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12/04/2024 | FRANCE | N°492722

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 12 avril 2024, 492722


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 19 mars et le 3 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans con

ditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique ;



2°...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 19 mars et le 3 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite ;

- l'obligation faite aux entreprises représentées par le syndicat requérant de modifier définitivement leur politique commerciale leur cause un préjudice financier difficilement réparable ;

- le décret attaqué impacte à hauteur de 2% de leur chiffre d'affaire les filières agricoles ne bénéficiant pas d'une exemption, en raison des surcoûts que les producteurs auront à supporter, dont certaines sont immédiatement impactées du fait de l'approche de la saison d'été ;

- il n'existe pas de solution, pratique ou d'un coût raisonnable, alternative à l'emballage plastique pour certains fruits et légumes, tels les pêches, les abricots, les haricots verts ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- ce décret est entaché d'un vice de procédure en ce que le texte soumis à la consultation publique en application de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement diffère du texte publié ;

- il a été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière faute d'avoir été régulièrement notifié à la Commission européenne en application de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- il a été pris en méconnaissance de l'article 6 de cette directive faute pour le Gouvernement de s'être conformé à l'obligation de report pendant douze mois de son adoption ;

- il a été pris en application des dispositions de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement lesquelles sont incompatibles avec les dispositions des directives européennes n° 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 et n° 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 qui ne permettent pas d'imposer une interdiction générale et absolue des emballages pour fruits et légumes composés de matière plastique ;

- une telle interdiction est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire qui n'ont pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive (UE) n° 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 ;

- la directive (UE) n° 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- la directive (UE) n° 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance) et, d'autre part, le Premier ministre, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 4 avril 2024, à 15 heures :

- Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance) ;

- les représentants du syndicat Plastalliance ;

- les représentants du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

3. Aux termes de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement : " III. - Il est mis fin à la mise à disposition des produits en plastique à usage unique suivants : (....) A compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Cette obligation n'est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu'aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret ". Le décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, pris pour l'application de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, prévoit que cette obligation s'applique aux fruits et légumes frais non transformés, et en exempte 30 catégories de fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de la vente en vrac, ainsi que les fruits mûrs à point. Le syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance) demande la suspension de l'exécution de ce décret, notamment en tant qu'il n'exempte pas une liste plus importante de fruits et légumes, dont les pêches, les abricots et les haricots verts.

4. Pour soutenir qu'il y a urgence à suspendre le décret attaqué, le syndicat requérant soutient que celui-ci préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu'il entend défendre, dès lors que d'une part, son objet aux termes de ses statuts consiste en la défense des entreprises qui produisent, commercialisent ou utilisent des matières plastiques, d'autre part, quatre entreprises du secteur de la production agricole qui commercialisent des fruits et légumes ont adhéré à ce syndicat, enfin, ces entreprises subissent un préjudice économique important à l'approche de la saison d'été du fait de l'interdiction de mettre en vente sous emballage plastique les pêches, les abricots et les haricots verts qu'elles produisent, résultant de l'absence d'exemption par le décret attaqué de ces fruits et légumes. A cet égard, le syndicat requérant avance qu'il n'existe pas d'alternative à coût économiquement raisonnable et d'une qualité équivalente en termes de conservation et de présentation aux consommateurs, alors qu'il existe une demande croissante pour les produits agricoles vendus sous emballage.

5. Cependant, il résulte de l'instruction et des débats qui se sont déroulés à l'audience qu'il existe une alternative à faible coût et ne posant pas de difficulté de mise en œuvre pour la commercialisation des pêches, des abricots et des haricots verts, sous la forme de la vente en vrac dont le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires indique qu'elle représente déjà une part très majoritaire des quantités mises sur le marché en France. Au demeurant, dès lors que les risques de détérioration de ces fruits et légumes à l'occasion de leur vente en vrac n'est ni établie, ni même alléguée, l'obligation de leur présentation à la vente sans emballage plastique doit être regardée comme résultant des dispositions législatives elles-mêmes compte tenu de la condition qu'elles imposent ainsi à l'exemption de certains fruits et légumes, et non du décret attaqué pris pour leur application, celui-ci prévoyant l'exemption des fruits mûrs à point. Enfin, ainsi que le reconnaît le syndicat requérant, la production de plastiques d'emballage pour le secteur agricole constitue une part minime du chiffre d'affaires du secteur économique de la plasturgie qu'il représente. Il en va de même des quatre entreprises agricoles utilisatrices de plastiques d'emballage et adhérentes du syndicat Plastalliance, au regard du chiffre d'affaires qu'elles représentent au sein de ce syndicat, alors qu'au demeurant, aucun organisme représentatif des filières de production agricole dont le syndicat Plastalliance entend faire valoir les conséquences économiques qu'elles subissent, ne s'est associé au présent recours.

6. Dans ces conditions, et dès lors que le recours pour excès de pouvoir introduit par le syndicat requérant contre le décret attaqué sera appelé à une audience dans les trois prochains mois au rapport de la 9ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, il n'apparaît pas que les préjudices allégués soient de nature à caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts défendus par le syndicat requérant, constitutive d'une situation d'urgence telle qu'elle justifie la suspension de son exécution sans attendre le jugement au fond. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué, la présente requête doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance) est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance) ainsi qu'au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Fait à Paris, le 12 avril 2024

Signé : Célia Vérot


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 492722
Date de la décision : 12/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 avr. 2024, n° 492722
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492722.20240412
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