Vu la procédure suivante :
La Ville de Paris a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'association Club Lepic Abbesses Pétanque, ainsi qu'à tous occupants de son chef, de libérer sans délai la dépendance du domaine public qu'elle occupe sans droit ni titre dans le XVIIIe arrondissement, d'assortir cette injonction d'une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir et, enfin, de l'autoriser, à défaut d'exécution immédiate de cette ordonnance, à faire évacuer le terrain avec le concours de la force publique si nécessaire. Par une ordonnance n° 232064 du 25 septembre 2023, la juge des référés de ce tribunal a rejeté ses demandes.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 25 octobre 2023 et le 18 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses demandes ;
3°) de mettre à la charge de l'association Club Lepic Abbesses Pétanque la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris, à la SCP Zribi et Texier, avocat de l'association Club Lepic Abbesses Pétanque et à la SCP Melka-Prigent - Drusch, avocat de la société Fremosc ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 mars 2024, présentée par l'association Club Lepic Abbesses Pétanque ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés que la Ville de Paris a fait l'acquisition en 1966 de la parcelle cadastrée section AT n° 88 dans le XVIIIe arrondissement, située entre l'avenue Junot et la rue Lepic et accessible par la voie privée M18. Cette parcelle est occupée depuis 1971 par l'association Club Lepic Abbesses Pétanque, qui y a construit neuf terrains de pétanque ainsi qu'un bâtiment à usage de buvette. Par un courrier du 1er février 2023, la Ville de Paris a mis en demeure l'association de libérer le terrain avant le 28 février 2023. Par une convention d'occupation du domaine public conclue le 25 juillet 2023 à la suite d'un appel à manifestation d'intérêt, la Ville de Paris a autorisé la société Fremosc à occuper cette parcelle à compter de la remise du site et jusqu'au 24 juillet 2035. La Ville de Paris se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 25 septembre 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce qu'elle ordonne, en application des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion de l'association, ainsi qu'à tous occupants de son chef, de cette parcelle.
Sur l'intervention :
2. La société Fremosc justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur le pourvoi :
3. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Les mesures ainsi sollicitées ne doivent pas être manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative. Lorsque le juge des référés est saisi, sur le fondement de ces dispositions, d'une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il lui appartient de rechercher si, au jour où il statue, cette demande présente un caractère d'urgence et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. S'agissant de cette dernière condition, dans le cas où la demande d'expulsion fait suite à la décision du gestionnaire du domaine de retirer ou de refuser de renouveler le titre dont bénéficiait l'occupant et où, alors que cette décision exécutoire n'est pas devenue définitive, l'occupant en conteste devant lui la validité, le juge des référés doit rechercher si, compte tenu tant de la nature que du bien-fondé des moyens ainsi soulevés à l'encontre de cette décision, la demande d'expulsion doit être regardée comme se heurtant à une contestation sérieuse.
4. Avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance d'un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, avoir pour effet d'entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public, en application de la règle énoncée ci-dessus, compte tenu, notamment, de leur affectation à l'usage direct du public.
5. Pour rejeter la demande de la Ville de Paris, la juge des référés du tribunal administratif s'est fondée sur ce que cette demande était manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, dès lors, d'une part, que la parcelle en cause n'avait jamais été directement accessible au public compte tenu de la nécessité, pour y accéder, d'emprunter une voie privée et, d'autre part, qu'elle n'avait jamais fait l'objet d'un aménagement spécial pour les besoins du service public, et qu'elle devait ainsi être regardée comme faisant partie du domaine privé de la Ville de Paris.
6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés, et notamment d'un avis de la commission centrale de contrôle des opérations immobilières poursuivies par les services publics ou d'intérêt public, daté du 16 septembre 1965, que la commune de Paris, devenue en 2019 la collectivité de la Ville de Paris, a acquis ce terrain, par un acte de vente daté du 23 juin 1966, en vue de la réalisation d'un espace vert ouvert au public dans le périmètre d'aménagement du site de Montmartre. Il en ressort également, comme l'a relevé la juge des référés, qu'une délibération du Conseil de Paris du 16 décembre 1968 a autorisé le préfet de Paris, alors en charge de l'exécutif de la commune, à entreprendre la réalisation de cet espace vert en prévoyant un budget de 129 000 francs, tandis qu'un arrêté du préfet de Paris du 20 juin 1969 a réparti ce budget en 73 000 francs de travaux d'architecture et 56 000 francs de travaux sur les parcs et jardins. Il résulte de ces circonstances, qui révèlent la volonté de la commune de transformer la parcelle en litige en espace vert et de l'affecter à l'usage direct du public, qu'elle a ainsi été incorporée à son domaine public, sans que, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus au point 4, l'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques ait pu avoir pour effet d'en entraîner le déclassement.
