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11/04/2024 | FRANCE | N°493142

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 avril 2024, 493142


Vu la procédure suivante :

Sous le n° 2401016, M. C... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'enjoindre au département de l'Eure de faire toutes les diligences utiles afin d'organiser son placement provisoire en lui octroyant une solution d'hébergement, incluant un logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires, dans un délai de soixante-dou

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Vu la procédure suivante :

Sous le n° 2401016, M. C... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'enjoindre au département de l'Eure de faire toutes les diligences utiles afin d'organiser son placement provisoire en lui octroyant une solution d'hébergement, incluant un logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires, dans un délai de soixante-douze heures et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, puis de 1 000 euros par jour de retard passé un délai de huit jours, à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir.

Sous le n° 2401025, Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, d'enjoindre au département de l'Eure de faire toutes les diligences utiles afin d'organiser son placement provisoire en lui octroyant une solution d'hébergement, incluant un logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires, dans un délai de soixante-douze heures et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, puis de 1 000 euros par jour de retard passé un délai de huit jours, à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir.

Par une ordonnance nos 2401016, 2401025 du 20 mars 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a, d'une part, admis M. D... et Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, enjoint au département de l'Eure d'organiser leur accueil provisoire, comprenant l'hébergement et la prise en charge de leurs besoins alimentaires, dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

M. D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'enjoindre au président du conseil départemental de l'Eure d'exécuter l'ordonnance nos 2401016, 2401025 du 20 mars 2024 dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2401254 du 2 avril 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a, en premier lieu, refusé de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, enjoint au département de l'Eure d'assurer la complète exécution de l'ordonnance nos 2401016, 2401025 du 20 mars 2024 dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et, en dernier lieu, rejeté le surplus de ses conclusions.

Mme A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'enjoindre au président du conseil départemental de l'Eure d'exécuter l'ordonnance nos 2401016, 2401025 du 20 mars 2024 dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2401255 du 2 avril 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a, en premier lieu, refusé de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, enjoint au département de l'Eure d'assurer la complète exécution de l'ordonnance nos 2401016, 2401025 du 20 mars 2024 dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et, en dernier lieu, rejeté le surplus de ses conclusions.

Par une requête, enregistrée le 4 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de l'Eure demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 20 mars 2024 et les deux ordonnances du 2 avril 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de M. D... et Mme A....

Il soutient que :

- l'ordonnance du 20 mars 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen est entachée d'incompétence dès lors que la juridiction administrative n'était pas compétente pour faire exécuter une ordonnance émanant des juridictions de l'ordre judiciaire ;

- aucune carence caractérisée ne peut lui être imputée dans l'accomplissement de sa mission d'accueil provisoire d'urgence des personnes se déclarant mineures étant donné qu'il a déployé tous les moyens dont il disposait pour accueillir ces mineurs et que les structures d'hébergement et d'accompagnement dont il dispose sont saturées ;

- les mesures d'injonction assorties d'astreinte ordonnées par le juge des référés du tribunal administratif de Rouen sont disproportionnées dès lors que, d'une part, au-delà de la date de l'audience publique le 2 mai 2024, les conditions des placements de M. D... et Mme A... incomberont à l'autorité judiciaire et, d'autre part, le montant de l'astreinte représente un coût élevé pour les finances départementales ;

