Vu la procédure suivante :
La société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le syndicat intercommunal de gestion des déchets du Faucigny Genevois (SIDEFAGE), devenu le syndicat intercommunal de valorisation (SIVALOR), à lui verser une provision de 711 438,40 euros hors taxes, au titre du paiement direct des prestations qu'elle a livrées en qualité de sous-traitante acceptée de la société Hitachi Zosen Inova (HZI), cotraitante et mandataire du groupement titulaire du marché de conception-réalisation passé pour la rénovation du dispositif de traitement des fumées de l'unité d'incinération des déchets ménagers de Bellegarde-sur-Valserine. Par une ordonnance n° 2205053 du 16 décembre 2022, la juge des référés du tribunal administratif de Lyon a condamné le SIVALOR à verser à la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes une provision de 665 788,10 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts au taux légal.
Par une ordonnance n° 22LY03810 du 15 juin 2023, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel du SIVALOR, annulé cette ordonnance en tant qu'elle a condamné le SIVALOR à verser une provision à la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes et rejeté la demande de celle-ci.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 et 19 juillet et 4 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter l'appel du SIVALOR ;
3°) de mettre à la charge du SIVALOR la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhônes-Alpes, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat du SIVALOR et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société Hitachi Zosen Inova AG ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon que le syndicat intercommunal de gestion des déchets du Faucigny Genevois (SIDEFAGE), devenu le syndicat intercommunal de valorisation (SIVALOR), a confié la conception et la réalisation de la nouvelle installation de traitement des fumées de son unité de valorisation énergétique des déchets ménagers de Bellegarde-sur-Valserine à la société de droit suisse Hitachi Zosen Inova AG et que cette dernière a fait intervenir, en qualité de sous-traitante acceptée par le maître d'ouvrage, la société Eiffage Energies Systèmes-IT Rhône-Alpes. Cette dernière a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le SIVALOR à lui verser une provision au titre du paiement direct de trois factures émises les 30 août 2021, 15 octobre 2021 et 7 avril 2022, d'un montant total de 711 438,40 euros hors taxes, en se prévalant de l'accord tacitement acquis du titulaire du marché. Par une ordonnance du 16 décembre 2022, la juge des référés du tribunal administratif de Lyon a partiellement fait droit à sa demande en condamnant le SIVALOR à lui verser une provision de 665 788,10 euros toutes taxes comprises correspondant au montant des factures émises les 30 août et 15 octobre 2021. Sur appel du SIVALOR, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a, par une ordonnance du 15 juin 2023 contre laquelle la société Eiffage énergie systèmes - IT Rhône-Alpes se pourvoit en cassation, annulé cette ordonnance en ce qu'elle avait accordé la provision et rejeté le surplus de la demande de cette société.
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2193-11 du code de la commande publique : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par l'acheteur est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution ". Aux termes de l'article R. 2193-11 de ce code : " Le sous-traitant admis au paiement direct adresse sa demande de paiement au titulaire du marché, par tout moyen permettant d'en assurer la réception et d'en déterminer la date, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé ". Aux termes de son article R. 2193-12 : " Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la date de réception ou du récépissé mentionnés à l'article R. 2193-11 pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, à l'acheteur ". Aux termes de son article R. 2193-13 : " Passé le délai mentionné à l'article R. 2193-12, le titulaire du marché est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées ". Aux termes du premier alinéa de son article R. 2193-14 : " Lorsque le sous-traitant a obtenu la preuve ou le récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande de paiement dans les conditions fixées à l'article R. 2193-11 ou qu'il dispose de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé par le titulaire, le sous-traitant adresse sa demande de paiement à l'acheteur accompagnée de cette preuve, du récépissé ou de l'avis postal ".
4. Dans l'hypothèse d'une rémunération directe du sous-traitant par le maître d'ouvrage, ce dernier peut contrôler l'exécution effective des travaux sous-traités et le montant de la créance du sous-traitant. Au titre de ce contrôle, le maître d'ouvrage peut s'assurer que la consistance des travaux réalisés par le sous-traitant correspond à ce qui est prévu par le marché.
5. Dès lors, en jugeant que le maître d'ouvrage pouvait exercer un contrôle sur la qualité des travaux exécutés alors que ce dernier pouvait seulement s'assurer que leur consistance correspondait à ce qui était prévu par le marché, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. En vertu de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut accorder une provision lorsque l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable. Pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.
8. Il résulte de l'instruction que, par une ordonnance du 10 mai 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a, sur la demande du SIVALOR, prescrit une expertise, dont les opérations ont été étendues à la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône Alpes par une ordonnance du 29 septembre 2022, en vue notamment de déterminer les causes, la nature, et l'étendue des désordres et défauts de conformité affectant l'unité de valorisation énergétique des déchets ménagers de Bellegarde-sur-Valserine à la suite des travaux de remplacement de l'installation du traitement des fumées, de déterminer la nature des travaux susceptibles d'y remédier ainsi que leur coût, et d'apporter tous éléments utiles aux fins de déterminer les responsabilités encourues. Si la société Eiffage Energies Systèmes - IT Rhône-Alpes fait valoir, à l'appui de sa demande en référé, que la consistance des travaux réalisés par elle correspond à ce qui était prévu par le marché, le SIVALOR le conteste en arguant notamment du non-respect par cette société des règles fixées par des normes de sécurité incendie reprises au cahier des clauses techniques particulières du marché de conception et de réalisation, confié à la société Hitachi Zosen Inova AG. En l'état de l'instruction, les éléments soumis par la société Eiffage Energies Systèmes - IT Rhône-Alpes ne sont pas de nature à établir l'existence d'une obligation non sérieusement contestable avec un degré suffisant de certitude, permettant de lui accorder une provision sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur ses autres moyens ni sur ses conclusions subsidiaires par lesquelles il appelle en garantie la société Hitachi Zosen Inova AG en cas de condamnation, le SIVALOR est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Lyon l'a condamné à verser une provision à la société Eiffage Energies Systèmes - IT Rhône-Alpes.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Eiffage Energies Systèmes - IT Rhône-Alpes la somme de 6 000 euros à verser au SIVALOR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour l'ensemble des instances. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Eiffage Energies Systèmes - IT Rhône-Alpes au même titre. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la société Hitachi Zosen Inova AG.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 15 juin 2023 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon et les articles 1er et 2 de l'ordonnance du 16 décembre 2022 de la juge des référés du tribunal administratif de Lyon sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes devant le juge des référés du tribunal administratif de Lyon est rejeté.
Article 3 : La société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes versera au SIVALOR la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les sociétés Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes et Hitachi Zosen Inova AG sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Eiffage Energie Systèmes - IT Rhône-Alpes et au syndicat intercommunal de valorisation.
Copie en sera adressée à la société Hitachi Zosen Inova AG.