7. Par suite, en jugeant que, faute pour le terrain d'avoir été effectivement affecté à un l'usage direct du public ou d'avoir fait l'objet d'aménagements spéciaux, il devait être regardé comme faisant partie du domaine privé de la commune de sorte que la demande de la Ville de Paris était manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juge des référés a violé les principes rappelés au point 4 et dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi, que la Ville de Paris est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la demande d'expulsion :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la demande de la Ville de Paris n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.
11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'à l'issue d'un appel à manifestation d'intérêt portant sur la mise à disposition de la parcelle en litige, la Ville de Paris a conclu le 25 juillet 2023 avec la société Fremosc une convention d'occupation du domaine public, en vigueur à compter de la remise du site et jusqu'au 24 juillet 2035, en vue de permettre la création d'un jardin ouvert au public et la mise en place d'activités de loisirs et pédagogiques en lien avec ce jardin. L'occupation sans droit ni titre du site par l'association Club Lepic Abbesses Pétanque fait obstacle à l'exécution de cette convention et à ce que le site fasse l'objet d'un aménagement conforme à la destination que souhaite lui donner la Ville de Paris. Son maintien dans les lieux compromet ainsi l'installation de la société Fremosc et le réaménagement de la parcelle que cette dernière est tenue d'effectuer. La mesure d'expulsion demandée par la Ville de Paris présente par voie de conséquence un caractère d'utilité et d'urgence, sans qu'aient d'incidence à cet égard le recours formé par l'association Club Lepic Abbesses Pétanque contre cette convention d'occupation du domaine public ou la circonstance que la Ville de Paris n'aurait, depuis l'acquisition de la parcelle, jamais adressé à l'association aucune mise en demeure de quitter les lieux ni engagé de démarche d'expulsion à son encontre.
12. En troisième et dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 6 que la Ville de Paris établit être propriétaire du terrain en litige. Dans l'hypothèse où l'association Club Lepic Abbesses Pétanque entendrait voir reconnaître sa propriété, sur le fondement de la prescription acquisitive, une telle question relève de la seule compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. En outre, la constitution d'une association syndicale de propriétaires demeure en tout état de cause sans incidence sur le régime des biens incorporés au domaine public avant la constitution d'une telle association. Ainsi, en l'état de l'instruction, aucun des moyens opposés en défense par l'association ne peut être regardé comme soulevant une contestation sérieuse de la mesure d'expulsion demandée par la Ville de Paris sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative.
13. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre l'association Club Lepic Abbesses Pétanque, ainsi qu'à tous occupants de son chef, de libérer la parcelle qu'elle occupe et décrite au point 1 dans un délai de quinze jours à compter de la notification à l'association de la présente décision. Il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'expiration du même délai. En revanche, il n'entre pas dans l'office du juge administratif d'autoriser la commune à demander à l'Etat, sur le fondement des dispositions du code des procédures civiles d'exécution, le concours de la force publique pour l'exécution de la présente décision. Les conclusions de la Ville de Paris présentées en ce sens sont, par suite, irrecevables et doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Club Lepic Abbesses Pétanque la somme de 3 000 euros à verser à la Ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Ville de Paris qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la société Fremosc est admise.
Article 2 : L'ordonnance du 25 septembre 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à l'association Club Lepic Abbesses Pétanque et à tous occupants de son chef de libérer la parcelle qu'elle occupe dans le XVIIIe arrondissement de la Ville de Paris dans un délai de quinze jours à compter de la notification à l'association de la présente décision, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'expiration du même délai.
Article 4 : L'association Club Lepic Abbesses Pétanque versera une somme de 3 000 euros à la ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la Ville de Paris est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par l'association Club Lepic Abbesses Pétanque au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris, à l'association Club Lepic Abbesses Pétanque et à la société Fremosc.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 février 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 3 avril 2024.
Le président :
Signé : M. Thomas Andrieu
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle