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05/03/2024 | FRANCE | N°491949

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 05 mars 2024, 491949


Vu la procédure suivante :

Mme A... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui indiquer, dans un délai de vingt-quatre heures, un centre d'hébergement ou de réinsertion sociale adapté à sa situation familiale, susceptible de l'accueillir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ainsi qu'au département de l'Isère de la prendre en charge

avec son enfant, au titre de l'aide sociale à l'enfance, notamment e...

Vu la procédure suivante :

Mme A... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui indiquer, dans un délai de vingt-quatre heures, un centre d'hébergement ou de réinsertion sociale adapté à sa situation familiale, susceptible de l'accueillir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ainsi qu'au département de l'Isère de la prendre en charge avec son enfant, au titre de l'aide sociale à l'enfance, notamment en ce qui concerne leur logement, leurs besoins alimentaires et sanitaires et leur suivi social, sans délai et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat ou du département de l'Isère la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 2400733 du 7 février 2024, le juge des référés de ce tribunal, après avoir admis l'intéressée au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a enjoint au département de l'Isère de lui désigner un lieu d'hébergement d'urgence susceptible de l'accueillir avec son enfant dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, puis a mis à la charge du département de l'Isère la somme de 900 euros à verser à Me Mathis, son conseil, sous réserve de l'admission définitive de Mme B... à l'aide juridictionnelle, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, en dernier lieu, a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 et 29 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de l'Isère demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande.

Il soutient que :

- l'ordonnance attaquée est irrégulière en ce qu'elle a omis de statuer sur la condition d'urgence ;

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite en l'espèce dès lors que Mme B... s'est elle-même placée dans cette situation ;

- les faits de l'espèce ne révèlent pas de carence de la part du département qui serait constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors, d'une part, que Mme B... et son enfant ne se trouvent pas dans une situation d'isolement, sont en parfaite santé et bénéficient d'un soutien financier régulier de la part du père de l'enfant et ponctuel de la part du département et, d'autre part, que l'offre d'hébergement d'urgence du département se caractérise par une extrême tension.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2024, Mme B... conclut au rejet de la requête et à ce que le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire lui soit accordé. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement a produit ses observations par un mémoire enregistré le 27 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département de l'Isère et, d'autre part, Mme B... ainsi que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 1er mars 2024, à 11 heures :

- Me Croizier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département de l'Isère ;

- la représentante du département de l'Isère ;

- Me Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Il résulte de l'instruction que Mme B..., ressortissante togolaise née le 23 octobre 1986 à Lomé, arrivée en France le 7 septembre 2013 pour suivre des études, s'est, à l'expiration de son autorisation provisoire de séjour valable jusqu'au 9 octobre 2019, maintenue irrégulièrement en France et a été hébergée, pendant environ quatre ans, chez sa sœur et son beau-frère à Villefontaine (Isère). Après avoir donné naissance à son fils, né le 12 mai 2023 à Bourgoin-Jallieu (Isère), reconnu par le père, de nationalité française vivant dans l'Essonne, elle s'est retrouvée avec son enfant sans domicile à compter du 14 janvier 2024. En qualité de mère célibataire, isolée avec un enfant de moins de trois ans, elle a été prise en charge, en vertu des dispositions du 4° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, par les services du département de l'Isère à compter du 16 janvier 2024. Craignant de perdre le bénéfice d'un hébergement d'urgence à compter du 7 février 2024 et de ses droits au titre de l'aide sociale à l'enfance, elle a saisi, le 5 février, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 7 février 2024, le juge des référés a notamment enjoint au président du département de l'Isère de lui désigner un lieu d'hébergement d'urgence susceptible de l'accueillir avec son enfant dans un délai de vingt-quatre heures. Le département qui a procédé à l'exécution de la mesure, relève appel de cette ordonnance.

3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique (...) aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social (...) / (...) / 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / (...) / 5° (...) organiser le recueil et la transmission, dans les conditions prévues à l'article L. 226-3, des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l'être ou dont l'éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l'être, et participer à leur protection (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. (...) ". Enfin, il résulte de l'article L. 221-2 de ce code que le département doit notamment disposer de " possibilités d'accueil d'urgence " ainsi que de " structures d'accueil pour les femmes enceintes et les mères avec leurs enfants " et de son article L. 222-3 que les prestations d'aide sociale à l'enfance peuvent prendre la forme du versement d'aides financières.

