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26/02/2024 | FRANCE | N°491367

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 février 2024, 491367


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 janvier et le 21 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat professionnel Groupement français des fabricants de produits à usage unique pour l'hygiène, la santé et l'essuyage (GROUP'HYGIENE) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2023-1427 du 30 décembre 2023 relatif à l'infor

mation sur certains produits de protection intime ;



2°) de mettre à...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 janvier et le 21 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat professionnel Groupement français des fabricants de produits à usage unique pour l'hygiène, la santé et l'essuyage (GROUP'HYGIENE) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2023-1427 du 30 décembre 2023 relatif à l'information sur certains produits de protection intime ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'aucune urgence en matière de santé publique ne s'attache à l'application immédiate du décret, que le délai nécessaire pour mettre en conformité les emballages est incompatible avec le délai de trois mois prévu par le décret contesté, que l'entrée en vigueur du décret risque de provoquer des ruptures d'approvisionnement, qu'elle impose aux professionnels du secteur d'engager des dépenses importantes dans des délais réduits et les expose à des sanctions financières ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la conformité du décret publié au texte soumis pour avis au Conseil d'Etat ou au texte adopté par le Conseil d'Etat n'est pas établie ;

- le décret contesté méconnaît l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dès lors que les exigences prévues quant aux informations devant figurer sur les emballages constituent des restrictions à la libre circulation des marchandises ;

- il porte une atteinte disproportionnée à la libre circulation des biens dès lors que les nouvelles obligations d'étiquetage qui s'ajoutent aux mentions figurant déjà sur les emballages des produits ne renforcent pas la protection de la santé publique et que des mesures alternatives sont plus à même d'atteindre l'objectif poursuivi ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne met pas en avant prioritairement le risque sanitaire associé au syndrome du choc toxique menstruel et en ce que la référence à son article 2 aux " risques sanitaires " est source de confusion et sans pertinence pour les produits à usage externe.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive (UE) n° 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- le code de la consommation ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le GROUP'HYGIENE et, d'autre part, le Premier ministre, la ministre du travail, de la santé et des solidarités, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et le garde des sceaux, ministre de la justice.

Ont été entendus lors de l'audience publique du 22 février 2024, à 11 heures :

- Me Krivine, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat professionnel GROUP'HYGIENE ;

- les représentants du syndicat professionnel GROUP'HYGIENE ;

- les représentants de la ministre du travail, de la santé et des solidarités ;

- les représentantes du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Le décret du 30 décembre 2023 relatif à l'information sur certains produits de protection intime prévoit que l'emballage de ces produits comporte des informations, précisées à son article 2 ainsi qu'en annexe, relatives à leur composition, aux risques sanitaires associés et aux modalités et précautions d'utilisation de ces produits. En vertu de son article 4, lorsque la taille de l'emballage ne permet pas d'y faire apparaître toutes ces informations, celles-ci peuvent figurer sur une notice qui l'accompagne et dans ce cas, " l'emballage indique au minimum les informations suivantes : la composition, le risque de syndrome de choc toxique menstruel lié à l'utilisation de produits à usage interne, la durée maximale de port pour ces derniers, la recommandation de port de produits à usage externe la nuit, le choix adapté de protection par rapport au flux menstruel ". Selon l'article 6 de ce décret, ces dispositions " ne font pas obstacle à la mise sur le marché en France des produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Turquie ou légalement fabriqués dans un Etat partie à l'accord instituant l'Espace économique européen, dans la mesure où ils sont accompagnés d'une information assurant un niveau de sécurité équivalent à celui exigé par le présent décret ". Le syndicat professionnel GROUP'HYGIENE demande la suspension de ce décret.

3. En premier lieu, aux termes de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres ". Aux termes de l'article 36 du même traité, ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit " justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que la notion de " mesure d'effet équivalent " inclut toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, et, d'autre part, qu'une réglementation nationale qui constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives est autorisée lorsqu'elle est indistinctement applicable aux produits nationaux et importés et qu'elle est nécessaire pour satisfaire à l'une des raisons d'intérêt général citées, telle que la protection de la santé, ou à des exigences impératives. Les dispositions en cause doivent être propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint.

4. En l'espèce, s'il n'est pas contesté que les obligations introduites par le décret litigieux peuvent être regardées comme une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il ressort des pièces du dossier qu'en adoptant ces dispositions, le pouvoir réglementaire a entendu garantir une meilleure information des utilisatrices des produits concernés quant à leur composition, aux risques qu'ils sont susceptibles de présenter pour leur santé et aux précautions d'utilisation à respecter. Il a poursuivi ainsi un objectif de protection de la santé publique.

5. Le syndicat requérant soutient à cet égard que la nécessité des obligations d'étiquetage prévues par le décret contesté n'est pas établie au regard de l'objectif de protection de la santé publique, compte tenu en particulier des mentions figurant déjà sur les emballages des produits concernés et en l'absence de risque sanitaire s'agissant de l'utilisation des produits de protection intime à usage externe. Il résulte toutefois de l'instruction que dans un avis publié le 4 juin 2018 puis révisé le 23 décembre 2019 concernant les risques associés au port de protections intimes féminines, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), a relevé, sur la base d'une enquête, la nécessité d'une meilleure information des femmes sur les recommandations d'utilisation de tous les types de protections (mesures d'hygiène, durée de port, utilisation d'un produit adapté...) et sur les risques associés à une mauvaise utilisation, en particulier, s'agissant des protections intimes internes, le syndrome infectieux rare mais potentiellement grave de choc toxique menstruel. Tout en constatant, en l'état actuel des connaissances, l'absence de risque sanitaire lié aux substances chimiques présentes dans ces produits, elle a recommandé de supprimer ou de limiter autant que possible la présence de ces substances et d'informer les utilisatrices sur la composition des produits. Elle a constaté, enfin, l'hétérogénéité des informations fournies par les fabricants aux utilisatrices et préconisé que soient affichés sur les emballages la composition des produits, les principales recommandations d'utilisation ainsi que le risque de syndrome de choc toxique menstruel dans le cas des protections intimes internes. Dans l'avis favorable qu'elle a rendu sur le décret contesté le 21 juillet 2022, l'ANSES a pris acte de ce que ses conclusions se traduisaient dans le texte qui lui était soumis et formulé des recommandations qui ont été prises en compte, notamment concernant les précautions et modalités d'utilisations précisées en annexe.

6. Si le syndicat requérant fait valoir également que l'objectif poursuivi aurait pu être atteint par des campagnes d'information régulières sous l'égide des associations et des personnels de santé alors que, selon lui, les mentions obligatoires imposées n'auront pas d'incidence sur le comportement des utilisatrices, ces arguments ne permettent pas, en l'état de l'instruction, de considérer que le recours à un procédé moins contraignant serait susceptible d'avoir la même efficacité que l'apposition d'informations obligatoires sur les emballages des produits de protection intime, directement accessibles au moment de l'achat ou de l'usage de ces produits.

7. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les dispositions du décret contesté sont constitutives d'une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative, au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à leur légalité.

8. En second lieu, aucun des autres moyens n'est de nature à justifier la suspension du décret litigieux

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner si la condition d'urgence est remplie, la demande de suspension présentée par le syndicat professionnel GROUP'HYGIENE doit être rejetée, y compris les conclusions qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du syndicat professionnel GROUP'HYGIENE est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat professionnel GROUP'HYGIENE, ainsi qu'au Premier ministre, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Fait à Paris, le 26 février 2024

Signé : Alban de Nervaux


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 491367
Date de la décision : 26/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 2024, n° 491367
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 29/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:491367.20240226
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