La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/03/2024 | FRANCE | N°439178

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 05 mars 2024, 439178


Vu la procédure suivante :



Par une décision du 10 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de la société Saint-Louis Sucre tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre chargé de l'agriculture du 20 décembre 2019 portant reconnaissance de la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononc

ée sur les questions suivantes :



1°) La règle énoncée par le b)...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 10 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de la société Saint-Louis Sucre tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre chargé de l'agriculture du 20 décembre 2019 portant reconnaissance de la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) La règle énoncée par le b) du 1 de l'article 153 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, selon laquelle les statuts d'une organisation de producteurs exigent de ses membres de " n'être membres que d'une seule organisation de producteurs pour un produit donné de l'exploitation " doit-elle être interprétée comme valant uniquement pour les membres producteurs '

2°) Pour s'assurer du respect du principe prévu par le c) du 2 de l'article 153 du règlement (UE) n° 1308/2013, selon lequel les producteurs membres d'une organisation de producteurs doivent contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière :

- y a-t-il lieu, pour apprécier l'indépendance des membres de l'organisation, de tenir compte exclusivement de la détention de leur capital par une même personne physique ou morale, ou également d'autres liens tels que, pour des membres non-producteurs, l'affiliation à une même confédération syndicale, ou, pour des membres producteurs, l'exercice de responsabilités de direction au sein d'une telle confédération '

- suffit-il, pour conclure à la réalité du contrôle exercé sur l'organisation par ses membres producteurs, que ces derniers disposent de la majorité des voix, ou convient-il d'examiner si, compte tenu de la répartition des voix entre membres réellement indépendants, la part de voix d'un ou plusieurs membres non-producteurs les met en mesure, même sans majorité, de contrôler les décisions prises par l'organisation '

Par un arrêt C-183/22 du 15 juin 2023, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.

Par trois mémoires, enregistrés les 28 juillet et 26 décembre 2023 et le 13 février 2024, la société Saint-Louis Sucre maintient les conclusions de sa requête, par les mêmes moyens.

Par un mémoire, enregistré le 28 août 2023, la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny maintient ses conclusions tendant au rejet de la requête.

Par un mémoire, enregistré le 25 janvier 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 10 mars 2022 ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code de commerce ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêt C-183/22 de la Cour de justice de l'Union européenne du 15 juin 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel, avocat de la société Saint-Louis Sucre et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société d'intérêt collectif agricole des betteraviers d'Etrépagny ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Saint-Louis Sucre demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation en date du 20 décembre 2019 portant reconnaissance de la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière. Par une décision avant dire droit du 10 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a écarté les moyens tirés de ce que cet arrêté aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, de ce que les modalités d'externalisation d'activités par laquelle la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) s'engage à mettre à disposition de la SICA des betteraviers d'Etrépagny au minimum un demi-équivalent temps plein ne permettraient pas à l'organisation de producteurs de conserver le contrôle de l'activité externalisée, de ce que le ministre aurait commis une erreur de droit en estimant que la SICA disposait de moyens suffisants pour exécuter correctement ses activités, de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions du c) du paragraphe 1 de l'article 154 du règlement (UE) n° 1308/2013 et les dispositions prohibant les pratiques anti-concurrentielles figurant aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce et a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions préjudicielles dont il l'a saisie. Par un arrêt en date du 15 juin 2023, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.

2. En premier lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 153 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 : " Les statuts d'une organisation de producteurs exigent en particulier de ses membres de : (...) / b) n'être membres que d'une seule organisation de producteurs pour un produit donné de l'exploitation ; (...) ". Par son arrêt du 15 juin 2023, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que ces dispositions doivent être interprétées en ce sens que l'exigence d'appartenance à une seule organisation de producteurs vise exclusivement les membres de celle-ci ayant la qualité de producteurs.

3. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la société Saint-Louis Sucre, la circonstance que la société Naples Investissement détient des parts de la SICA des betteraviers d'Etrépagny et des parts de la SICA Roye-Déshydratation, également reconnue comme organisation de producteurs, ne faisait pas obstacle, dès lors que cette société n'a pas la qualité de producteur, à ce que le ministre reconnaisse la SICA des betteraviers d'Etrépagny comme organisation de producteurs.

