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22/03/2024 | FRANCE | N°491843

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 22 mars 2024, 491843


Vu la procédure suivante :

Le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), le Comité pour la santé des exilés (COMEDE) et l'association Médecins du Monde ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :



- d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) d'indiquer un lieu susceptible d'accueillir les demandeurs d'asile en situation de vulnérabilité présents dans le campement établi au

lieu-dit " la Verdure " et de procéder à la recherche active des lieux susceptibles ...

Vu la procédure suivante :

Le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), le Comité pour la santé des exilés (COMEDE) et l'association Médecins du Monde ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

- d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) d'indiquer un lieu susceptible d'accueillir les demandeurs d'asile en situation de vulnérabilité présents dans le campement établi au lieu-dit " la Verdure " et de procéder à la recherche active des lieux susceptibles d'accueillir les demandeurs d'asile ayant accepté l'offre de prise en charge, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance ;

- d'enjoindre au préfet de la Guyane de recenser les personnes en détresse au sens de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles, ainsi que les mineurs, pour leur mise à l'abri, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance, et de rechercher dans le dispositif d'hébergement de droit commun des lieux d'accueil pour les personnes présentes dans le campement ;

- d'enjoindre au président de la collectivité territoriale de Guyane de recenser les personnes susceptibles de relever des dispositions des articles L. 221-1 et L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ;

- d'enjoindre à la commune de Cayenne, à la communauté d'agglomération du centre littoral (CACL) et au préfet de la Guyane de mettre en place un dispositif permettant un accès à l'eau, à l'hygiène et à des dispositifs d'assainissement, compatibles avec le nombre de personnes présentes, et garantissant aux personnes présentes dans le campement un accès dans le respect de leur dignité ;

- d'enjoindre à la CACL ou à titre supplétif au préfet de la Guyane, de procéder à la mise en place de points d'eau (robinets, fontaines) sur le lieu de vie ou, dans les cas précisés par le code de la santé publique, au plus proche du lieu de vie en tenant compte des contraintes techniques, géographiques et topographiques, permettant une consommation minimale d'une quantité d'eau comprise entre 50 et 100 litres d'eau par jour et par personne, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- d'enjoindre à la CACL, à la commune de Cayenne et au préfet de la Guyane de procéder à l'installation d'un dispositif de 22 cabines de toilettes permettant un accès à une cabine pour 20 utilisateurs et de veiller à leur entretien et vidange et de procéder à l'installation de 9 douches mobiles (a minima une douche pour 50 personnes) à proximité immédiate du campement, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- d'enjoindre à la commune de Cayenne et à la CACL de procéder à l'installation d'un dispositif de collecte d'ordures comprenant la mise en place de bennes de grande capacité et relevée au minimum deux fois par semaine, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- d'enjoindre à la commune de Cayenne de procéder au nettoyage immédiat de l'ensemble des détritus, ordures, immondices, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- d'enjoindre au recteur de Guyane, et le cas échéant au préfet de la Guyane, de procéder au recensement des enfants soumis à l'obligation d'instruction, de vérifier lesquels sont déjà inscrits dans un établissement public d'enseignement et de procéder à l'inscription des enfants qui ne l'auraient pas encore été, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- d'enjoindre au président de la collectivité territoriale de Guyane, ou toute autre autorité administrative compétente, d'organiser des modalités de transport scolaire pour que les enfants puissent rejoindre les établissements publics d'enseignement où ils sont scolarisés ;

- d'enjoindre au préfet de la Guyane et au directeur de l'OFII de produire un inventaire des ressources foncières publiques en vue de l'affectation des locaux inoccupés à l'hébergement provisoire et de produire le nombre de places vacantes dans le dispositif national d'accueil, susceptibles d'accueillir l'ensemble des demandeurs d'asile présents sur le campement, et le nombre de places disponibles dans le dispositif d'hébergement d'urgence ;

- d'enjoindre au directeur de l'OFII d'indiquer les lieux susceptibles d'accueillir les personnes qui ont formulé une demande d'asile dans le département ou de procéder à une orientation dans une autre région française, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut, d'ordonner le versement de l'allocation pour demandeur d'asile selon les montants prévus par le I de l'annexe 8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;

