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05/02/2024 | FRANCE | N°461386

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 05 février 2024, 461386


Vu les procédures suivantes :



1. Sous le n° 461386, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 février 2022 et 5 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des taxis, la Fédération nationale des artisans du taxi, la Fédération nationale des taxis indépendants, l'Union nationale des taxis du Var, l'Union régionale des taxis, le Syndicat des taximètres marseillais et de Provence, le Syndicat des artisans du taxi aixois, le Syndicat des artisans du taxi de Perpignan et des Pyrénées-Orientales et

le Syndicat autonome des artisans taxis de la Marne demandent au Conseil d'E...

Vu les procédures suivantes :

1. Sous le n° 461386, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 février 2022 et 5 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des taxis, la Fédération nationale des artisans du taxi, la Fédération nationale des taxis indépendants, l'Union nationale des taxis du Var, l'Union régionale des taxis, le Syndicat des taximètres marseillais et de Provence, le Syndicat des artisans du taxi aixois, le Syndicat des artisans du taxi de Perpignan et des Pyrénées-Orientales et le Syndicat autonome des artisans taxis de la Marne demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'économie, des finances et de la relance du 17 novembre 2021 relatif à l'expérimentation " Optimisation de l'efficience de l'organisation des transports sanitaires - Transfert du conventionnement d'une entreprise à double activité au titre d'une ADS taxi vers une AMS VSL ", et ses annexes, dont le cahier des charges ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2. Sous le n° 461480, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 14 février 2022 et 25 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale du taxi demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'économie, des finances et de la relance du 17 novembre 2021 relatif à l'expérimentation " Optimisation de l'efficience de l'organisation des transports sanitaires - Transfert du conventionnement d'une entreprise à double activité au titre d'une ADS taxi vers une AMS VSL ", et ses annexes, dont le cahier des charges ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- le code des transports ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable : " I. - Des expérimentations dérogatoires à au moins une des dispositions mentionnées au II peuvent être mises en œuvre, pour une durée qui ne peut excéder cinq ans. / Ces expérimentations ont l'un ou l'autre des buts suivants : / 1° Permettre l'émergence d'organisations innovantes dans les secteurs sanitaire et médico-social concourant à l'amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l'efficience du système de santé et de l'accès aux soins, en visant à : / a) Optimiser par une meilleure coordination le parcours de santé ainsi que la pertinence et la qualité de la prise en charge sanitaire, sociale ou médico-sociale ; / b) Organiser pour une séquence de soins la prise en charge des patients ; / c) Développer les modes d'exercice coordonné en participant à la structuration des soins ambulatoires ; (...) / II.- Pour la mise en œuvre de ces expérimentations, il peut être dérogé en tant que de besoin : / 1° Aux dispositions suivantes : / a) Les règles de facturation, de tarification et de remboursement mentionnées aux articles L. 162-1-7, L. 162-5, L. 162-9, L. 162-12-2, L. 162-12-9, L. 162-14, L. 162-14-1, L. 162-16-1, L. 162-22-6, L. 162-22-6-1, L. 162-22-8, L. 162-22-8-1, L. 162-22-8-3, L. 162-22-10, L. 162-22-13, L. 162-22-14, L. 162-22-15, L. 162-22-18, L. 162-22-19, L. 162-23-1, L. 162-23-2, L. 162-23-3, L. 162-23-4, L. 162-23-6, L. 162-23-7, L. 162-23-8, L. 162-23-15, L. 162-23-16, L. 162-26, L. 162-26-1, L. 162-32-1, L. 165-1, L. 174-1, L. 322-5 et L. 322-5-2 du présent code et aux III, V et VI de l'article 78 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, en tant qu'ils concernent les tarifs, honoraires, rémunérations et frais