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29/03/2024 | FRANCE | N°492309

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 29 mars 2024, 492309


Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 27 mars 1987 prononçant son expulsion du territoire français et de toutes les décisions postérieures portant refus d'abrogation de cet arrêté. Par une ordonnance n° 2403489 du 16 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande.



M. A... C... a demandé au juge

des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'articl...

Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 27 mars 1987 prononçant son expulsion du territoire français et de toutes les décisions postérieures portant refus d'abrogation de cet arrêté. Par une ordonnance n° 2403489 du 16 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande.

M. A... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet des Pyrénées-Atlantiques de prendre toutes les mesures utiles pour organiser son retour sur le territoire français aux frais de l'Etat dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2403894 du 22 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande d'injonction, sans l'assortir d'une astreinte.

Par un recours, enregistré le 1er mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Paris des 16 et 22 février 2024 ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de M. A... C....

Il soutient que :

- la décision refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion n'est pas entachée d'un vice de procédure, la présence de M. A... C... lors de la commission d'expulsion chargée d'examiner la demande d'abrogation de cet arrêté n'étant pas obligatoire ;

- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors que M. A... C... peut se faire représenter devant la commission d'expulsion.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2024, M. A... C... conclut à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, au rejet du recours et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il soutient qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales et que le moyen soulevé n'est pas fondé.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et, d'autre part, M. A... C... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 15 mars 2024, à 17 heures :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... C... ;

- la représentante de M. A... C... ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 21 mars 2024 à 17 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) " Aux termes de l'article L. 521-4 du même code : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin. "

2. Il ressort des pièces du dossier que M. A... C..., ressortissant marocain né le 13 février 1965, fait l'objet d'un arrêté ministériel d'expulsion du 27 mars 1987, un arrêté du 9 mars 2020 ayant fixé le Maroc comme pays de destination. Revenu en France, selon ses dires, en 2017, après avoir été expulsé vers le Maroc une première fois le 2 avril 1987, et une deuxième fois en 1992, il a demandé, le 13 février 2023, l'abrogation de l'arrêté d'expulsion. Par une décision du 14 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a retiré la décision implicite de rejet qu'il avait opposée à cette demande. Ses services ont alors repris la procédure d'examen de la demande d'abrogation. Alors que cette procédure était en cours, et entre l'audience tenue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, le 15 février 2024 à 11h00, sur la demande de M. A... C... tendant à la suspension de l'arrêté d'expulsion et des décisions ayant refusé son abrogation, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, et la notification de l'ordonnance du 16 février 2024 par lequel le juge des référés a fait droit à cette demande et suspendu l'exécution de ces décisions, l'intéressé a fait l'objet d'une mesure d'expulsion à destination du Maroc, où il se trouve actuellement, en dépit de l'injonction adressée à l'administration, par une ordonnance du 22 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'organiser son retour en France. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat l'annulation des ordonnances des 16 et 22 février 2024.

3. Aux termes de l'article L. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'expulsion ne peut être édictée que dans les conditions suivantes : / (...) 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative et qui est composée : / a) du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président ; / b) d'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal judiciaire du chef-lieu du département ; / c) d'un conseiller de tribunal administratif. (...) " Aux termes de l'article L. 632-3 du même code : " La décision d'expulsion peut à tout moment être abrogée. " Aux termes de l'article L. 632-4 : " Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de la décision d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission mentionnée à l'article L. 632-1, devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter. " Aux termes de l'article L. 632-5 : " Il ne peut être fait droit à une demande d'abrogation d'une décision d'expulsion présentée plus de deux mois après la notification de cette décision que si le ressortissant étranger réside hors de France. Cette condition ne s'applique pas : / 1° Pour la mise en œuvre de l'article L. 632-6 ; / 2° Pendant le temps où le ressortissant étranger subit en France une peine d'emprisonnement ferme ; / 3° Lorsque l'étranger fait l'objet d'une décision d'assignation à résidence prise en application des articles L. 731-3, L. 731-4 ou L. 731-5. "