- d'enjoindre au préfet de la Guyane d'indiquer les lieux susceptibles d'accueillir les personnes présentes dans le campement qui ne pourraient l'être par l'OFII, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2400109 du 5 février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a, d'une part, enjoint au préfet de la Guyane de créer dans le campement de migrants de la Verdure quatre autres points d'eau potable, huit toilettes supplémentaires et six douches supplémentaires non mixtes en prescrivant que ces mesures connaissent un début d'exécution dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 16 février, le 4 mars et le 14 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, La Cimade, le COMEDE et Médecins du Monde demandent, d'une part, au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 5 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane en tant qu'elle rejette le surplus des conclusions de leur demande ;

2°) d'enjoindre à l'OFII d'indiquer un lieu susceptible d'accueillir les demandeurs d'asiles en situation de vulnérabilité présentes dans le campement de la Verdure dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

3°) d'enjoindre à l'OFII de procéder à la recherche active dans le dispositif départemental, régional et national des lieux susceptibles d'accueillir les personnes présentes dans le campement qui ont formulé une demande d'asile et accepté l'offre de prise en charge dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

4°) d'enjoindre au préfet d'organiser un recensement des personnes en détresse au sens de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles, au recensement des mineurs pour leur mise à l'abri dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

5°) d'enjoindre au préfet de la Guyane de procéder à la recherche active, dans le dispositif d'hébergement de droit commun, des lieux susceptibles d'accueillir les personnes présentes dans le campement ;

6°) d'enjoindre au recteur de la Guyane, et le cas échéant au préfet de la Guyane, de procéder au recensement des enfants soumis à l'obligation d'instruction, de vérifier lesquels sont déjà inscrits dans un établissement public d'enseignement et procéder à l'inscription des enfants qui ne l'auraient pas encore été dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

7°) d'enjoindre au président de la collectivité territoriale de Guyane, ou toute autorité administrative compétente, d'organiser des modalités de transport scolaire pour que les enfants puissent rejoindre les établissements publics d'enseignement où ils sont scolarisés ;

8°) d'enjoindre au directeur de l'OFII et au préfet de Guyane, de produire devant le juge des référés les éléments suivants :

- un inventaire des ressources foncières publiques afin que les bâtiments inoccupés, pouvant assurer un hébergement décent, soient affectés à l'hébergement provisoire des personnes contraintes de vivre dans le campement, en procédant le cas échéant, à une réquisition de locaux en application de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales ;

- le nombre de places vacantes dans le dispositif national d'accueil, susceptible d'accueillir l'ensemble des demandeurs d'asile présents sur le campement ;

- le nombre de places disponibles dans le dispositif d'hébergement d'urgence susceptible d'accueillir les personnes ;

9°) d'enjoindre au directeur général de l'OFII d'indiquer les lieux susceptibles d'accueillir les personnes qui ont formulé une demande d'asile dans le département ou de procéder à une orientation dans une autre région française dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, d'ordonner le versement de l'allocation pour demandeur d'asile selon les montants prévus par le I de l'annexe 8 du CESEDA ;

10°) d'enjoindre au préfet de la Guyane d'indiquer les lieux susceptibles d'accueillir les personnes présentes dans le campement qui ne pourraient l'être par l'OFII, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

La Cimade, le COMEDE et Médecins du Monde demandent, d'autre part, au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 911-4 code de justice administrative, après avoir saisi la section des études, de la prospective et de la coopération, de constater que le préfet de la Guyane n'a pas pris les mesures propres à assurer l'exécution de l'ordonnance du 5 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane et, s'il ne justifie pas avoir exécuté cette ordonnance dans un délai de huit jours à compter de l'ordonnance à intervenir, de prononcer à son encontre une astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Elles demandent également que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles justifient d'un intérêt à agir ;

- la condition d'urgence est satisfaite eu égard aux conditions actuelles d'hébergement, d'alimentation, d'accès à l'eau et d'hygiène de la population vivant sur le campement de la Verdure ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile, au droit de bénéficier des conditions matérielles d'accueil, au droit à l'hébergement ainsi qu'à l'intérêt supérieur de l'enfant et au droit à l'instruction ;

- l'absence de prise en charge des personnes présentes sur le campement constitue une carence caractérisée de l'Etat dès lors que ces personnes sont dans une situation de vulnérabilité ou de détresse caractérisée qui nécessite une mise à l'abri immédiate ;

- l'OFII n'a pas effectué les diligences nécessaires pour l'hébergement de personnes présentes sur le campement faute notamment d'avoir recherché des places disponibles dans d'autres régions ;