accessoires dus aux établissements de santé, centres de santé, professionnels de santé, prestataires de transports sanitaires ou entreprises de taxi ; (...) / c) Les 1°, 2° et 6° de l'article L. 160-8, en tant qu'ils concernent les frais couverts par l'assurance maladie ; (...) / 2° Aux dispositions suivantes du code de la santé publique, lorsque cette dérogation est indispensable à la mise en œuvre de l'expérimentation et sous réserve, le cas échéant, de l'avis de la Haute Autorité de santé : / (...) m) Le deuxième alinéa du I de l'article L. 6312-4, en tant qu'il concerne l'agrément, le nombre théorique de véhicules et les catégories de moyens de transport ; (...) / III.- Les expérimentations à dimension nationale sont autorisées, le cas échéant après avis de la Haute Autorité de santé, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé. Les expérimentations à dimension régionale sont autorisées, le cas échéant après avis conforme de la Haute Autorité de santé, par arrêté des directeurs généraux des agences régionales de santé. / Un conseil stratégique, institué au niveau national, est chargé de formuler des propositions sur les innovations dans le système de santé. Il est associé au suivi des expérimentations et formule un avis en vue de leur éventuelle généralisation. / Un comité technique composé de représentants de l'assurance maladie, des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé et des agences régionales de santé émet un avis sur ces expérimentations, leur mode de financement ainsi que leurs modalités d'évaluation et détermine leur champ d'application territorial. / Le comité technique saisit pour avis la Haute Autorité de santé des projets d'expérimentation comportant des dérogations à des dispositions du code de la santé publique relatives à l'organisation ou la dispensation des soins. Un décret en Conseil d'Etat précise la liste des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé qu'après avis de la Haute Autorité de santé et le délai dans lequel son avis est rendu. / Les catégories d'expérimentations, les modalités de sélection, d'autorisation, de financement et d'évaluation des expérimentations selon le niveau territorial ou national de celles-ci, les modalités d'information des patients ainsi que la composition et les missions du conseil stratégique et du comité technique sont précisées par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Selon les dispositions de l'article L. 160-8 du même code, dans sa rédaction applicable : " La protection sociale contre le risque et les conséquences de la maladie prévue à l'article L. 111-2-1 comporte : / (...) 2° La couverture des frais de transport des personnes se trouvant dans l'obligation de se déplacer pour recevoir les soins ou subir les examens appropriés à leur état ainsi que pour se soumettre à un contrôle prescrit en application de la législation de sécurité sociale, selon les règles définies aux articles L. 162-4-1 et L. 322-5 et dans les conditions et limites tenant compte de l'état du malade et du coût du transport fixées par décret en Conseil d'Etat ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 162-50-1 du même code : " I.- Les expérimentations mentionnées au 1° du I de l'article L. 162-31-1 regroupent les catégories d'expérimentation suivantes : / (...) 2° L'organisation et le financement d'activités de soins, de prévention et d'accompagnement, de technologies ou de services au sein des secteurs sanitaire, médico-social ou social, non pris en charge par les modalités existantes et susceptibles d'améliorer l'accès aux soins, leur qualité, leur sécurité ou l'efficience du système de santé, selon une ou plusieurs des modalités suivantes : / a) Structuration pluriprofessionnelle des soins ambulatoires ou à domicile et promotion des coopérations interprofessionnelles et de partages de compétences ; / b) Organisation favorisant l'articulation ou l'intégration des soins ambulatoires, des soins hospitaliers et des prises en charge dans le secteur médico-social ; / c) Utilisation d'outils ou de services numériques favorisant ces organisations (...) ".