4. Il résulte des termes mêmes des dispositions citées au point précédent que si la commission d'expulsion, mentionnée à l'article L. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit obligatoirement être consultée sur une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion présentée, comme en l'espèce, à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de son exécution effective, la procédure n'est pas entachée d'irrégularité du seul fait que l'étranger concerné, qui a la faculté de se faire représenter, ne peut comparaître personnellement devant la commission. Il suit de là que c'est à tort que, pour prononcer la suspension de l'arrêté d'expulsion et des décisions refusant son abrogation, le juge des référés du tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que l'exécution de l'arrêté d'expulsion faisait obstacle à la comparution personnelle de M. A... C... devant la commission d'expulsion et entachait ainsi la procédure d'irrégularité.

5. Il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. A... C... en première instance.

6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

7. Si M. A... C... affirme être entré en France à l'âge d'un an et n'avoir aucune attache avec le pays dont il a la nationalité, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la mise à exécution pour la deuxième fois de l'arrêté ministériel qu'il conteste, il a vécu au Maroc entre 1992 et 2017, date à laquelle il dit être revenu en France. S'il se prévaut de la présence en France de ses trois sœurs, aucun élément versé au dossier ne permet d'établir qu'il entretient des relations avec elles. N'est pas davantage démontrée la réalité d'une vie familiale avec la personne qu'il présente comme sa compagne ainsi qu'avec l'homme, aujourd'hui âgé de 36 ans, dont il affirme être le père, envers qui il n'a engagé que récemment des démarches en vue de sa reconnaissance. Il résulte, d'autre part, de l'instruction que l'intéressé, après avoir été condamné à plusieurs reprises par les juridictions pénales entre janvier 1984 et mars 1985, principalement pour des faits d'atteinte aux biens, a été expulsé une première fois vers le Maroc le 2 avril 1987, en exécution de l'arrêté ministériel en litige. Revenu en France dès l'année suivante, il a été condamné à quatre reprises par les juridictions pénales entre juillet 1988 et juin 1992. Expulsé une deuxième fois vers le Maroc en 1992, il est revenu en France en 2017, selon ses allégations, et a été condamné par le tribunal de grande instance de Pau, le 19 septembre 2019, à trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis pour vol et violence aggravée, et incarcéré à la maison d'arrêt de Pau à compter du 18 septembre 2019. A sa sortie de prison, il a été assigné à résidence dans l'attente de son éloignement vers le Maroc, et a de nouveau été condamné par le tribunal judiciaire de Pau, le 2 décembre 2021, à douze mois d'emprisonnement pour des faits notamment de violence avec arme et outrage et violence envers une personne dépositaire de l'autorité publique. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 7 avril 2022 de la cour d'appel de Pau. M. A... C... a, par suite, été de nouveau emprisonné à compter du 2 décembre 2021 au 18 avril 2023. Ainsi, le comportement de l'intéressé postérieurement à la mesure d'expulsion dont il a fait l'objet ne révèle, contrairement à ce qu'il soutient, aucune volonté sérieuse de s'amender. Eu égard à la faible densité de ses liens familiaux en France, il n'apparaît pas qu'en maintenant la mesure d'expulsion décidée à son encontre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ait porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale, résultant des stipulations rappelées au point 6.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à demander l'annulation des ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Paris qu'il attaque et le rejet des demandes présentées en référé par M. A... C..., sans qu'il y ait lieu d'admettre ce dernier au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Paris des 16 et 22 février 2024 sont annulées.

Article 2 : Les demandes présentées par M. A... C... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris et le surplus de ses conclusions devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont rejetés.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... C....

Fait à Paris, le 29 mars 2024

Signé : Alain Seban


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 492309
Date de la décision : 29/03/2024

Publications
Proposition de citation : CE, 29 mar. 2024, n° 492309
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492309.20240329
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