- le juge des référés ne pouvait se contenter de constater que les demandes de scolarisation étaient en cours de traitement ;

- le recensement des locaux inoccupés et des places disponibles est utile et nécessaire pour mettre fin à l'atteinte grave et manifestement illégale constatée ;

- il n'est pas justifié de l'exécution des mesures ordonnées par le juge des référés.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 et 14 mars 2024, l'OFII conclut au rejet de la requête d'appel. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2024, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 et 14 mars 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête d'appel et de la demande d'exécution. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que les mesures ordonnées par le juge des référés ont été exécutées ou sont en voie de l'être.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2024, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la communauté d'agglomération du centre littoral et à la collectivité territoriale de Guyane qui n'ont pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 mars 2024, présentée après la clôture de l'instruction par la Cimade, le COMEDE et Médecins du Monde ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, La Cimade, le COMEDE et l'association Médecins du Monde et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 14 mars 2024, à 15 heures 30 :

- Me de la Burgade, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Cimade ;

- le représentant de la Cimade, le COMEDE et Médecins du Monde ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

- le représentant de la ministre du travail, de la santé et des solidarités ;

- les représentants de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;

- les représentants de la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ;

- les représentantes de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 18 mars à 14 heures ;

Vu le mémoire après audience, enregistré le 15 mars 2024, par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer maintient ses conclusions de rejet.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), le Comité pour la santé des exilés (COMEDE) et l'association Médecins du Monde ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de demandes relatives à l'hébergement des personnes présentes sur le campement établi au lieu-dit " la Verdure ", au renforcement des dispositifs d'accès à l'eau, à l'hygiène et de collecte des ordures ménagères dans le campement et à la scolarisation des enfants qui s'y trouvent. Par une ordonnance du 5 février 2024, dont les associations requérantes relèvent appel, le juge des référés de ce tribunal a, d'une part, enjoint au préfet de la Guyane de créer dans le campement quatre autres points d'eau potable, huit toilettes supplémentaires et six douches supplémentaires non mixtes en prescrivant que ces mesures connaissent un début d'exécution dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande. Dans le dernier état de leurs conclusions, telles que précisées à l'audience, les associations requérantes doivent être regardées comme ne relevant appel de cette ordonnance qu'en tant qu'elle a rejeté leurs demandes relatives à l'hébergement des personnes qui se trouvent sur le campement et à la production de certaines informations par l'OFII et le préfet de la Guyane.

3. La Cimade, le COMEDE et l'association Médecins du Monde demandent également au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 911-4 code de justice administrative, de constater que le préfet de la Guyane n'a pas pris les mesures propres à assurer l'exécution de l'ordonnance du 5 février 2024 et, s'il ne justifie pas avoir exécuté cette ordonnance dans un délai de huit jours à compter de l'ordonnance à intervenir, de prononcer à son encontre une astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Sur la requête d'appel :

4. D'une part, si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale. Dans cette hypothèse, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier au regard de la situation du demandeur d'asile et en tenant compte des moyens dont dispose l'administration et des diligences qu'elle a déjà accomplies.

5. D'autre part, il appartient aux autorités de l'Etat de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette tâche peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

6. Enfin, en l'absence de texte particulier, il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

7. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du démantèlement et de l'évacuation du camp des Amandiers, à Cayenne, les personnes présentes ont été déplacés, en novembre 2023, sur un terrain appartenant au domaine privé de l'Etat, sis au lieu-dit " la Verdure ", sur lequel un centre d'accueil temporaire a été établi, devant les locaux de la direction générale de la cohésion de la population, sur un espace bitumé et clos. Selon un relevé effectué le 12 mars 2024 par la police nationale, 274 personnes se trouvaient sur le campement, dont 133 hommes, 68 femmes et 73 enfants, la majorité de ces personnes ayant présenté une demande d'asile.