4. En second lieu, aux termes du deuxième paragraphe de l'article 153 du même règlement : " Les statuts d'une organisation de producteurs comportent également des dispositions concernant : (...) / c) les règles permettant aux producteurs membres d'une organisation de contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière ; (...) ". Par son arrêt du 15 juin 2023, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que ces dispositions doivent être interprétées en ce sens que, afin de déterminer si les statuts d'une organisation de producteurs comportent des règles permettant aux producteurs membres de celle-ci de contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière, il y a lieu, pour l'autorité nationale en charge de la reconnaissance de cette organisation, d'examiner si une personne contrôle certains membres de l'organisation de producteurs - en tenant compte non seulement du fait que cette personne détient une participation dans le capital social desdits membres, mais également de ce que cette personne entretient, avec eux, d'autres types de rapports, tels que, s'agissant de membres non-producteurs, l'affiliation de ceux-ci à une même confédération syndicale ou, s'agissant de membres producteurs, l'exercice, par ceux-ci, des responsabilités de direction au sein d'une telle confédération - et, après avoir vérifié que les producteurs membres de l'organisation de producteurs disposent de la majorité des voix au sein de l'assemblée générale de l'organisation, d'examiner si, au vu de la répartition des voix entre les membres qui ne sont pas contrôlés par d'autres personnes, un ou plusieurs membres non-producteurs sont, en raison d'une influence déterminante qu'ils pourraient de ce fait exercer, susceptibles de contrôler, même sans majorité, les décisions prises par l'organisation de producteurs.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les membres de la SICA des betteraviers d'Etrépagny ayant la qualité de producteurs disposent de 68,6% des parts tandis que ses membres non-producteurs, à savoir la société Naples Investissement et les syndicats CGB Eure et CGB Ile-de-France, en détiennent respectivement 8,7%, 15,1% et 7,6%. Il résulte de l'article 43 des statuts de la SICA que " tout actionnaire a autant de voix qu'il possède d'actions " mais qu'aucun actionnaire ne peut détenir plus de 10% des voix, ce dont il résulte que le total des voix des membres non producteurs mentionnés ci-dessus est limité à 30%, et que " les majorités en assemblée générale ne sont considérées comme acquises que si les voix dénombrées lors de chaque vote appartiennent pour moitié au moins à des agriculteurs ". Il résulte de l'article 21 de ces statuts que le conseil d'administration " comprend pour moitié au moins des membres élus parmi les sociétaires agriculteurs ".

6. La société Saint-Louis Sucre fait cependant valoir que la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) contrôle directement la société Naples Investissement et contrôle de fait les syndicats CGB Eure et CGB Ile-de-France, que parmi les 13 administrateurs de la SICA énumérés par l'article 21 bis de ses statuts, qui désignent les membres du conseil d'administration pour une période de trois ans, figurent, outre les représentants de ces trois associés, six producteurs membres de la CGB et qui y exercent des responsabilités importantes, et que ces circonstances, conjuguées au fait que le directeur de l'organisation de producteurs d'Etrépagny et une partie des moyens de celle-ci sont mis à sa disposition par la CGB, sont de nature à conférer à la CGB une influence déterminante lui permettant de contrôler, même sans majorité, les décisions prises par cette organisation de producteurs.

7. Toutefois, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que les associés producteurs, membres du conseil d'administration de la SICA, investis de responsabilités syndicales au sein de la CGB, laquelle représente les intérêts des producteurs de betteraves, exerceraient leur mandat, au sein de ce conseil d'administration, dans des conditions conduisant à les regarder comme agissant sous le contrôle de la CGB. D'autre part, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les membres non producteurs, dont l'article 18 du règlement intérieur de la SICA prévoit qu'ils sont exclus de toute information, participation aux négociations et réunions du conseil d'administration relatives aux conditions de vente par l'organisation de producteurs aux acheteurs et aux conditions d'achat par l'organisation de producteurs aux planteurs, disposeraient d'une influence déterminante leur permettant de contrôler, même sans majorité, les décisions prises par la SICA de betteraviers d'Etrépagny. Dès lors, et au regard de la répartition des voix au sein de l'assemblée générale comme au sein du conseil d'administration, telle que rappelée au point 5, il n'est pas établi que la CGB serait susceptible de contrôler les décisions prises par la SICA des betteraviers d'Etrépagny. Par suite, le moyen tiré de ce que la reconnaissance de celle-ci en qualité d'organisation de producteurs méconnaîtrait les exigences découlant du c) du 2 de l'article 153 du règlement (UE) n° 1308/2013 ne peut qu'être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Saint-Louis Sucre n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté qu'elle attaque.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Saint-Louis Sucre est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Saint-Louis Sucre, à la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny, à la Confédération générale des planteurs de betteraves et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 février 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, conseillers d'Etat et Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 5 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Isidoro

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 439178
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mar. 2024, n° 439178
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Isidoro
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP DUHAMEL ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:439178.20240305
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award