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25/01/2024 | FRANCE | N°476321

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 25 janvier 2024, 476321


Vu la procédure suivante :



Par un mémoire, enregistré le 27 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. A... C... et Mme B... C... demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 22NT02546 du 26 mai 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre le jugement n° 2100630 du 2 juin 2022 du tribunal administratif de Caen rejetant leur demande tendant

au bénéfice du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement compl...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 27 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. A... C... et Mme B... C... demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 22NT02546 du 26 mai 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre le jugement n° 2100630 du 2 juin 2022 du tribunal administratif de Caen rejetant leur demande tendant au bénéfice du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement complémentaire prévu par le E du II de l'article 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 au titre de l'impôt établi sur leurs revenus de l'année 2019, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de cet article.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, notamment son article 60 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. et Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Si M. et Mme C... contestent la constitutionnalité de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, la question qu'ils soulèvent doit être regardée comme portant sur les seules dispositions du 3 du E du II de cet article.

3. L'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au décalage d'un an de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, instaure, à compter des revenus de l'année 2018 et pour ceux qui entrent dans son champ d'application, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Ce prélèvement est opéré, pour les revenus salariaux et les revenus de remplacement, par l'employeur ou l'organisme versant. Pour les autres revenus, en particulier ceux correspondant à des bénéfices professionnels, ce prélèvement prend la forme du versement d'acomptes. Les dispositions du paragraphe I de l'article 60 déterminent les modalités de ce prélèvement. Les dispositions de son paragraphe II fixent les modalités de la transition entre les règles antérieures de paiement de l'impôt sur le revenu et le prélèvement à la source, afin que les contribuables ne paient pas, en 2019, l'impôt sur le revenu dû à la fois sur les revenus de l'année 2018 et sur ceux de l'année 2019, en instituant un crédit d'impôt dit de modernisation du recouvrement ayant pour objet d'effacer le montant de l'impôt dû au titre de 2018 correspondant aux revenus non exceptionnels de cette année.

4. Aux termes du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 : " 1. Le montant net imposable des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles et des bénéfices non commerciaux à retenir au numérateur du rapport prévu au B du présent II pour le calcul du crédit d'impôt prévu au A est déterminé, pour chaque membre du foyer fiscal et pour chacune de ces catégories de revenus, dans les conditions prévues à l'article 204 G du code général des impôts, à l'exception du 6° du 2 et du 4 du même article 204 G. / 2. Le montant défini au 1 du présent E, le cas échéant après application des abattements prévus aux articles 44 sexies à 44 septdecies du code général des impôts, est retenu dans la limite du plus faible des deux montants suivants : 1° Le bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E, avant application des éventuels abattements prévus aux mêmes articles 44 sexies à 44 septdecies ; 2° Le plus élevé des bénéfices imposables au titre des années 2015, 2016 ou 2017, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E, avant application des éventuels abattements prévus audits articles 44 sexies à 44 septdecies. (...) / 3. En cas d'application du 2° du 2 du présent E, le contribuable peut obtenir un crédit d'impôt complémentaire dans les conditions suivantes : / 1° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est supérieur ou égal au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, le contribuable bénéficie d'un crédit d'impôt complémentaire, lors de la liquidation du solde de l'impôt sur le revenu dû au titre de 2019, égal à la fraction du crédit d'impôt dont il n'a pas pu bénéficier en application du 2 ; / 2° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est inférieur au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, mais supérieur au plus élevé des bénéfices imposables au titre des années 2015, 2016 ou 2017 retenus en application du 2° du 2, le contribuable bénéficie, lors de la liquidation du solde de l'impôt sur le revenu au titre de 2019, d'un crédit d'impôt complémentaire égal à la différence entre : / a) Le crédit d'impôt calculé en retenant au numérateur du rapport prévu au B du présent II le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E ; / b) Et le crédit d'impôt déjà obtenu en application du 2 du présent E ; / 3° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est inférieur au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, le contribuable peut bénéficier, par voie de réclamation, d'un crédit d'impôt complémentaire égal à la fraction du crédit d'impôt dont il n'a pas pu bénéficier en application du 2 ou du 2° du présent 3, s'il justifie que la hausse de son bénéfice déclaré en 2018 par rapport aux trois années précédentes et à l'année 2019 résulte uniquement d'un surcroît d'activité en 2018 ".