2. En application de ces dispositions, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'économie, des finances et de la relance ont pris, le 17 novembre 2021, après avis du comité technique de l'innovation en santé en date du 4 novembre 2021, un arrêté relatif à l'expérimentation " Optimisation de l'efficience de l'organisation des transports sanitaires - Transfert du conventionnement d'une entreprise à double activité au titre d'une ADS taxi vers une AMS VSL ", qui autorise, pour une durée de deux années à compter du 1er avril 2022, une expérimentation portant sur l'optimisation de l'efficience de l'organisation des transports sanitaires dans quatre régions, en permettant, pour quarante-cinq entreprises volontaires exploitant à la fois des taxis conventionnés par l'assurance maladie en vue du transport assis professionnalisé de personnes et des véhicules sanitaires légers disposant d'une autorisation de mise en service, de renoncer au conventionnement avec l'assurance maladie de toutes leurs autorisations de stationnement de taxi, moyennant la délivrance d'un même nombre d'autorisations temporaires de mise en service d'un véhicule sanitaire léger. L'Union nationale des taxis et autres et la Fédération nationale du taxi demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté interministériel.

3. Les requêtes de l'Union nationale des taxis et autres et de la Fédération nationale du taxi tendant à l'annulation du même arrêté, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne la compétence :

4. En premier lieu, l'arrêté litigieux a été pris en application de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale cité au point 1, qui a expressément donné compétence au pouvoir réglementaire pour autoriser des expérimentations dans des conditions qu'il définit, et n'a pas excédé les limites posées par ces dispositions législatives. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait intervenu, en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution, dans des matières relevant de la compétence du législateur ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement prévoit que : " À compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° (...) les directeurs d'administration centrale (...) ". Il résulte de ces dispositions que Mme A... C..., nommée, à compter du 1er septembre 2019, directrice générale de l'offre de soins au sein de l'administration centrale du ministère des solidarités et de la santé, et M. B... D..., nommé, à compter du 12 juin 2020, directeur de la sécurité sociale au sein de l'administration centrale du ministère des solidarités et de la santé et du ministère de l'action et des comptes publics, étaient habilités à signer l'arrêté attaqué. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence des signataires de cet arrêté doit être écarté.

En ce qui concerne la procédure d'adoption de l'arrêté :

6. En premier lieu, il ressort des dispositions du III de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale citées au point 1 que les expérimentations à dimension nationale sont autorisées, le cas échéant, après avis de la Haute Autorité de santé, et qu'un comité technique composé de représentants de l'assurance maladie, des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé et des agences régionales de santé émet un avis sur les projets d'expérimentations, l'article R. 162-50-8 précisant quant à lui les dispositions du code de la santé publique auxquelles il ne peut être dérogé qu'après avis de la Haute Autorité de santé. D'une part, il ne ressort pas de ces dispositions, ni d'aucune autre, que la consultation des fédérations nationales représentatives de la profession des exploitants de taxi, des instances représentatives des transports publics particuliers de personnes ou des autorités délivrant les autorisations de stationnement aurait été obligatoire préalablement à l'adoption de l'arrêté attaqué. D'autre part, l'arrêté attaqué ayant la nature d'un acte réglementaire, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'il aurait dû être précédé d'une procédure contradictoire.

7. En deuxième lieu, si le 2ème alinéa du I de l'article L. 6312-4 du code de la santé publique, relatif au régime d'autorisation de mise en service des véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres, prévoit qu' " Aucune autorisation n'est délivrée si le nombre de véhicules déjà en service égale ou excède un nombre fixé en fonction des besoins sanitaires de la population " et si l'article R. 6312-30 du même code précise que : " Dans chaque département, le directeur général de l'agence régionale de santé, après avis du sous-comité des transports sanitaires, arrête conformément à l'article L. 6312-4 le nombre théorique de véhicules affectés aux transports sanitaires (...) ", il résulte du m) du 2° du II de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale cité au point 1 que pour la mise en œuvre des expérimentations, il peut être dérogé, lorsque cette dérogation est indispensable à la mise en œuvre de l'expérimentation, au 2ème alinéa du I de l'article L. 6312-4 du code de la santé publique, en tant qu'il concerne l'agrément, le nombre théorique de véhicules et les catégories de moyens de transport. Il en résulte que l'article 7 du cahier des charges de l'expérimentation, annexé à l'arrêté attaqué, pouvait prévoir une dérogation au nombre théorique de véhicules sans consultation préalable du sous-comité des transports sanitaires, laquelle ne s'impose qu'à l'égard des décisions prises par le directeur général de l'agence régionale de santé en application de l'article R. 6312-30 du code de la santé publique cité ci-dessus.

8. En troisième lieu, l'article R. 162-50-5 du code de la sécurité sociale ne soumettant à aucune condition la possibilité de proposer un projet d'expérimentation, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la Fédération nationale de la mobilité statutaire n'avait pas qualité pour proposer, en application de ces dispositions, une expérimentation entrant dans le champ professionnel des exploitants de taxi.

