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02/04/2024 | FRANCE | N°492071

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 02 avril 2024, 492071


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 23 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La Citadelle demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution du décret du 7 février 2024 prononçant sa dissolution ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


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Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 23 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La Citadelle demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 7 février 2024 prononçant sa dissolution ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que sa dissolution, d'une part, l'empêche de poursuivre une vie associative, emporte liquidation de son patrimoine et lui ôte la possibilité de faire valoir sa qualité de partie civile dans diverses procédures judiciaires et, d'autre part, porte une atteinte grave et immédiate à la liberté d'association, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- les dispositions du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, sur lesquelles est fondé le décret attaqué, méconnaissent les stipulations des articles 6, 7, 10, 11 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles du protocole additionnel n° 12 à cette convention ;

- le décret attaqué est entaché d'illégalité dès lors que, en premier lieu, les différentes qualifications retenues par le ministre de l'intérieur et des outre-mer envers elle sont entachées d'erreur de droit, inexactes et ne sont pas établies par une condamnation pénale, en deuxième lieu, les propos tenus par son président à la télévision et ses publications sur les réseaux sociaux ont été déformés et participent d'un débat d'intérêt général, en troisième lieu, il procède à une interprétation erronée des faits s'agissant de l'interdiction de la manifestation du 24 février 2023, en quatrième lieu, les accusations d'assimilation systématique des personnes d'origine extra-européenne à des délinquants et à une menace à combattre qui lui sont reprochées sont inexistantes, en cinquième lieu, l'" instrumentalisation " dénoncée aux termes du décret attaqué constitue une simple analyse politique, en sixième lieu, le défaut de modération des messages n'est pas démontré et, en dernier lieu, il se fonde sur des agissements qui ne sont pas imputables à ses dirigeants ou à ses membres.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité du décret.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association La Citadelle et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 mars 2024, à 10 heures :

- Me Doumic-Sellier, avocate au Conseil et à la Cour de cassation, avocate de l'association La Citadelle ;

- les représentants de l'association La Citadelle ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 21 mars 2024 à 14 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 mars 2024, présentée par l'association La Citadelle ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (...) 6° (...) qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence (...) ". Aux termes de l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".

3. D'une part, eu égard à la gravité de l'atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d'interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l'ordre public. D'autre part, la décision de dissolution d'une association ou d'un groupement de fait prise sur le fondement de ces dispositions ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article.

4. Par un décret du 7 février 2024, pris sur le fondement des dispositions précitées du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, l'association La Citadelle a été dissoute. Par la présente requête, cette association a saisi le juge des référés du Conseil d'Etat d'une demande, fondée sur l'article L. 521-1 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de ce décret.

5. En premier lieu, le décret prononçant la dissolution d'une organisation sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure présentant le caractère d'une mesure de police administrative, l'association requérante ne saurait utilement soutenir que ces dispositions méconnaîtraient les stipulations des articles 6 et 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle ne peut pas davantage utilement se prévaloir du moyen tiré de la méconnaissance, par ces dispositions, des stipulations de l'article 14 de cette convention, qui ne sauraient être invoquées isolément, et de celles du protocole additionnel n° 12 à cette convention, qui n'a pas été ratifié par la France. Eu égard, par ailleurs, à ce qui est dit au point 3, le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient par elles-mêmes incompatibles avec les stipulations des articles 10 et 11 de la même convention ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée.

6. En second lieu, il ressort du décret contesté que la dissolution qu'il prononce de l'association La Citadelle, qui a pour objet, en vertu de ses statuts, de " gérer et animer un local associatif dans un objectif de promotion des identités locales, régionales, française et européenne (...) ", est fondée sur quatre motifs tirés de ce que par ses publications, les propos de ses membres et ses slogans, cette association met en œuvre une idéologie xénophobe et provoquant à la haine et à la discrimination, de ce qu'elle propage, en particulier au travers des propos de son président, un discours et des idées assimilant de manière systématique les personnes d'origine extra-européenne à des délinquants et à une menace à combattre, sur ce que ses publications et celles de son président sur les réseaux sociaux génèrent des commentaires incitant à la haine et à la violence qu'ils s'abstiennent de modérer afin d'attiser les antagonismes au sein de la communauté nationale et, enfin, sur ce qu'elle entretient des liens étroits avec de nombreux groupuscules ou individus qui défendent une idéologie appelant à la discrimination, à la violence ou à la haine.

7. D'une part, il résulte de l'instruction, en particulier des débats qui se sont tenus au cours de l'audience publique, que les représentants de l'association ne contestent pas, pour l'essentiel, l'exactitude des éléments de fait sur lesquels s'appuie le décret contesté, et notamment la teneur des propos et messages publiés sur ses comptes sur les réseaux sociaux et ceux de son président, lequel a indiqué bénéficier à cet égard de l'entier soutien du bureau de l'association, ni la teneur des commentaires suscités par tout ou partie de ces publications.

8. D'autre part, si l'association soutient qu'en regardant les agissements, propos et publications ainsi relevés, de même que les commentaires qu'ils ont suscités sur les réseaux sociaux sans que l'association s'en désolidarise ou mette en œuvre les moyens de modération à sa disposition pour les supprimer, comme caractérisant une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers, notamment, les personnes d'origine extra-européenne, le décret contesté aurait fait une inexacte application des dispositions du 6° de l'article L. 212-1 et de celles de l'article L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure, ce moyen ne peut être regardé, en l'état de l'instruction, comme de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ce décret.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le respect de la condition d'urgence, les conclusions de la requête tendant à la suspension de l'exécution du décret contesté doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence,

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'association La Citadelle est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association La Citadelle et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Anne Courrèges et Mme Anne Egerszegi, conseillères d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 2 avril 2024

Signé : Pierre Collin


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 492071
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 avr. 2024, n° 492071
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Collin
Avocat(s) : SCP DOUMIC-SEILLER

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492071.20240402
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