- les ordonnances du 2 avril 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation de l'ordonnance du 20 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de procédure civile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". Aux termes de l'article L. 521-4 du même code : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin. " En vertu de l'article L. 522-3 de ce code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Il résulte de l'instruction menée devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen que M. D... et Mme A..., ressortissants camerounais se prétendant mineurs, ont fait l'objet, suite à des injonctions adressées par le juge des référés du tribunal administratif de Rouen par ordonnances n°s 2400241 et 200240 du 22 janvier 2024, d'un accueil provisoire d'urgence aux fins de vérifier leur minorité. Le département de l'Eure ayant estimé que celle-ci n'était pas démontrée, ils ont saisi le juge des enfants du tribunal judiciaire d'Evreux qui, par deux ordonnances du 23 février 2024, a ordonné une expertise documentaire et enjoint au département de les placer provisoirement auprès de ses services, la prolongation de ce placement devant être débattue contradictoirement le 2 mai 2024. Le département de l'Eure a fait appel de ces ordonnances, qu'il n'a pas exécutées, arguant de la saturation de son dispositif d'accueil. M. D... et Mme A... ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2, cité ci-dessus, du code de justice administrative. Joignant leurs demandes, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, par une ordonnance n°s 2401016 et 2401025 du 20 mars 2024, a enjoint au département de l'Eure d'organiser leur accueil provisoire, comprenant l'hébergement et la prise en charge des besoins alimentaires, dans un délai de 72 heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Saisi sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, devant la carence persistante du département de l'Eure, le juge des référés a porté à 1 000 euros par jour l'astreinte assortissant sa précédente ordonnance, par deux ordonnances n° 2401254 et 2401255 du 2 avril 2024. Le département de l'Eure fait appel des trois ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Rouen des 20 mars et 2 avril 2024.

3. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / (...) 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code prévoit que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

5. L'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Il incombe, dès lors, au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l'administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 et qui, compte tenu de l'urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l'attente d'un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d'accueil ou une famille d'accueil si celui-ci n'est pas matériellement possible à très bref délai.

6. En outre, il appartient, en tout état de cause, aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à de tels traitements, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure prévue par l'article L. 521-2 cité au point 1, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence. Toutefois, la compétence des autorités titulaires du pouvoir de police générale ne saurait avoir pour effet de dispenser le département de ses obligations en matière de prise en charge des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. Par suite, le juge des référés ne pourrait prononcer une injonction à leur égard que dans l'hypothèse où les mesures de sauvegarde à prendre excéderaient les capacités d'action du département.

7. Le département de l'Eure soutient, d'une part, que le juge des référés administratifs n'est pas compétent pour assurer l'exécution des décisions des juridictions de l'ordre judiciaire. Ainsi qu'il a été dit aux points 5 et 6 ci-dessus, il incombe cependant aux autorités publiques et, au premier chef, à la collectivité départementale de prendre en charge l'hébergement des mineurs qui lui sont confiés par le juge des enfants et que, lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission, lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, est susceptible de porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant l'intervention du juge des référés administratifs statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

8. Si le département de l'Eure fait valoir, d'autre part, la saturation de son dispositif d'accueil, en se plaignant en particulier de recevoir des mineurs orientés par la cellule nationale de répartition à l'accueil desquels il affirme ne pouvoir face, il ne résulte pas de l'instruction menée devant le premier juge complétée par la requête et les pièces produites en appel qu'il serait rigoureusement impossible à ce département de pourvoir à l'hébergement temporaire et à la nourriture des deux ressortissants étrangers concernés jusqu'à l'audience que le juge des enfants a fixée au 2 mai prochain pour examiner leur situation et ce alors qu'il résulte de l'instruction que ces deux jeunes gens sont à la rue et réduits à la mendicité et qu'ainsi, la carence du département de l'Eure les expose à des conséquences particulièrement graves.

9. Enfin, eu égard à la carence caractérisée du département de l'Eure à exécuter les décisions juridictionnelles qui s'imposent à lui, les astreintes infligées en première instance apparaissent nécessaires et proportionnées aux circonstances, et notamment aux moyens financiers de la collectivité départementale, et il y a lieu de les confirmer.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le département de l'Eure n'est pas fondé à demander l'annulation des ordonnances qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, ce qu'il y a lieu de faire selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du département de l'Eure est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au département de l'Eure ainsi qu'à M. C... D... et à Mme B... A....

Fait à Paris, le 11 avril 2024

Signé : Alain Seban


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 493142
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 avr. 2024, n° 493142
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493142.20240411
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