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12/04/2024 | FRANCE | N°493026

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 12 avril 2024, 493026


Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée par le maire de la commune de Trois-Rivières, le président du Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) et le préfet de la Guadeloupe à ses libertés fondamentales et, d'autre part, d'enjoindre au maire de la commune de Trois-Rivières, au président du

SMGEAG et au préfet de la Guadeloupe, de prendre toutes les mesures...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée par le maire de la commune de Trois-Rivières, le président du Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) et le préfet de la Guadeloupe à ses libertés fondamentales et, d'autre part, d'enjoindre au maire de la commune de Trois-Rivières, au président du SMGEAG et au préfet de la Guadeloupe, de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de ses libertés fondamentales, notamment en mettant en œuvre certaines des mesures prévues au plan " ORSEC eau potable " telle que la distribution d'eau embouteillée. Par une ordonnance n° 2400366 du 25 mars 2024, la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 30 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 25 mars 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée par le maire de la commune de Trois-Rivières, le président du SMGEAG et le préfet de la Guadeloupe à ses libertés fondamentales ;

3°) d'enjoindre au maire de la commune de Trois-Rivières, au président du SMGEAG et au préfet de la Guadeloupe, de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de ses libertés fondamentales, notamment en mettant en œuvre certaines des mesures prévues au plan " ORSEC eau potable " telle que la distribution d'eau embouteillée en quantité suffisante ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance contestée est entachée d'irrégularité dès lors qu'elle est fondée sur un mémoire en défense déposé par la préfecture de la Guadeloupe après la clôture de l'instruction et communiqué après l'audience, en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, elle est exposée à un risque de santé publique en ce qu'elle est privée d'accès à l'eau potable depuis plus de trois ans et, d'autre part, elle ne peut pas se rendre aux distributions d'eau en raison de sa situation de handicap ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- la carence du maire de la commune de Trois-Rivières, du président du SMGEAG et du préfet de la Guadeloupe à garantir les besoins élémentaires en eau des administrés porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l'eau et à l'assainissement ainsi qu'à son droit au respect de la dignité humaine ;

- c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande au motif qu'elle portait sur l'état généralisé de la Guadeloupe.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient, en premier lieu, qu'il n'est pas établi que l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité, en deuxième lieu, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en dernier lieu, que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2024, la commune de Trois-Rivières et le Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe concluent au rejet de la requête. Ils soutiennent que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B..., et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, le maire de la commune de Trois-Rivières, et le SMGEAG ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 avril 2024, à 15 heures :

- Me Périer, avocat au Conseil d'Etat, avocat de Mme B... ;

- la représentante du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat, avocat de la commune de Trois-Rivières et du Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". L'article L. 522-1 du même code prévoit que : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale (...) ". Aux termes de l'article R. 522-8 du même code : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l'audience et avant la clôture de l'instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d'apporter au juge la preuve de ses diligences. / L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il décide de communiquer, après la clôture de l'instruction, un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, le juge des référés doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il lui appartient, en pareil cas, sauf à fixer une nouvelle audience, d'informer les parties de la date et, le cas échéant, de l'heure à laquelle l'instruction sera close. Il ne saurait, en toute hypothèse, rendre son ordonnance tant que l'instruction est en cours sans entacher la procédure d'irrégularité.

3. Il ressort des pièces de la procédure devant la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe que celle-ci a communiqué à Mme B... le mémoire en défense du représentant de l'Etat postérieurement à l'audience qu'elle a tenue le 25 mars 2024 à 12 heures et à l'issue de laquelle elle a clôt l'instruction. En procédant à cette communication, la juge des référés doit être regardée comme ayant nécessairement rouvert l'instruction. Il s'ensuit qu'en rendant son ordonnance rejetant la demande dont elle était saisie le jour même, quelques minutes après cette communication, alors que l'instruction n'était pas close, la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a entaché la procédure d'irrégularité.

4. Il y a lieu, par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête d'appel, d'annuler l'ordonnance attaquée et de statuer sur la demande présentée par Mme B... au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe par la voie de l'évocation.

5. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de justice administrative que lorsqu'un requérant fonde son action sur la procédure particulière instituée à cet article, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d'urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par cet article soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures.

6. Il résulte de l'instruction que s'il est constant que la vétusté du réseau de distribution d'eau potable en Guadeloupe et le niveau particulièrement bas des nappes phréatiques ne permettent pas une alimentation continue des usagers de plusieurs communes, dont la commune de Trois-Rivières où réside la requérante, le Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) a instauré un système de " tours d'eau " qui garantit une distribution d'eau potable à l'ensemble des usagers, sans limitation de volume, la moitié de la journée. Le SMGEAG soutient ainsi sans être contesté que le quartier où réside la requérante est alimenté en eau potable tous les jours entre 4h et 15h. Dans ces conditions, ni la circonstance que l'invalidité dont souffre Mme B... ne lui permettrait pas de bénéficier des distributions d'eau en bouteille, alors au demeurant qu'elle n'établit pas avoir fait connaître aux organismes en mesure de lui fournir une aide les difficultés qu'elle pouvait rencontrer à cet égard, ni la dégradation d'un élément du réseau le 19 mars 2024, qui n'a pas affecté la distribution d'eau potable aux usagers de la commune de Trois-Rivières et qui a en outre été réparée, ne sont de nature à établir l'existence, pour Mme B..., d'une situation d'urgence rendant nécessaire l'intervention à très bref délai du juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par Mme B... au juge du référé du tribunal administratif de la Guadeloupe doit être rejetée.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à sa charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande sur ce fondement.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 25 mars 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulée.

Article 2. La demande présentée par Mme B... au juge du référé du tribunal administratif de la Guadeloupe ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à la commune de Trois-Rivières et au Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe.

Fait à Paris, le 12 avril 2024

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 493026
Date de la décision : 12/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 avr. 2024, n° 493026
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493026.20240412
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