9. En dernier lieu, s'il prévoit que l'économie résultant, pour l'assurance maladie, de la substitution des transports en taxi par des transports en véhicule sanitaire léger sera reversée pour moitié à l'entreprise de transports sanitaires participant à l'expérimentation, l'arrêté attaqué n'institue pas une aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il aurait dû être notifié à la Commission européenne préalablement à toute mise à exécution, en application du paragraphe 3 de l'article 108 de ce traité, doit être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

10. En premier lieu, il résulte du a) du 1° du I de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale cité au point 1 que les expérimentations pouvant être mises en œuvre doivent notamment avoir pour but de permettre l'émergence d'organisations innovantes dans les secteurs sanitaires et médico-social concourant à l'amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l'efficience du système de santé et de l'accès aux soins en améliorant le parcours de santé ou la pertinence et la qualité de la prise en charge sanitaire. Les requérants soutiennent que l'arrêté attaqué méconnaîtrait ces dispositions en ce que, d'une part, cette expérimentation ne serait pas innovante, le même objectif pouvant être atteint par la seule délivrance d'autorisations de mise en service de véhicules sanitaires légers supplémentaires, et en ce que, d'autre part, les objectifs qu'elle poursuit seraient erronés et contradictoires, s'agissant de la promotion du transport partagé, des économies susceptibles d'être réalisées ou encore de la diminution du temps d'attente des patients.

11. Il ressort toutefois du cahier des charges de l'expérimentation annexé à l'arrêté attaqué que celle-ci vise à " améliorer l'efficience de l'organisation des transports sanitaires tout en développant une prise en charge adaptée aux nouveaux besoins des patients ", ainsi qu'à " promouvoir les transports partagés en VSL " et à " améliorer l'efficience des dépenses de santé en ne s'appuyant pas seulement sur la variation des tarifs mais aussi sur la modification de l'offre des transports sanitaires ". Il résulte de ces éléments que, contrairement à ce qui est soutenu, cette expérimentation répond au critère d'innovation prévu par le 1° du I de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale précité. Il ne ressort, par ailleurs, pas des pièces du dossier que les objectifs poursuivis par l'expérimentation seraient, ainsi qu'il est soutenu, erronés ou contradictoires.

12. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que la généralisation de l'expérimentation prévue par l'arrêté attaqué serait impossible dès lors qu'elle déstabiliserait la structure de l'offre sanitaire locale et porterait atteinte aux équilibres économiques locaux de la profession des exploitants de taxi, de sorte que cet arrêté serait entaché d'une méconnaissance de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale et d'erreur manifeste d'appréciation. Toutefois, l'arrêté attaqué prévoit des modalités d'évaluation de l'expérimentation au moyen d'indicateurs relatifs aux objectifs d'optimisation des transports partagés, de diminution des dépenses publiques et de renforcement de l'offre de transports sanitaires, d'un suivi de " l'évolution de la structure kilométrique des trajets des entreprises expérimentatrices comme de l'ensemble des transporteurs - VSL et Taxis " ainsi que d'une étude de " la répartition de l'offre de transports sanitaires à l'issue de l'expérimentation ". Cette évaluation a ainsi, notamment, pour objectif d'évaluer l'incidence de ce dispositif sur la structure de l'offre sanitaire sur les territoires, incidence qui pourra être prise en compte par le législateur et le pouvoir réglementaire à l'issue de l'expérimentation pour décider de son maintien, de sa modification, de sa généralisation ou de son abandon, conformément à l'objet conféré à une telle expérimentation par les dispositions citées au point 1. Si les requérants soutiennent que, quel que soit le résultat de cette expérimentation et de son évaluation, sa généralisation serait nécessairement impossible, une telle allégation n'est pas assortie des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

13. En troisième lieu, d'une part, si le a) du 1° du II de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale citée au point 1 permet de déroger à l'article L. 322-5 du même code en tant seulement qu'il concerne notamment les tarifs, honoraires, rémunérations et frais accessoires dus aux entreprises de taxi, et si l'article 7 du cahier des charges de l'expérimentation annexé à l'arrêté attaqué mentionne une " dérogation relative à l'accès au conventionnement par l'assurance maladie des entreprises de taxi - article L. 322-5 du code de la sécurité sociale ", il ressort néanmoins de ce cahier des charges que la modification de l'accès au conventionnement par l'assurance maladie prévue par l'expérimentation ne saurait être regardée comme une dérogation à l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale dès lors qu'elle est basée sur le volontariat des entreprises dites à double activité y participant qui, dans cette mesure, renoncent aux conventionnements dont elles bénéficient. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 7, la dérogation à l'article L. 6312-4 du code de la santé publique, en tant qu'elle concerne le nombre théorique de véhicules, est expressément prévue par l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le champ des dispositions auxquelles le législateur l'a autorisé à déroger ne peut qu'être écarté.