5. Il résulte des dispositions citées au point 4 ci-dessus, éclairées par leurs travaux préparatoires, que, pour tenir compte de la possibilité qu'ont les travailleurs indépendants de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges servant à la détermination de leur bénéfice et ainsi maximiser leur bénéfice en 2018, le caractère non exceptionnel du bénéfice de 2018 est apprécié sur une période pluriannuelle. Ainsi, si un contribuable imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux réalise, au titre de l'année 2018 et pour une même catégorie de revenus, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement dont il peut bénéficier est calculé sur la base du bénéfice le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel. Si son bénéfice au titre de 2019 est plus élevé que celui de 2018, le bénéfice de 2018 est réputé ne plus être exceptionnel de sorte qu'il est octroyé de plein droit au contribuable un crédit d'impôt complémentaire effaçant l'intégralité de l'impôt qu'il a acquitté au titre de 2018 sur ce bénéfice. Si son bénéfice de 2019 est inférieur à son bénéfice de 2018 mais supérieur au plus élevé des bénéfices réalisés en 2015, 2016 et 2017, il lui est également octroyé de plein droit un crédit d'impôt complémentaire, limité à la différence entre celui correspondant au bénéfice le plus élevé des trois années de référence et celui correspondant au bénéfice réalisé en 2019. Il peut en outre, dans tous les cas où le bénéfice imposable dans une catégorie de revenus donnée est, en 2019, inférieur à celui de 2018, y compris lorsqu'il est nul, former auprès de l'administration fiscale une réclamation tendant au bénéfice d'un complément de crédit d'impôt permettant d'éliminer la totalité de l'impôt sur le revenu dû au titre de 2018 à raison de cette catégorie de revenus, sous réserve qu'il établisse que la part du bénéfice de cette année excédant celui des quatre années de référence correspond à un surcroît d'activité de 2018 et non, notamment, à un report ou une anticipation de bénéfices afférents à une activité réalisée en 2017 ou 2019.

6. M. et Mme C... soutiennent que, dans l'hypothèse où les dispositions des 1° et 2° du 3 du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 doivent être interprétées en ce sens qu'un contribuable ne saurait se prévaloir, pour le calcul du crédit d'impôt complémentaire prévu par ces dispositions, de la reconstitution d'un montant fictif de bénéfices imposables au titre de l'année 2019 à partir des revenus déclarés au titre de la même année dans une autre catégorie d'imposition, notamment celle des traitements et salaires, les dispositions du même 3 ne permettent pas à un contribuable dont les revenus, tirés de l'exercice d'une même activité, auraient été imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au titre de l'année 2018 et dans la catégorie des traitements et salaires au titre de l'année 2019, en raison de l'option pour l'impôt sur les sociétés exercée par la société de personne au sein de laquelle ce contribuable exerce son activité, de bénéficier, à raison de la totalité des bénéfices non exceptionnels qu'il a réalisés au titre de l'année 2018, du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, dès lors que ces dispositions font obstacle à ce qu'un crédit d'impôt complémentaire lui soit accordé au titre de l'imposition des revenus de l'année 2019. Ils en déduisent que ces dispositions auraient pour effet de soumettre des contribuables placés, au regard de l'objectif poursuivi par le législateur d'assurer, pour l'ensemble des revenus dans le champ du prélèvement à la source, l'absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l'impôt sur le revenu, dans une situation identique, à une différence de traitement constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques.

7. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'un contribuable placé dans cette situation peut réclamer, sur le fondement des dispositions, citées au point 4, du 3° du 3 du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, le bénéfice d'un crédit d'impôt complémentaire égal à la fraction du crédit d'impôt dont il n'a pas pu bénéficier en application du 2 ou du 2° du même 3, s'il justifie que l'excédent de son bénéfice déclaré en 2018 par rapport aux trois années précédentes et à l'année 2019 résulte uniquement d'un surcroît d'activité en 2018 et non, notamment, d'un report ou d'une anticipation de bénéfices afférents à une activité réalisée au cours des années 2017 ou 2019. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions du 3 du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 institueraient, pour les motifs avancés au point 6, au détriment des contribuables dont les revenus, tirés de l'exercice d'une même activité, ont été imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au titre de l'année 2018 et dans la catégorie des traitements et salaires au titre de l'année 2019, une différence de traitement méconnaissant le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne peut qu'être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme C....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... et Mme B... C....

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 25 janvier 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Alexandre Lapierre

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 476321
Date de la décision : 25/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jan. 2024, n° 476321
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Lapierre
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:476321.20240125
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