La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/02/2024 | FRANCE | N°491761

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 février 2024, 491761


Vu la procédure suivante :

Mme C... A... et M. D... B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de les prendre en charge, ainsi que leurs trois jeunes enfants, dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence, sans délai. Par une ordonnance n° 2400695 du 9 février 2024, le juge des référés de ce tribunal a rejeté leur demande.



Par une requête, enregistrée le 14 février 2024

au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... et M. B... demandent au...

Vu la procédure suivante :

Mme C... A... et M. D... B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de les prendre en charge, ainsi que leurs trois jeunes enfants, dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence, sans délai. Par une ordonnance n° 2400695 du 9 février 2024, le juge des référés de ce tribunal a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 14 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... et M. B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'article 2 de l'ordonnance du 9 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Nice ;

2°) d'enjoindre au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) d'accorder à M. B... le bénéfice effectif des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, en lui versant sans délai l'allocation pour demandeur d'asile, en lui délivrant la carte prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et en proposant un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir avec sa famille ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de les prendre effectivement en charge dans un hébergement d'urgence conforme aux dispositions des articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles et d'assurer leur accompagnement social, sans délai, à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat ou de l'OFII la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent :

- que la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, ils sont sans solution d'hébergement avec leurs trois jeunes enfants et que, d'autre part, l'une de leurs enfants est atteinte d'une pathologie incompatible avec une vie sans domicile fixe ;

- qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit à l'asile, à leur droit à l'hébergement d'urgence, à l'intérêt supérieur de l'enfant et au principe de dignité de la personne humaine ;

- que la carence de l'Etat et de l'OFII à leur proposer un logement méconnaît le droit de l'Union européenne, notamment la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 et la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- qu'en s'abstenant de se prononcer sur l'atteinte grave et manifestement illégale à leur droit à l'asile et sur leurs demandes dirigées contre l'OFII, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a statué irrégulièrement ;

- que c'est à tort que ce juge des référés a retenu la saturation du dispositif d'hébergement d'urgence dans le département des Alpes-Maritimes et la circonstance qu'ils ont bénéficié pendant plusieurs mois d'une mise à l'abri d'urgence pour écarter le caractère prioritaire de leur demande.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête. Il soutient que les requérants n'ont dirigé contre lui aucune de leurs conclusions de première instance, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2024, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement conclut au non-lieu à statuer. Elle soutient que les requérants, depuis la notification de la fin de leur prise en charge, se maintiennent dans l'établissement où ils avaient été mis à l'abri.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A... et M. B... et, d'autre part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement et l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 19 février 2024, à 15 heures :

- Me Krivine, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... et M. B... ;

- le représentant de Mme A... et M. B... ;

- la représentante de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.

Une note en délibéré a été produite par Mme A... et M. B... le 19 février 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) "..

Sur les conclusions dirigées contre l'OFII :

2. Il ressort des pièces du dossier de la procédure conduite devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice que si Mme A... et M. B... ont mis en cause l'Office français de l'immigration et de l'intégration devant ce juge, la demande dont ils l'ont saisi tendait exclusivement à ce qu'il soit enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de mettre en œuvre leur droit à l'hébergement d'urgence. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ce juge aurait irrégulièrement omis de se prononcer sur des demandes dirigées contre l'Office, qui ne lui étaient pas présentées. Ils ne sont pas non plus recevables à présenter pour la première fois en appel de telles demandes, qui ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

Sur les conclusions dirigées contre l'Etat :

3. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse ". Aux termes de l'article L. 345-2-2 : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. / L'hébergement d'urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, les besoins de la personne accueillie (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) / 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

4. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 3, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. Il résulte de l'instruction que Mme A..., ressortissante nigériane titulaire d'une carte de séjour temporaire, et M. B..., de même nationalité, parents de trois filles mineures nées en France le 27 août 2019, le 5 octobre 2020 et le 19 août 2023, après avoir obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Nice, par ordonnance du 27 juillet 2023, une injonction, adressée au préfet des Alpes-Maritimes, de leur désigner un lieu d'hébergement d'urgence susceptible de les accueillir, se sont vu notifier pour le 31 janvier 2024 la fin de leur prise en charge à ce titre. Compte tenu du très jeune âge de leurs trois enfants, dont la benjamine est un nourrisson, et de l'état de santé de la cadette, établi par les pièces médicales relatives aux quatre hospitalisations en urgence qu'elle a dû subir entre juillet 2022 et décembre 2023, ce couple sans abri doit être regardé comme se trouvant en situation de détresse sociale au sens des dispositions de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Eu égard à la situation particulière de cette famille, qui la place sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables, et alors que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ne fournit en défense, aucun élément relatif à l'état actuel, dans le département des Alpes-Maritimes, des capacités d'hébergement dans le cadre décrit au point 3, pas plus que le préfet des Alpes-Maritimes ne l'avait fait devant le premier juge, l'absence d'hébergement d'urgence constitue une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission confiée à l'Etat, qui peut entraîner, notamment en période hivernale, des conséquences graves pour les enfants. Dans les circonstances de l'espèce, cette situation fait ainsi apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

6. S'il résulte également de l'instruction que depuis la notification de la fin de leur prise en charge, Mme A... et M. B... se sont maintenus avec leurs enfants dans l'hôtel, à Sospel, où ils étaient hébergés jusque-là, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, qui se borne, à l'appui de ses conclusions à fin de non-lieu, à faire valoir que le préfet des Alpes-Maritimes n'a encore pris aucun acte exécutoire en vue de leur faire effectivement quitter les lieux, ne produit aucun élément attestant que cet hébergement d'urgence serait maintenu, conformément aux obligations résultant pour l'Etat des dispositions des articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles citées au point 3, jusqu'à ce qu'une proposition d'orientation vers une structure d'hébergement stable ou un logement adapté à leur situation leur soit faite, ni que serait repris, dans cette attente, l'accompagnement social prévu par ces dispositions. Dès lors, la requête d'appel n'était pas dépourvue d'objet et n'en a pas été privée en cours d'instance, et l'urgence caractérisée par la situation décrite au point 6, justifiant que le juge des référés prenne sur le fondement de l'article L. 521-2 toute mesure nécessaire, n'a pas disparu. Il y a lieu, par suite, d'ordonner à l'Etat de rétablir au bénéfice de Mme A..., de M. B... et de leurs trois enfants mineures un hébergement d'urgence conforme aux exigences rappelées au point 3 afin de les placer à l'abri et d'assurer leur accompagnement social. Il s'ensuit que Mme A... et M B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'article 2 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 9 février 2024 est annulé.

Article 2 : Il est enjoint à l'Etat de rétablir au bénéfice de Mme A..., de M. B... et de leurs trois enfants mineures un hébergement d'urgence conforme aux dispositions des articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A... et à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C... A..., première dénommée, ainsi qu'à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Fait à Paris, le 26 février 2024

Signé : Nicolas Polge


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 491761
Date de la décision : 26/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 2024, n° 491761
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 29/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:491761.20240226
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award