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17/01/2024 | FRANCE | N°490203

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 17 janvier 2024, 490203


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à la Ville de Paris de procéder à son hébergement dans une structure adaptée à son âge et à son état psychique et de prendre en charge ses besoins alimentaires et sanitaires quotidiens jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur so

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Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à la Ville de Paris de procéder à son hébergement dans une structure adaptée à son âge et à son état psychique et de prendre en charge ses besoins alimentaires et sanitaires quotidiens jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du code civil, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, en dernier lieu, de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ou, en cas de non admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de lui verser la même somme au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2327408 du 1er décembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a, en premier lieu, admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, enjoint à la Ville de Paris de procéder, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance, à l'hébergement de M. B... dans une structure adaptée à son âge et de prendre en charge ses besoins essentiels, alimentaires et sanitaires, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question relative à sa minorité, en troisième lieu, dans l'hypothèse où M. B... serait admis à titre définitif au bénéfice de l'aide juridictionnelle, la Ville de Paris versera la somme de 1 200 euros à Me Aboukhater, conseil de M. B..., au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat ou, dans le cas où M. B... ne serait pas admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre définitif, cette somme lui sera directement versée en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 1er décembre 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la requête de première instance de M. B....

Elle soutient que :

- les documents présentés par M. B... ne permettent pas, d'une part, d'établir à eux-seuls l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'évaluation de sa minorité par la maire de Paris et, d'autre part, de l'exempter d'établir d'autres documents et éléments pour prouver sa minorité ;

- l'appréciation portée par la maire de Paris sur la minorité de M. B... n'est pas manifestement erronée dès lors que ses déclarations ont révélé des imprécisions et des incohérences dans son récit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2024, M. B... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la Ville de Paris la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Ville de Paris, et d'autre part, M. B... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 janvier 2024, à 16 heures :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ville de Paris ;

- la représentante de M. B... ;

- M. B... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 373-5 du même code : " A titre provisoire mais à charge d'appel, le juge peut, pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. / En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. Si la situation de l'enfant le permet, le procureur de la République fixe la nature et la fréquence du droit de correspondance, de visite et d'hébergement des parents, sauf à les réserver si l'intérêt de l'enfant l'exige ".

3. L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) / ; 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code prévoit que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ". L'article L. 223-2 de ce code dispose que : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. / (...) Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant n'a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil ". L'article R. 221-11 du même code dispose que : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) / IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ".

4. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants ou par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. Il en résulte également que, lorsqu'il est saisi par un mineur d'une demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue par l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, décider de saisir l'autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, décider d'admettre le mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné. L'article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d'assistance éducative que sa situation nécessite. Lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation mentionnée au point 4, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département.

6. Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2, lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

7. M. A... B..., qui déclare être né le 5 mai 2007 à Douala au Cameroun, s'est présenté à l'accueil pour mineurs non accompagnés de la Ville de Paris le 31 octobre 2023. La juge des référés du tribunal administratif de Paris a, à la demande de M. B..., suspendu la décision de refus de l'admettre à l'aide sociale à l'enfance et enjoint à la Ville de Paris de procéder à son hébergement dans une structure adaptée et de prendre en charge ses besoins alimentaires et sanitaires quotidiens jusqu'à ce que le juge civil ait statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du code civil. La Ville de Paris se pourvoit en appel contre cette ordonnance.

8. Au soutien de sa demande devant le juge des référés, M. B... a présenté la copie d'un acte de naissance établi le 23 mai 2007, quelques jours après la date de sa naissance déclarée, par un officier d'état civil camerounais. L'original de cet acte, transmis entretemps, est en cours d'expertise à la demande du juge civil. Cet acte est accompagné des photos d'identité avec photographie et actes de naissance de ses deux parents. En premier lieu, comme l'a relevé le premier juge, ce document ne comporte, en l'état de l'instruction et sous réserve de l'expertise dont il fera l'objet, ni élément faisant douter de son authenticité ni signe de falsification. En deuxième lieu, et comme l'a également relevé le premier juge, aucun des éléments retenus par la Ville de Paris pour mettre en doute l'âge réel de M. B..., relatifs à son récit de vie, à son parcours migratoire et à ses capacités d'expression ne révèlent d'incohérence ou de contradiction de nature à remettre en cause, en l'état de l'instruction, l'âge figurant sur son acte de naissance. Par suite, la Ville de Paris n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 2 500 euros à la charge de la Ville de Paris au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la Ville de Paris est rejetée.

Article 2 : La Ville de Paris versera à M. B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ville de Paris ainsi qu'à M. B....

Fait à Paris, le 17 janvier 2024

Signé : Cyril Roger-Lacan


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 490203
Date de la décision : 17/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 jan. 2024, n° 490203
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490203.20240117
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