Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 décembre 2023 et le 6 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... B... et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir la réponse ministérielle publiée au Journal officiel - Débats parlementaires du 24 octobre 2023, page 9400, en réponse à la question écrite n° 3778 de Mme C... D..., députée, en ce qu'elle énonce que l'option pour l'imposition suivant le barème progressif de l'impôt sur le revenu de l'ensemble des revenus de capitaux mobiliers et plus-values de cession de valeurs mobilières et droits sociaux entrant dans le champ d'application du prélèvement forfaitaire unique revêt un caractère irrévocable et que le contribuable qui l'a exercée ne peut plus y renoncer ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler, au sein de cette réponse ministérielle, les mots " toute rectification ultérieure portant sur les revenus et gains dans le champ de cette option, qu'il s'agisse de ceux déclarés ou de revenus ou gains omis ou remis en cause, opérée au titre de la même année d'imposition, est établie suivant le même mode d'imposition (BOI-RPPM-RCM-20-15 § 340). Compte tenu du caractère irrévocable de cette option, le contribuable ne peut plus y renoncer, en cours de contrôle ou dans le délai de réclamation. En revanche, lorsque, à raison des revenus et gains entrant dans le champ d'application de l'imposition forfaitaire, l'option globale pour leur imposition au barème de l'impôt de revenu n'a pas été exercée au plus tard avant la date limite de déclaration des revenus ou en l'absence de RCM et PVCVM mentionnés sur la déclaration initiale des revenus ", les mots " pour l'imposition au barème de l'impôt sur le revenu, " et les mots " Cette option peut également être exercée, en dehors de toute procédure de contrôle, dans le délai de réclamation, à raison des revenus et gains initialement déclarés ".
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que par une réponse publiée au Journal officiel - Débats parlementaires du 24 octobre 2023 à une question écrite de Mme C... D..., députée, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a donné son interprétation des dispositions de l'article 200 A du code général des impôts. M. et Mme B... demandent, à titre principal, l'annulation de cette réponse ministérielle en ce qu'elle énonce que l'option, prévue par le 2. de cet article, pour l'imposition suivant le barème progressif de l'impôt sur le revenu de l'ensemble des revenus de capitaux mobiliers et plus-values de cession de valeurs mobilières et droits sociaux entrant dans le champ d'application du prélèvement forfaitaire unique revêt un caractère irrévocable et que le contribuable qui l'a exercée ne peut plus y renoncer. Les requérants demandent, à titre subsidiaire, l'annulation partielle de trois groupes de mots de cette réponse ministérielle.
Sur les conclusions principales :
2. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. (...) / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ".
3. Les réponses faites par les ministres aux questions écrites des parlementaires ne constituent pas des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux. Toutefois, il en va autrement lorsque la réponse comporte une interprétation par l'administration de la loi fiscale pouvant lui être opposée par un contribuable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
4. Les dispositions de l'article 200 A du code général des impôts dans leur rédaction issue du 28° du paragraphe I de l'article 28 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 disposent que : " 1. L'impôt sur le revenu dû par les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B à raison des revenus, gains nets, profits, distributions, plus-values et créances énumérés aux 1° et 2° du A du présent 1 est établi par application du taux forfaitaire prévu au B du présent 1 à l'assiette imposable desdits revenus, gains nets, profits, distributions, plus-values et créances. (...) B. 1° Le taux forfaitaire mentionné au premier alinéa du présent 1 est fixé à 12,8 % ; 2. Par dérogation au 1, sur option expresse et irrévocable du contribuable, l'ensemble des revenus, gains nets, profits, plus-values et créances mentionnés à ce même 1 est retenu dans l'assiette du revenu net global défini à l'article 158. Cette option globale est exercée lors du dépôt de la déclaration prévue à l'article 170, et au plus tard avant l'expiration de la date limite de déclaration ".
5. Il résulte de ces dispositions que si les revenus de capitaux mobiliers et plus-values de cession de valeurs mobilières qu'elles énumèrent sont en principe imposés au taux forfaitaire de 12,8 %, ces revenus peuvent, sur option du contribuable portant sur la totalité des revenus entrant dans leur champ pour l'année en cause, être imposés par application du barème progressif de l'impôt sur le revenu. Il ressort de la lettre même de ces dispositions qu'une telle option revêt un caractère irrévocable. Il en découle qu'en énonçant que le contribuable qui l'a exercée ne peut plus ensuite y renoncer, en cours de contrôle ou dans le délai de réclamation, la réponse ministérielle en cause ne comporte aucune interprétation formelle de la loi fiscale au sens des dispositions précitées de l'article L. 80A du livre des procédures fiscales. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que les conclusions principales des requérants sont, pour ce motif, irrecevables.
Sur les conclusions subsidiaires :
6. M. et Mme B... demande à titre subsidiaire l'annulation de trois groupes de mots de la réponse ministérielle en cause. De telles conclusions tendent, par le choix des mots que les requérants demandent au juge de supprimer, à la réécriture de cette réponse ministérielle pour modifier la portée de l'interprétation qu'elle donne de la loi fiscale, en ce sens que le contribuable ayant exercé l'option pour l'imposition au barème de l'impôt sur le revenu pourrait, au cours du contrôle conduisant à la rectification de revenus ou gains omis, opter a posteriori pour une imposition forfaitaire au taux de 12,8%.
7. De telles conclusions, qui tendent en réalité à ce que le juge de l'excès de pouvoir annule la réponse ministérielle en cause en tant qu'elle ne donne pas de la loi fiscale une interprétation formelle dans le sens souhaité par le requérant, ne sont, ainsi que l'oppose le ministre en défense, pas davantage recevables.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu pour le Conseil d'Etat de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, dans leur rédaction issue du b) du 28° du paragraphe I de l'article 28 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, que la requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme B....
Article 2 : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme E... B... et M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Nathalie Escaut, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 5 avril 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle