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10/04/2024 | FRANCE | N°492844

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 10 avril 2024, 492844


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 22 mars 2024 et les 2 et 4 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société 77 Foods, la société Nutrition et Santé, la société Les Nouveaux Fermiers, la société NxtFood, la société Olga et la société Umiami, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2024-144 du 26 février 2024 relat

if à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportan...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 22 mars 2024 et les 2 et 4 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société 77 Foods, la société Nutrition et Santé, la société Les Nouveaux Fermiers, la société NxtFood, la société Olga et la société Umiami, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2024-144 du 26 février 2024 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que l'entrée en vigueur du décret le 1er mai 2024, en leur interdisant d'utiliser, à titre de marque ou de dénomination, des termes qui sont essentiels à leur stratégie commerciale, selon un calendrier qui ne leur permet pas d'adapter cette stratégie et de modifier les marques, les dénominations, les emballages et leur communication, et que la période transitoire applicable aux produits déjà fabriqués ne permet pas d'assouplir significativement dès lors qu'ils commercialisent des produits frais, les expose à un préjudice économique important et irrémédiable, et porte ainsi une atteinte grave et immédiate à leurs intérêts, d'autre part, qu'aucune urgence ne s'attache à l'entrée en vigueur du décret contesté dès lors que le risque de confusion pour les consommateurs est inexistant et, enfin, que le décret contesté, qui abroge le décret n° 2002-947 du 29 juin 2022, vise à perturber l'examen des questions ayant donné lieu à un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne, en méconnaissance de l'obligation de coopération des Etats membres à l'égard de celle-ci ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

- le décret contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il n'existe pas de risque de confusion pour les consommateurs entre les produits issus de l'élevage et les produits à base de protéines végétales justifiant l'intervention de l'Etat sur leur dénomination ;

- il est entaché d'incompétence négative dès lors que les objectifs fixés par le législateur ne pourront être atteints grâce à cette mesure ;

- en édictant une règle générale concernant l'utilisation des dénominations de denrées alimentaires le décret attaqué méconnaît le paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, en ce qu'il traite d'une question expressément harmonisée par les dispositions des articles 7, 9, 17 et 2 de ce règlement ;

- à supposer qu'une réglementation nationale soit possible, le décret méconnaît les mêmes dispositions en ce qu'il procède par interdiction et non par la prescription d'une adjonction de termes, que le risque de confusion n'a pas été démontré, et que les mesures qu'il prend sont en tout état de cause disproportionnées au regard des objectifs allégués ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il aggrave le risque de confusion allégué en permettant l'utilisation de dénominations dans des langues étrangères et que son champ d'application géographique est imprécis ;

- les sanctions prévues par le décret contre des manquements éventuels des entreprises concernées sont disproportionnées au regard du risque allégué ;

- il est entaché de détournement de pouvoir dès lors que son adoption par le Gouvernement vise à mettre fin à la procédure préjudicielle engagée devant la Cour de justice de l'Union européenne qui soulève les mêmes questions de droit ;

- il procède d'une méconnaissance de l'obligation de coopération loyale avec la Cour de justice de l'Union européenne dans le cadre d'une question préjudicielle.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 mars et 4 avril 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 2 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique déclare s'associer aux conclusions du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Par une intervention, enregistrée le 2 avril 2024, l'association European Plant-Based Foods Association demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête. Elle soutient que son intervention est recevable et que les moyens soulevés par la requête sont fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société 77 Foods et les autres requérants, et d'autre part, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 avril 2024, à 11 heures :

- Me Hannotin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société 77 Foods et des autres requérants ;

- les représentants de la société 77 Foods, de la société Nutrition et santé et de la société Les nouveaux fermiers ;

- les représentantes du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;

- le représentant du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 5 avril 2024 à 15 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;

