'urgence constitue une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission confiée à l'Etat par les dispositions rappelées au point 2, alors même que les requérants ont pu, jusqu'à ce jour, se maintenir au sein d'un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile qu'il leur a été demandé de quitter, sans que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ne produise aucun élément attestant que cet hébergement serait susceptible d'être maintenu, jusqu'à ce que, conformément aux obligations résultant pour l'Etat des dispositions des articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles citées au point 2, une proposition d'orientation vers une structure d'hébergement stable ou un logement adapté à leur situation leur soit faite, ni que serait assuré, dans cette attente, l'accompagnement social prévu par ces dispositions. Dans les circonstances de l'espèce, cette situation fait ainsi apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ainsi qu'une situation d'urgence.
7. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'elle a rejeté la demande en référé et, faisant droit à cette demande, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de prendre en charge sans délai M. et Mme A... au titre de l'hébergement d'urgence, sans qu'il y ait lieu, à ce stade, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 6 mai 2024 est annulée en tant qu'elle rejette la demande en référé de M. et Mme A....
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de prendre en charge sans délai M. et Mme A... au titre de l'hébergement d'urgence.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. et Mme A... est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C..., premier dénommé, et à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement.
Copie en sera adressée au préfet de la région Occitanie, préfet de la Haute-Garonne.
Fait à Paris, le 6 juin 2024
Signé : Alain Seban