14. En quatrième lieu, il ressort du cahier des charges annexé à l'arrêté attaqué que l'expérimentation autorisée concerne les seules entreprises volontaires dites à double activité, qui renoncent, pour une durée de deux années à compter du 1er avril 2022, au conventionnement de leurs taxis en contrepartie de l'octroi d'un nombre équivalent d'autorisations temporaires de mise en service de véhicules sanitaires légers, dans un but de promotion du transport partagé, en cohérence avec l'avenant n°10 à la convention nationale des transporteurs sanitaires, et d'amélioration de l'efficience des dépenses de santé, au regard du constat que le tarif moyen d'un véhicule sanitaire léger est moins élevé que celui d'un taxi bénéficiant d'une convention avec l'assurance maladie. Il ressort également de ce cahier des charges que cette expérimentation s'accompagne de modalités visant à ne pas déstabiliser l'offre de transport local, les entreprises volontaires participant à l'expérimentation ayant interdiction de céder ou de remettre en mairie les autorisations de stationnement de leurs taxis, aucune dérogation au code des transports n'étant accordée et un des critères de sélection des entreprises volontaires étant l'exploitation d'un nombre de véhicules de taxi inférieur à 15. Les dispositions réglementaires attaquées définissent ainsi de façon suffisamment précise l'objet de l'expérimentation qu'elles instituent ainsi que les conditions de sa mise en œuvre et la différence de traitement qu'elles instituent entre les entreprises dites à double activité qui y participent et les exploitants de taxi est en rapport direct avec l'objet même de cette expérimentation et n'est pas disproportionnée. Le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité doit par suite être écarté.

15. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce qu'aucune mesure n'aurait été prise afin de garantir l'impartialité et l'objectivité de l'expérimentation, ainsi que la fiabilité et l'exhaustivité des données issues de celle-ci en vue de son évaluation, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

16. En sixième lieu, d'une part, la circonstance que la sélection des entreprises participant à l'expérimentation ait été opérée sur la base du volontariat est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué. D'autre part, il ressort du cahier des charges annexé à l'arrêté attaqué que si seules des entreprises à double activité étaient susceptibles de participer à cette expérimentation, du fait de la substitution qu'elle implique de véhicules sanitaires légers aux taxis, ces entreprises ont néanmoins fait l'objet d'une sélection réalisée conjointement par la caisse nationale d'assurance maladie, les agences régionales de santé, les directions de la coordination de la gestion du risque et les caisses primaires d'assurance maladie, en fonction de trois critères prenant en compte le marché local du transport sanitaire et les objectifs de l'expérimentation : " générer une activité suffisante en taxi et en VSL ", " présenter un tarif moyen en VSL inférieur au tarif moyen taxi en 2019 ou en 2020 " et " transformer un nombre inférieur à 15 taxis en VSL ". Enfin, les critères d'évaluation de l'expérimentation prévus par le cahier des charges prennent en compte l'échelon départemental et l'hypothèse dans laquelle toutes les entreprises d'un même département ne participeraient pas à l'expérimentation. Il suit de là que les dispositions du cahier des charges déterminant les modalités de sélection des entreprises participant à l'expérimentation ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

17. En dernier lieu, l'article 10 du cahier des charges annexé à l'arrêté attaqué fixe une méthodologie et des critères d'évaluation, en prenant notamment en compte " la satisfaction des patients, les réclamations réceptionnées par l'assurance maladie et les ARS, les retours d'expériences des entreprises participantes et des établissements de santé ". Il s'ensuit que les dispositions du cahier des charges encadrant les modalités d'évaluation de l'expérimentation ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 17 novembre 2021 attaqué. Leurs requêtes doivent par suite être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de l'Union nationale des taxis et autre et de la Fédération nationale du taxi sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union nationale des taxis, première dénommée pour l'ensemble des requérants de la requête enregistrée sous le n° 461386, à la Fédération nationale du taxi, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. David Gaudillère, maître des requêtes et Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 5 février 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461386
Date de la décision : 05/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 fév. 2024, n° 461386
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:461386.20240205
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