Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à la Ville de Paris de procéder à son hébergement dans une structure adaptée à son âge et à son état psychique, et de prendre en charge ses besoins alimentaires et sanitaires quotidiens dans le délai de vingt-quatre heures à compter de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et ce, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du code civil, en troisième lieu, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, de lui proposer une solution d'hébergement dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, en dernier lieu, de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à son bénéfice en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance n° 2326716 du 24 novembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Paris a, en premier lieu, admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, enjoint à la Ville de Paris d'assurer l'hébergement de Mme A... dans une structure adaptée à son âge ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, jusqu'à ce que le juge des enfants, statuant en première instance, se prononce sur la question relative à sa minorité, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance et, en dernier lieu, dans l'hypothèse où Mme A... serait admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, mis à la charge de la Ville de Paris la somme de 1 000 euros à verser à Me Aboukhater, son avocate, au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve pour ce conseil de renoncer à la part contributive de l'Etat ou, dans le cas où Mme A... ne serait pas admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, ordonné que cette somme lui soit directement versée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 24 novembre 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A....
Elle soutient que :
- il ne lui appartient pas d'apporter la preuve du bien-fondé du résultat de l'évaluation de minorité dès lors qu'il incombe à Mme A... d'établir que l'appréciation de sa minorité par l'autorité départementale est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'appréciation portée par la maire de Paris sur la minorité de Mme A... n'est pas manifestement erronée dès lors qu'aucune des circonstances alléguées n'est de nature à établir sa minorité, que, ainsi que le relève le rapport d'évaluation de l'accueil des mineurs non accompagnés de Paris, Mme A... n'a présenté aucun document évoquant son identité ou son âge, et que son comportement ne permettait pas de retenir une possible adolescence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2023, Mme A... conclut en premier lieu, au rejet de la requête, en deuxième lieu, subsidiairement, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris de lui proposer une solution d'hébergement dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, en dernier lieu, à ce qu'il soit mis à la charge de la Ville de Paris et subsidiairement, du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par l'administration ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2023, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la Ville de Paris est compétente pour prendre en charge Mme A... dès lors qu'il existe un doute sur sa majorité et qu'en tout état de cause, elle ne présente pas une vulnérabilité telle que l'absence de prise en charge par l'Etat au titre de l'hébergement d'urgence constituerait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, compte tenu des moyens dont dispose l'administration.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- l'arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l'article R. 211-11 du code de l'action sociale et des familles relatif aux modalités d'évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique la Ville de Paris, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) et Mme A... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 décembre 2023, à 16 heures :
- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ville de Paris ;
- Me Bardoul, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... :
- la représentante de Mme A... ;
- Mme A..., requérante ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte des dispositions de l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles qu'en cas d'urgence et lorsque le représentant légal d'une personne se présentant comme mineure est dans l'impossibilité de donner son accord, l'intéressé est recueilli provisoirement par le service de l'aide sociale à l'enfance qui en avise immédiatement le procureur de la République. En vertu de l'article R. 221-11 de ce code, le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours et, dans ce délai, procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. S'il estime que la situation de la personne ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire en vue, le cas échéant, d'un placement à l'aide sociale à l'enfance sur le fondement des articles 375 et 375-3 du code civil, le président du conseil départemental notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge. Dans ce cas, l'accueil provisoire d'urgence prend fin.
3. Il résulte de l'instruction que Mme B... A..., de nationalité guinéenne et déclarant être née le 20 mars 2009, a sollicité, le 25 octobre 2023, sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance auprès de l'accueil des mineurs non accompagnés de Paris. Elle a fait l'objet d'une mise à l'abri dans l'attente de son entretien d'évaluation sociale. Par une décision du 3 novembre 2023, la ville de Paris a, au vu de cette évaluation, refusé de la prendre en charge et de saisir l'autorité judiciaire au motif que sa minorité n'était pas avérée. Par une ordonnance du 24 novembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint à la maire de Paris d'assurer, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa notification, l'hébergement de Mme A... dans une structure adaptée à son âge et la prise en charge de ses besoins essentiels jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question relative à sa minorité. La ville de Paris interjette appel de cette ordonnance.