4. Aux termes de l'article L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) / 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 ". Aux termes de l'article L. 345-1 du même code : " Bénéficient, sur leur demande, de l'aide sociale pour être accueillies dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale publics ou privés les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2 de ce code : " Dans chaque département est mis en place, sous l'autorité du représentant de l'Etat, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état. Cette orientation est assurée par un service intégré d'accueil et d'orientation, dans les conditions définies par la convention conclue avec le représentant de l'Etat dans le département prévue à l'article L. 345-2-4. (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-2 du même code : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-3 du même code : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) / 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

5. S'il résulte des dispositions citées au point 4 que sont en principe à la charge de l'Etat les mesures d'aide sociale relatives à l'hébergement des personnes qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement, ainsi que l'hébergement d'urgence des personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, il résulte des dispositions citées au point 3 que la prise en charge, qui inclut l'hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile, incombe au département en vertu de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Si toute personne peut s'adresser au service intégré d'accueil et d'orientation prévu par l'article L. 345-2 du même code et si l'Etat ne pourrait légalement refuser à ces femmes un hébergement d'urgence au seul motif qu'il incombe en principe au département d'assurer leur prise en charge, l'intervention de l'Etat ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où le département n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction qui s'est poursuivie à l'audience, que Mme B... ne peut être regardée, contrairement à ce qui a été allégué par le département de l'Isère, comme s'étant placée volontairement dans la situation d'urgence dont elle s'est prévalue, dès lors qu'il n'apparaît pas qu'elle ait, sans motif légitime, quitté de manière anticipée ou refusé des hébergements qui lui ont été proposés entre le 16 janvier et le 7 février. De même, elle ne peut être regardée au regard des pièces produites, non sérieusement contestées en appel, comme disposant d'un niveau de ressources personnelles suffisant pour couvrir ses besoins et ceux de son enfant, notamment en termes d'hébergement, et ce, alors même que le père de l'enfant verse régulièrement, compte tenu de ses capacités financières et conformément à son engagement, des montants mensuels de 200 ou 180 euros pour subvenir à l'éducation et aux besoins de son enfant. Enfin, le département ne conteste plus sérieusement à l'audience que, dans les circonstances particulières de l'espèce, et en dépit de la présence de sa sœur en Isère et du père de l'enfant dans le département de l'Essonne, Mme B... doit être regardée, à la date de l'ordonnance attaquée et de la présente ordonnance, comme une mère isolée avec un enfant de moins de trois ans au sens et pour l'application des dispositions du 4° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, dès lors qu'il est constant que sa sœur et son mari ont choisi de mettre un terme à l'hébergement qu'ils avaient accordé jusque-là à l'intéressée et que, pour des raisons familiales qui lui sont propres, le père de l'enfant ne peut accueillir ni l'enfant, ni sa mère. Dans ces conditions, le département de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que, compte tenu de sa situation de vulnérabilité, Mme B... ne remplit pas la condition d'urgence prévue par les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. En outre, il n'est pas davantage fondé à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble aurait omis de se prononcer sur cette condition alors qu'il résulte des éléments qu'il a retenus dans la motivation de son ordonnance pour qualifier la situation de Mme B..., qu'il l'a nécessairement regardée comme satisfaite.

7. En second lieu, il résulte de l'instruction que les capacités d'hébergement notamment en urgence dont dispose le département de l'Isère sont, en dépit d'un accroissement important de l'offre au fil des années, sous forte tension compte tenu des nombreuses demandes qui lui sont adressées. Toutefois, il n'est pas contesté, notamment à l'audience, que Mme B..., qui, ainsi qu'il a été dit, se présente actuellement comme une mère isolée avec un enfant de moins d'un an, disposant de faibles ressources, ne peut, en l'absence de l'aide apportée par le département, bénéficier, de manière pérenne, d'une mise à l'abri de nuit et encore moins d'un hébergement. Eu égard à la situation particulière de son enfant, âgé de moins d'un an, et alors même qu'il est actuellement en bonne santé, Mme B... est placée, sans nul doute possible, parmi les situations les plus vulnérables. Il apparaît au surplus, selon un document du 29 février 2024 établi par l'assistante sociale du département de l'Isère qui l'accompagne, qu'elle commence à présenter un état de détresse et de fatigue. Par suite, l'absence d'hébergement d'urgence constituerait une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission confiée au département pouvant entraîner, notamment en période hivernale, des conséquences graves pour un enfant de cet âge ou sa mère.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu d'admettre Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, que le département de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a enjoint au département de lui assurer un hébergement d'urgence.

O R D O N N E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu d'admettre Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire

Article 2 : La requête du département de l'Isère est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au département de l'Isère, à Mme A... C....

Copie en sera adressée à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL).

Fait à Paris, le 5 mars 2024

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 491949
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mar. 2024, n° 491949
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE ; SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:491949.20240305
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