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19/04/2024 | FRANCE | N°493350

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 19 avril 2024, 493350


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, de suspendre, jusqu'au relogement de sa famille, l'exécution de la décision du 27 mars 2024 par laquelle le sous-préfet de Grasse l'a mis en demeure, comme occupant sans droit ni titre, de quitter l'appartement 221 appartenant à la SA 3F SUD, bailleur social, situé dans le bâtiment N

2 de la " Résidence Les fleurs de Grasse ", Route de Cannes à Gras...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, de suspendre, jusqu'au relogement de sa famille, l'exécution de la décision du 27 mars 2024 par laquelle le sous-préfet de Grasse l'a mis en demeure, comme occupant sans droit ni titre, de quitter l'appartement 221 appartenant à la SA 3F SUD, bailleur social, situé dans le bâtiment N2 de la " Résidence Les fleurs de Grasse ", Route de Cannes à Grasse, dans un délai de quarante-huit heures sous peine d'expulsion par la force publique. Par une ordonnance n° 2401716 du 3 avril 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nice, après avoir admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté sa demande.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 et 18 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance du 3 avril 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Nice est entachée d'irrégularité dès lors, d'une part, que le mémoire en défense a été communiqué postérieurement au début de l'audience, en méconnaissance des principes de l'instruction contradictoire et de l'égalité des armes et, d'autre part, que l'ordonnance ne reprend pas dans ses visas d'audience le moyen en réponse tiré de ce que la sous-préfecture n'a pas justifié de la réception du titre de propriété produit le 26 mars 2024 ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que sa famille se retrouverait effectivement sans abri en cas de mise en œuvre de la mesure d'expulsion forcée et que le sous-préfet n'a pas respecté le délai de 48 heures prévu pour que soit mise en œuvre la mesure d'expulsion prévue par l'article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au logement dès lors que, contrairement aux dispositions de l'article 38 de la loi du 5 mars 2007, il n'est pas établi, d'une part, qu'il se soit introduit et maintenu dans le logement " à l'aide de manœuvres, menaces, voie de fait ou de contrainte ", ni, d'autre part, que le sous-préfet de Grasse lui a adressé sa mise en demeure dans le délai de quarante-huit heures fixé par la loi.

Par une décision du 11 avril 2024 du bureau d'aide juridictionnelle établi près le Conseil d'Etat, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 ;

- la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. M. B..., qui occupe avec sa femme et son fils né le 10 juillet 2023, l'appartement n° 221 situé dans le bâtiment N2 de la " Résidence Les fleurs de Grasse ", Route de Cannes à Grasse, propriété de la SA 3F SUD, bailleur social, a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 27 mars 2024 par laquelle, en application de l'article 38 de la loi du 5 mars 2007, le sous-préfet de Grasse l'a mis en demeure, comme occupant sans droit ni titre, de quitter avec sa famille cet appartement, dans un délai de 48 heures sous peine d'expulsion par la force publique. Il relève appel de l'ordonnance du 3 avril 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale ". Aux termes de l'article R. 522-4 du même code : " Notification de la requête est faite aux défendeurs / Les délais les plus brefs sont donnés aux parties afin de fournir leurs observations (...) ". Enfin l'article R. 522-7 du même code dispose : " L'affaire est réputée en état d'être jugée dès lors qu'a été accomplie la formalité prévue au premier alinéa de l'article R. 522-4 et que les parties ont été régulièrement convoquées à une audience publique pour y présenter leurs observations ".

4. Ces dispositions font obligation au juge des référés, sauf dans le cas où il est fait application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, de communiquer au demandeur par tous moyens, notamment en le mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les observations de la partie adverse. Cette communication doit être établie par les pièces du dossier, notamment par les visas de la décision ou par le procès-verbal de l'audience publique.