- le code de la consommation ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'association European Plant-Based Foods Association justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision contestée. Son intervention est, par suite, recevable.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article 38 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. Pour ce qui concerne les questions expressément harmonisées par le présent règlement, les États membres ne peuvent ni adopter ni conserver des mesures nationales, sauf si le droit de l'Union l'autorise. Ces mesures nationales ne peuvent entraver la libre circulation des marchandises, notamment donner lieu à une discrimination à l'encontre de denrées alimentaires provenant d'autres États membres. / 2. Sans préjudice de l'article 39, les États membres peuvent adopter des dispositions nationales concernant des questions qui ne sont pas expressément harmonisées par le présent règlement, pour autant que ces mesures n'aient pas pour effet d'interdire, d'entraver ou de restreindre la libre circulation des marchandises qui sont conformes au présent règlement ". En vertu de l'article 7 (Pratiques loyales en matière d'information) de ce règlement : " 1. Les informations sur les denrées alimentaires n'induisent pas en erreur, notamment : / a) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et, notamment, sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, le pays d'origine ou le lieu de provenance, le mode de fabrication ou d'obtention de cette denrée ; / (...) / d) en suggérant au consommateur, au moyen de l'apparence, de la description ou d'une représentation graphique, la présence d'une denrée ou d'un ingrédient déterminé alors qu'il s'agit en fait d'une denrée dans laquelle un composant présent naturellement ou un ingrédient normalement utilisé dans cette denrée alimentaire a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent. / 2. Les informations sur les denrées alimentaires sont précises, claires et aisément compréhensibles par les consommateurs. / (...) / 4. Les paragraphes 1, 2 et 3 s'appliquent également à : / a) la publicité ; / b) la présentation des denrées alimentaires et notamment à la forme ou à l'aspect donné à celles-ci ou à leur emballage, au matériau d'emballage utilisé, à la manière dont elles sont disposées ainsi qu'à l'environnement dans lequel elles sont exposées ". Selon l'article 9 de ce règlement (Liste des mentions obligatoires) : " 1. Conformément aux articles 10 à 35, et sous réserve des exceptions prévues dans le présent chapitre, les mentions suivantes sont obligatoires : / a) la dénomination de la denrée alimentaire ; / (...) / ". Aux termes de l'article 17 (Dénomination de la denrée alimentaire) de ce règlement : " 1. La dénomination de la denrée alimentaire est sa dénomination légale. En l'absence d'une telle dénomination, la dénomination de la denrée est son nom usuel. À défaut d'un tel nom ou si celui-ci n'est pas utilisé, un nom descriptif est à indiquer. / (...) / 5. Les dispositions spécifiques relatives à la dénomination de la denrée alimentaire et aux mentions dont celle-ci est assortie sont établies à l'annexe VI ". L'article 2 de ce règlement définit les termes de " dénomination légale ", de " nom usuel " et de " nom descriptif ". En vertu du paragraphe 4 de la partie A (Mentions obligatoires dont la dénomination de la denrée alimentaire est assortie) de l'annexe VI (Dénominations de la denrée alimentaire et mentions particulières dont elle est assortie) à ce règlement : " Dans le cas de denrées alimentaires dans lesquelles un composant ou un ingrédient que les consommateurs s'attendent à voir normalement utilisé ou à trouver naturellement présent a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent, l'étiquetage porte - outre la liste des ingrédients - une indication précise du composant ou de l'ingrédient utilisé pour la substitution partielle ou totale : / a) à proximité immédiate du nom du produit ; et / b) en utilisant un corps de caractère tel que la hauteur de x soit au moins égale à 75 % de celle du nom du produit et ne soit pas inférieure à la hauteur minimale du corps de caractère prévue à l'article 13, paragraphe 2, du présent règlement ".

4. Aux termes de l'article L. 412-10 inséré au code de la consommation par l'article 5 de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires : " Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n'est pas possible. Ce décret définit également les modalités d'application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement ".

5. Le décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales a été pris pour l'application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 412-10 du code de la consommation. Aux termes de son article 1er, ce décret s'appliquait " aux denrées alimentaires, fabriquées sur le territoire national, contenant des protéines végétales ". Il prévoyait dans son article 2 l'interdiction d'utiliser, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales : " 1° Une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n'est prévu par les règles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ; 2° Une dénomination faisant référence aux noms des espèces et groupes d'espèces animales, à la morphologie ou à l'anatomie animale ; 3° Une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ; 4° Une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux ". Il disposait dans son article 6 qu'" Il est interdit de détenir en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, de mettre en vente, de vendre ou de distribuer à titre gratuit des denrées qui ne répondent pas aux règles fixées dans le présent décret ". L'article 3 permettait de déroger à ces interdictions pour les denrées alimentaires d'origine animale contenant des protéines végétales dans une proportion déterminée lorsqu'une telle présence est prévue par la réglementation, ou dans la liste figurant en annexe au décret et pour désigner les arômes ou ingrédients alimentaires possédant des propriétés aromatisantes utilisés dans des denrées alimentaires. Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Tout manquement aux dispositions de l'article 6 du présent décret est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 1 500 euros pour une personne physique et 7 500 euros pour une personne morale. / Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V du code de la consommation ". Par une ordonnance n° 465844 du 27 juillet 2022, le juge des référés du Conseil d'Etat a suspendu l'exécution de ce décret en tant qu'il s'applique à l'utilisation, d'une part, d'une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie et, d'autre part, d'une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux visées respectivement aux 3° et 4° de son article 2.

6. Saisi de moyens tirés de ce que le décret mentionné au point 5, en interdisant aux producteurs de denrées alimentaires à base de protéines végétales d'utiliser des dénominations de denrées alimentaires d'origine animale, ou le nom usuel de leurs produits, pour les désigner, d'une part, méconnaît le paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, en ce qu'il traite d'une question expressément harmonisée par les dispositions de ses articles 7 et 17, combinées aux dispositions du paragraphe IV de la partie A de son annexe VI, d'autre part, à supposer qu'une réglementation nationale soit possible, méconnaît les articles 9 et 17 de ce règlement, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, par une décision n°s 465835, 467116 et 468834 en date du 12 juillet 2023, sursis à statuer sur la requête tendant à l'annulation de ce décret jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur des questions relatives à la portée de l'harmonisation opérée par les articles 7 et 17 de ce règlement et, en l'absence d'harmonisation expresse, sur le point de savoir si ces dispositions autorisent un Etat membre à édicter une mesure nationale interdisant l'usage de certaines dénominations usuelles ou descriptives, y compris lorsqu'elles sont accompagnées d'indications complémentaires garantissant l'information loyale du consommateur, ainsi qu'à édicter de telles mesures, dans l'une ou l'autre de ces hypothèses, uniquement à l'égard des produits fabriqués sur son territoire, sans, dans ce cas, méconnaître le principe de proportionnalité de ces mesures.