4. Si le président du conseil départemental ou, à Paris, le maire de Paris ne peut, en aucun cas, décider d'admettre un mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné, sur sa saisine ou à la suite d'une requête de la personne concernée fondée sur les dispositions de l'article 375 du code civil, il appartient au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'administration de poursuivre son accueil provisoire lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation qu'elle a portée sur l'absence de qualité de mineur isolé de cette personne est manifestement erronée et que celle-ci est confrontée à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité.
5. Il est constant que Mme A... n'a produit aucun document d'état-civil ni pièce d'identité attestant de son âge allégué de 14 ans. En outre, l'intéressée, qui n'a pas été en mesure de donner l'âge de ses parents, fût-ce de façon très approximative, n'a fourni aucun élément relatif à son vécu dans son pays d'origine qui permettrait d'étayer sérieusement ses allégations, la double circonstance, sur laquelle est fondée l'ordonnance attaquée, qu'elle n'aurait été scolarisée que deux ans dans une école coranique et qu'elle jouait avec ses amis au jeu de société " Ludo ", accessible aux enfants à partir de l'âge de six ans, n'étant pas de nature à établir sa minorité. Le rapport d'évaluation réalisé, dans les conditions prévues par l'arrêté du 20 novembre 2019 visé ci-dessus, par le service d'accueil des mineurs non accompagnés de Paris délégué à l'association France Terre d'Asile, constate par ailleurs qu'aucun élément révélateur d'une possible adolescence n'a été observé dans son comportement à l'entretien, que les circonstances de son départ et de son voyage, notamment son financement par une voisine qui l'aurait accompagnée sans lui révéler son intention de rejoindre l'Europe, demeurent incertaines, et qu'elle a d'elle-même quitté le centre d'accueil dans lequel elle était hébergée en Italie avant de gagner la France en train avec un groupe de personnes indéterminé, avant de conclure que les éléments recueillis ne permettent pas de caractériser la minorité de l'intéressée. Dans ces conditions, l'appréciation portée par la Ville de Paris sur l'absence de minorité de Mme A... ne saurait être regardée comme manifestement erronée.
6. Il résulte de ce qui précède que la Ville de Paris est fondée à soutenir que c'est à tort que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit aux conclusions de Mme A... tendant à son hébergement provisoire par ses services.
7. Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, à titre subsidiaire, d'enjoindre à la préfecture d'Ile-de-France de lui proposer un hébergement d'urgence dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
8. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse (...) ". Ce dispositif de veille sociale est, en Ile-de-France, en vertu de l'article L.345-2, mis en place à la demande et sous l'autorité du représentant de l'Etat dans la région sous la forme d'un dispositif unique. L'article L. 345-2-2 de ce code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. (...) ". Aux termes de son article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) " Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".
9. Il appartient aux autorités de l'État, sur le fondement des dispositions citées au point précédent, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.
10. Ni le sexe, ni l'incertitude qui entoure la minorité de l'intéressée, ni son isolement allégué ne permettent, à eux seuls, d'établir que son absence de prise en charge au titre de l'hébergement d'urgence de l'Etat entraînerait des conséquences graves et porterait ainsi une atteinte grave à son droit à la vie, à la dignité et à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants. Il n'est en outre pas soutenu, et il ne résulte pas de l'instruction, que Mme A..., qui n'a pas d'enfant à charge, souffrirait de problèmes de santé particuliers, ni qu'elle présenterait pour d'autres motifs une vulnérabilité particulière, alors d'ailleurs qu'elle a pu rejoindre la France depuis la Guinée dans les conditions mentionnées au point 5. Par suite, sa situation ne justifie pas que le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, enjoigne à l'Etat de lui proposer une place en hébergement d'urgence.
11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Paris et de rejeter les conclusions de Mme A..., y compris celles qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Paris du 24 novembre 2023 est annulée.
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme A... devant les juges des référés du tribunal administratif de Paris et du Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ville de Paris, à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) et à Mme B... A....
Fait à Paris, le 26 décembre 2023
Signé : Alexandre Lallet