5. Il ressort des pièces du dossier que la préfecture, ayant reçu, par la voie de l'application Télérecours, le 2 avril 2024 à 9h57, la demande de M. B... et l'avis d'audience pour une audience fixée le jour même à 14h00, a produit, à 14h01, en utilisant cette application, un mémoire en défense en réponse à la communication de la demande de M. B.... Ce mémoire, visé et analysé dans l'ordonnance attaquée, a été immédiatement communiqué en début d'audience au conseil de l'intéressé qui a pu en prendre connaissance et, compte tenu notamment du contenu de ce mémoire, y répondre sans priver M. B... de la possibilité de faire valoir ses arguments en défense, ni, d'ailleurs de la possibilité de solliciter, le cas échéant, du juge des référés un report de l'instruction dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 522-8 du code de justice administrative. M. B... n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que l'ordonnance serait entachée d'irrégularité pour avoir méconnu le principe de l'instruction contradictoire ou rompu l'égalité des armes.

6. En second lieu, la circonstance que le juge des référés du tribunal administratif qui n'était d'ailleurs pas tenu de faire apparaître dans les visas de l'ordonnance attaquée, les moyens ou les arguments présentés oralement lors de l'audience, n'a pas repris l'argument présenté oralement en réponse au mémoire en défense, tiré de ce que la sous-préfecture n'a pas justifié de la réception du titre de propriété produit le 26 mars 2024 par le bailleur social, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité cette ordonnance.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

7. Aux termes de l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale : " En cas d'introduction et de maintien dans le domicile d'autrui, qu'il s'agisse ou non de sa résidence principale, à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, la personne dont le domicile est ainsi occupé ou toute personne agissant dans l'intérêt et pour le compte de celle-ci peut demander au préfet de mettre en demeure l'occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l'occupation illicite par un officier de police judiciaire. / La décision de mise en demeure est prise par le préfet dans un délai de quarante-huit heures à compter de la réception de la demande. Seule la méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa ou l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général peuvent amener le préfet à ne pas engager la mise en demeure. En cas de refus, les motifs de la décision sont, le cas échéant, communiqués sans délai au demandeur. / La mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d'affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée à l'auteur de la demande. / Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder sans délai à l'évacuation forcée du logement, sauf opposition de l'auteur de la demande dans le délai fixé pour l'exécution de la mise en demeure ".

8. Par une décision QPC n° 2023-1038 du 24 mars 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les dispositions de l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, sous la réserve énoncée à son paragraphe 12 aux termes de laquelle : " ces dispositions prévoient que le préfet peut ne pas engager de mise en demeure dans le cas où existe, pour cela, un motif impérieux d'intérêt général. Toutefois, elles ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au principe de l'inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le préfet à procéder à la mise en demeure sans prendre en compte la situation personnelle ou familiale de l'occupant dont l'évacuation est demandée ".

9. Pour retenir qu'au cas d'espèce, la demande présentée par M. B... ne présentait pas un caractère d'urgence justifiant qu'à très brève échéance, il soit fait droit à sa demande de suspension de la mise en demeure ou à l'injonction de relogement, le juge des référés du tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance dont la préfecture faisait état sans être contredite, que l'intéressé, étant toujours, en l'absence de résiliation de son bail, locataire d'un autre logement qu'il avait pris l'initiative de quitter récemment, ne pouvait prétendre, alors même qu'il avait rendu les clés à l'agence, être regardé sans hébergement en cas d'expulsion de celui, appartenant à la SA 3F SUD, qu'il occupait sans droit ni titre. En appel, M. B... n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les éléments ainsi retenus. En outre, M. B... qui est le destinataire de la mesure contestée et non son bénéficiaire, ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir, comme il le fait en cause d'appel, de la circonstance que le sous-préfet de Grasse n'aurait pas, en prenant sa décision le 27 mars 2024, respecté le délai de 48 heures prévu par l'article 38 de la loi du 5 mars 2007, pour faire droit à la demande d'expulsion qui lui avait été adressée pour le compte du bailleur social, mais aurait attendu " un délai de dix jours " pour y satisfaire, délai qui, au demeurant, a résulté de l'attente de la production du titre de propriété, parvenu le 26 mars 2024, pour que la sous-préfecture s'estime saisie d'un " dossier complet ".

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en application des dispositions de l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la SA 3F SUD.

Fait à Paris, le 19 avril 2024

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 493350
Date de la décision : 19/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 19 avr. 2024, n° 493350
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493350.20240419
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