Sur la demande en référé :

7. Le décret du 26 février 2024 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, d'une part, abroge le décret mentionné au point 5, d'autre part, reprend des dispositions identiques à celles qu'il abroge, notamment en ce qui concerne son champ d'application, les dispositions des articles 3, 6 et 7 et les interdictions énoncées au 1° et au 2° de l'article 2. Les interdictions énoncées au 3° et 4° de l'article 2 du décret abrogé sont remplacées par celle d'utiliser, pour désigner un produit transformé contenant des protéines végétales : " 3° Une dénomination comportant des termes mentionnés dans la liste figurant en annexe I ". Cette liste comprend les termes suivants : " - Filet ; - Faux filet ; - Rumsteck ; - Entrecôte ; - Aiguillette baronne ; - Bavette d'Aloyau ; - Onglet ; - Hampe ; - Bifteck ; - Basse côte ; - Paleron ; - Flanchet ; - Steak ; - Escalope ; - Tendron ; - Grillade ; - Longe ; - Travers ; - Jambon ; - Boucher/Bouchère ; - Charcutier/Charcutière ". Aux termes de l'article 5 de ce décret : " Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou dans un pays tiers, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret. " La société 77 Foods, la société Nutrition et Santé, la société Les Nouveaux Fermiers, la société NxtFood, la société Olga et la société Umiami demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de ce décret.

En ce qui concerne l'urgence :

8. L'urgence est de nature à justifier la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

9. Il résulte de l'instruction que l'exécution du décret contesté, qui fait obstacle à l'usage, pour désigner des denrées fabriquées à base de protéines végétales, de termes dorénavant réservés aux denrées à base de protéines animales, imposerait à certaines des entreprises requérantes de modifier à compter du 1er mai prochain la dénomination de produits qui, pour deux d'entre elles, représentent l'essentiel de leur chiffre d'affaires, en renonçant à des appellations telles que " steak végétal ", " bacon végétal ", " lardons végétaux ", parfois utilisées de longue date, installées dans l'esprit des consommateurs et figurant sur les cartes des restaurateurs qui utilisent leurs produits, alors même que leurs concurrents dont les produits sont fabriqués dans d'autres Etats membres de l'Union européenne pourront, en application de l'article 5 du décret contesté, continuer à utiliser de telles dénominations. Il résulte de l'instruction que l'exécution du décret contesté est de nature à entraîner une baisse importante du chiffre d'affaires de ces deux entreprises, tout en induisant des coûts liés à la modification de leurs emballages, de leurs supports de vente, à la commercialisation des produits sous de nouvelles dénominations et à l'interruption de leurs ventes pendant le délai nécessaire à la fourniture de nouveaux emballages, dans des conditions qui, pour des entreprises en phase de développement, sont de nature à affecter la pérennité de leur activité. En se bornant à faire valoir l'objectif d'information des consommateurs poursuivi par le décret contesté, alors que celui-ci, pris près de quatre ans après la loi dont il entend assurer l'application, vient modifier des pratiques établies de longue date, l'administration n'établit pas d'urgence s'attachant à un intérêt public imposant l'exécution de la mesure. Eu égard aux conséquences qu'impliquerait dès le 1er mai l'exécution du décret contesté pour ces entreprises, les requérantes établissent ainsi une atteinte suffisamment grave et immédiate à leurs intérêts pour justifier l'urgence de leur demande.

Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux :

10. Pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à prononcer le renvoi préjudiciel dans la décision mentionnée au point 6, le moyen tiré de ce qu'en édictant une règle générale concernant l'utilisation des dénominations de denrées alimentaires, le décret attaqué méconnaît le paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, en ce qu'il traite d'une question expressément harmonisée par les dispositions des articles 7, 9, 17 et 2 de ce règlement est, en l'état de l'instruction, propre à faire naître un doute sérieux sur sa légalité.

11. Il résulte de ce qui précède que, les deux conditions prévues par l'article L. 521-1 étant satisfaites, il y a lieu sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, de suspendre l'exécution du décret contesté. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros à verser à chacune des sociétés requérantes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de l'association European Plant-Based Foods Association est admise.

Article 2 : L'exécution du décret n° 2024-144 du 26 février 2024 est suspendue.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 500 euros à chacune des sociétés requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société 77 Foods, première requérante dénommée, à l'association European Plant-Based Foods Association, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Fait à Paris, le 10 avril 2024

Signé : Jean-Yves Ollier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 492844
Date de la décision : 10/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 avr. 2024, n° 492844
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SAS HANNOTIN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492844.20240410
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