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05/04/2024 | FRANCE | N°473722

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 05 avril 2024, 473722


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 2 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 14 mars 2023 rapportant le décret du 15 octobre 2020 lui ayant accordé la nationalité française ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





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Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des li...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 2 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 14 mars 2023 rapportant le décret du 15 octobre 2020 lui ayant accordé la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benoît Delaunay, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant malien, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture du Nord le 18 avril 2017, par laquelle il a indiqué être célibataire. Au vu de ces déclarations, il a été naturalisé par décret du 15 octobre 2020. Toutefois, par un bordereau reçu le 24 mars 2021, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que M. A... avait contracté une union le 16 janvier 2020 à Lafiabougou, Bamako (Mali) avec Mme C..., ressortissante malienne résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 14 mars 2023, publié au Journal officiel le 16 mars 2023 la Première ministre a rapporté le décret du 15 octobre 2020 prononçant la naturalisation de M. A... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, le décret attaqué comporte l'indication des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde et est ainsi suffisamment motivé.

4. En deuxième lieu, il ressort du visa du décret attaqué que celui-ci a bien été pris après avis conforme du Conseil d'Etat. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la communication à l'intéressé de l'avis émis par le Conseil d'Etat sur le projet de décret rapportant le décret ayant conféré la nationalité française.

5. En troisième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense.

6. Il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé des naturalisations a informé M. A... des motifs justifiant le retrait du décret ayant prononcé sa naturalisation par une lettre recommandée avec accusé de réception du 18 janvier 2022, notifiée le 21 janvier 2022. M. A... a d'ailleurs produit des observations en défense par un courrier du 12 octobre 2022, reçu le 18 octobre 2022, dans lesquelles il fait explicitement mention de la réception du courrier du 18 janvier 2022. Le moyen tiré d'une irrégularité dans la procédure contradictoire préalable à l'intervention du décret attaqué ne peut, dès lors, qu'être écarté.

7. En quatrième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation de M. A... a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs au mariage de l'intéressé, transmis par bordereau du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, que le 24 mars 2021, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur le bordereau. La circonstance que M. A... a antérieurement déposé une demande de regroupement familial n'est pas de nature à établir que son mariage ait été porté à la connaissance des services du ministre chargé des naturalisations à une date antérieure au 24 mars 2021. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 14 mars 2023, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

8. En cinquième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a contracté une union le 16 janvier 2020 à Lafiabougou, Bamako (Mali) avec Mme C..., ressortissante malienne résidant habituellement à l'étranger. Ce mariage a constitué un changement de sa situation familiale qu'il aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé en déposant sa demande de naturalisation. Si M. A... soutient qu'il n'a eu aucune volonté de dissimuler sa situation maritale, ainsi que le démontre sa demande de regroupement familial en faveur de son épouse, antérieure à sa naturalisation, transmise à l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 4 février 2020, il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de la réalité de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du compte rendu d'entretien d'assimilation établi le 13 août 2019, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Sa bonne intégration à la société française est, par ailleurs, sans incidence sur le caractère frauduleux des déclarations au vu desquelles la nationalité française lui avait été accordée. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, la Première ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

10. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. A... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 14 mars 2023 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 15 octobre 2020. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 mars 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Benoît Delaunay, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 5 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. Benoît Delaunay

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 473722
Date de la décision : 05/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 avr. 2024, n° 473722
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Benoît Delaunay
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:473722.20240405
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