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22/12/2023 | FRANCE | N°463451

France | France, Conseil d'État, Section, 22 décembre 2023, 463451


Vu la procédure suivante :



La société gabonaise d'édition et de communication a demandé au président du tribunal administratif de Paris d'ordonner l'exequatur de l'arrêt n° 158/2018-2019 du 28 juin 2019 et de l'arrêt n° 172/2019-2020 du 10 juillet 2019 du Conseil d'Etat gabonais rendus dans un litige né du démantèlement par les forces armées gabonaises de panneaux d'affichage publicitaires urbains qu'elle avait fabriqués, implantés et qu'elle exploitait dans le cadre de conventions de voirie conclues avec la commune de Libreville. Par une ordonnance

n° 2126924 du 25 janvier 2022, la présidente de la 4ème section du tribuna...

Vu la procédure suivante :

La société gabonaise d'édition et de communication a demandé au président du tribunal administratif de Paris d'ordonner l'exequatur de l'arrêt n° 158/2018-2019 du 28 juin 2019 et de l'arrêt n° 172/2019-2020 du 10 juillet 2019 du Conseil d'Etat gabonais rendus dans un litige né du démantèlement par les forces armées gabonaises de panneaux d'affichage publicitaires urbains qu'elle avait fabriqués, implantés et qu'elle exploitait dans le cadre de conventions de voirie conclues avec la commune de Libreville. Par une ordonnance n° 2126924 du 25 janvier 2022, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.

Par une ordonnance n° 22PA00891 du 21 avril 2022, enregistrée le 25 avril 2022 au secrétariat du contentieux du conseil d'Etat, la présidente de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 23 février 2022 au greffe de la cour, de la société gabonaise d'édition et de communication contre l'ordonnance de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris.

Par ce pourvoi, un mémoire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 19 juillet 2022 et 27 avril et 24 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société gabonaise d'édition et de communication demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 25 janvier 2022 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la République gabonaise la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition entre la République française et la République du Gabon du 23 juillet 1963 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société gabonaise d'édition et de communication et à la SARL Ortscheidt, avocat de la République gabonaise ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société gabonaise d'édition et de communication a demandé au président du tribunal administratif de Paris, d'une part, qu'il ordonne, sur le fondement de la convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition entre la République française et la République du Gabon du 23 juillet 1963, l'exequatur des arrêts du 28 juin 2019 et du 10 juillet 2020 par lesquels le Conseil d'Etat gabonais a reconnu la responsabilité de l'Etat gabonais dans le démantèlement par la force publique de panneaux publicitaires appartenant à cette société et condamné cet Etat à lui verser la somme, au total, de 11 184 814 496 francs CFA et, d'autre part, que la condamnation soit convertie en euros et assortie des intérêts au taux légal à compter de l'intervention de ces arrêts. La société gabonaise d'édition et de communication se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 25 janvier 2022 par laquelle la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Aux termes de l'article 34 de la convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition entre la République française et la République du Gabon du 23 juillet 1963 : " En matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire de la République du Gabon ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes : / a) la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'Etat où la décision doit être exécutée ; / b) La décision a fait application de la loi applicable au litige en vertu des règles de solution des conflits de la loi admises dans l'Etat où la décision doit être exécutée ; / c) La décision est, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution ; / d) Les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes ; / e) La décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat. Elle ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans cet Etat et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée ". Aux termes de l'article 36 de cette convention : " L'exequatur est accordé, quelle que soit la valeur du litige, par le président du tribunal de grande instance ou de la juridiction correspondante du lieu où l'exécution doit être poursuivie. / La procédure de la demande d'exequatur est régie par la loi du pays où l'exécution est demandée. / Le président est saisi et statue selon la procédure accélérée au fond. / La décision ne peut faire l'objet que d'un recours en cassation ". Aux termes de l'article 43 de cette convention : " L'exécution des décisions rendues en matière administrative est poursuivie comme il est dit au présent titre, sous la réserve que le président de la juridiction compétente pour connaître au premier degré des litiges de plein contentieux est substitué au président de la juridiction visée à l'alinéa 1er de l'article 36 ".

3. Les arrêts du Conseil d'Etat gabonais condamnant l'Etat gabonais à indemniser la société gabonaise d'édition et de communication pour les motifs mentionnés au point 1 relèvent de la matière administrative au sens et pour l'application des stipulations de l'article 43 de la convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963. Il suit de là que la République gabonaise n'est pas fondée à soutenir que la juridiction administrative serait incompétente pour statuer sur la demande d'exequatur de ces arrêts.