8. Les associations requérantes soutiennent que l'absence d'hébergement des personnes établies sur le campement caractériserait une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile et au droit à l'hébergement d'urgence. Elles font valoir, notamment, que les demandeurs d'asile concernés devraient être transférés dans d'autres régions pour y être accueillis dans un dispositif d'accueil et que les bâtiments publics jouxtant le site devraient être réquisitionnés par l'Etat. Toutefois, il est constant, d'une part, que le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile de l'OFII est saturé tant en Guyane, où 1 855 personnes restent en attente d'un hébergement, qu'au niveau national, et ce en dépit des actions mises en œuvre par les autorités publiques. A cet égard, il y a lieu de relever que le nombre de places d'hébergement pour les demandeurs d'asile (HUDA) en Guyane a été multiplié par cinq en quatre ans, atteignant environ 1 000 places, l'ouverture de deux nouveaux centres HUDA de 50 et 100 places étant prévue au cours des prochains mois. Il résulte de l'instruction, d'autre part, que les personnes présentes dans le campement ayant déposé une demande d'asile et accepté le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lors de l'enregistrement de leur demande perçoivent l'allocation pour demandeurs d'asile, majorée du montant additionnel prévu en l'absence d'hébergement. En outre, les efforts déployés depuis l'ouverture du campement par les services de l'Etat ont permis l'hébergement de 262 personnes entre le 1er novembre 2023 et le 8 mars 2024, dont plusieurs dizaines de familles. S'agissant des situations individuelles dont font état les associations requérantes, il résulte de l'instruction que quatre des cinq familles concernées se sont vu proposer un hébergement, que M. et Mme A..., qui ont obtenu le statut de réfugiés, n'ont pas sollicité le " 115 ", et que M. B..., célibataire et sans enfants, âgé de 36 ans, perçoit l'allocation pour demandeur d'asile majorée en l'absence d'hébergement disponible. Enfin, et en tout état de cause, il résulte de l'instruction que les bâtiments publics jouxtant le site " la Verdure " sont pour certains occupés par des habitants du campement et que le bâtiment principal est utilisé pour l'accueil des activités des associations apportant leur soutien à ces habitants ainsi que pour des consultations médicales réalisées par le centre hospitalier et la Croix-Rouge.

9. Il résulte ce qui précède qu'à la date de la présente ordonnance et en l'état de l'instruction, l'absence d'hébergement des personnes présentes sur le campement ne caractérise pas une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit d'asile ou à leur droit à l'hébergement d'urgence. Par ailleurs, le juge des référés de première instance a jugé à bon droit qu'eu égard à leur objet, les demandes tendant à ce qu'il soit enjoint aux autorités concernées de procéder à un inventaire des ressources foncières publiques en vue de l'affectation des locaux inoccupés à l'hébergement provisoire des personnes présentes sur le campement, ainsi qu'au décompte du nombre des places vacantes dans le dispositif national d'accueil et du nombre des places disponibles dans le dispositif d'hébergement d'urgence, ne relevaient pas du champ d'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane n'a pas fait droit à leurs conclusions relatives à l'hébergement de ces personnes et à la production de certaines informations par l'OFII et le préfet de la Guyane. Leur requête d'appel doit, dès lors, être rejetée.

Sur la demande d'exécution :

10. Il résulte de l'instruction que les injonctions tendant à ce que soient installées huit toilettes supplémentaires et six douches supplémentaires non mixtes ont été exécutées ou sont en cours d'exécution. En ce qui concerne l'installation de quatre points d'eau supplémentaires, le ministre, qui fait valoir l'importance des travaux de canalisation et de terrassement requis en vue du raccordement des points d'eau à créer au réseau d'eau potable, justifie de la mise à disposition prochaine de deux nouveaux points d'eau potable par l'intermédiaire de deux cuves à eau de 1 000 litres chacune, dont le remplissage sera assuré deux fois par mois et sera adapté en fonction de l'évolution des conditions climatiques et des besoins constatés. Il y a lieu, par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, de constater, compte tenu des diligences ainsi accomplies, que l'ordonnance du juge des référés est également en cours d'exécution sur ce point, dans des conditions ne justifiant pas, à la date de la présente décision, le prononcé d'une astreinte.

11. Il résulte de ce qui précède que la demande d'exécution présentée par les associations requérantes doit, en tout état de cause, être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête d'appel et la demande d'exécution de l'association La Cimade, le COMEDE et l'association Médecins du Monde sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association La Cimade, au Comité pour la santé des exilés (COMEDE), à l'association Médecins du Monde, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée à la communauté d'agglomération du centre littoral et à la collectivité de Guyane.

Fait à Paris, le 22 mars 2024

Signé : Alban De Nervaux


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 491843
Date de la décision : 22/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mar. 2024, n° 491843
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:491843.20240322
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