Sur le pourvoi :

4. Pour rejeter la demande d'exequatur de la société gabonaise d'édition et de communication comme manifestement irrecevable, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris s'est fondée sur la circonstance que les arrêts du Conseil d'Etat gabonais étaient relatifs à des faits s'étant déroulés sur le territoire du Gabon et ne présentant ainsi aucun lien avec la France. Elle a, ce faisant, commis une erreur de droit.

5. Il suit de là que la société gabonaise d'édition et de communication est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande d'exequatur :

7. Selon les principes de droit international coutumier, les Etats bénéficient d'une immunité de juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion. Un Etat peut opposer cette immunité à une demande d'exequatur d'une décision juridictionnelle, y compris si cette décision émane des juridictions de cet Etat. Si un Etat peut renoncer à son immunité de juridiction dans un litige, y compris par l'effet d'engagements résultant d'une convention internationale, cette renonciation doit être certaine, expresse et non équivoque.

8. D'une part, il ne résulte d'aucune stipulation de la convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition entre la République française et la République du Gabon du 23 juillet 1963 que les Etats parties auraient entendu renoncer à leur immunité de juridiction. D'autre part, l'usage de la force publique pour le démantèlement des panneaux publicitaires appartenant à la société gabonaise d'édition et de communication ne constitue pas un acte de gestion mais participe à l'exercice de la souveraineté de la République gabonaise.

9. Il résulte de ce qui précède que la République gabonaise est fondée à se prévaloir de son immunité de juridiction et qu'ainsi, la demande d'exequatur présentée par la société gabonaise d'édition et de communication doit être rejetée.

Sur les frais du litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la République gabonaise qui n'est pas la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société gabonaise d'édition et de communication le versement à la République gabonaise d'une somme au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 25 janvier 2022 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La demande d'exequatur présentée par la société gabonaise d'édition et de communication devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société gabonaise d'édition et de communication et à la République gabonaise.

Copie en sera adressée à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.


Synthèse
Formation : Section
Numéro d'arrêt : 463451
Date de la décision : 22/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54 1) Selon les principes de droit international coutumier, les Etats bénéficient d’une immunité de juridiction lorsque l’acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces Etats et n’est donc pas un acte de gestion. ...Un Etat peut opposer cette immunité à une demande d’exequatur d’une décision juridictionnelle, y compris si cette décision émane des juridictions de cet Etat. ...Si un Etat peut renoncer à son immunité de juridiction dans un litige, y compris par l’effet d’engagements résultant d’une convention internationale, cette renonciation doit être certaine, expresse et non équivoque....2) Conseil d’Etat gabonais ayant reconnu, par deux arrêts, la responsabilité de l’Etat gabonais dans le démantèlement par la force publique de panneaux publicitaires appartenant à une société et condamné cet Etat à lui verser une somme d’argent. ...Société ayant demandé au président du tribunal administratif de Paris qu’il ordonne, sur le fondement de la convention d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur des jugements et d’extradition entre la République française et la République du Gabon du 23 juillet 1963, l’exequatur de ces arrêts....Demande ayant été rejetée comme manifestement irrecevable....a) La circonstance que ces arrêts du Conseil d’Etat gabonais étaient relatifs à des faits s’étant déroulés sur le territoire du Gabon et ne présentant ainsi aucun lien avec la France ne saurait permettre de regarder comme irrecevable la demande d’exequatur....b) D’une part, il ne résulte d’aucune stipulation de la convention d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur des jugements et d’extradition entre la République française et la République du Gabon du 23 juillet 1963 que les Etats parties auraient entendu renoncer à leur immunité de juridiction. D’autre part, l’usage de la force publique pour le démantèlement des panneaux publicitaires appartenant à la société demanderesse ne constitue pas un acte de gestion mais participe à l’exercice de la souveraineté de la République gabonaise. Il en résulte que la République gabonaise est fondée à se prévaloir de son immunité de juridiction et que la demande d’exequatur doit être rejetée.


Publications
Proposition de citation : CE, 22 déc. 2023, n° 463451
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Lelièvre
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SARL JEROME ORTSCHEIDT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:463451.20231222
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