La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/12/2023 | FRANCE | N°489927

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 décembre 2023, 489927


Vu la procédure suivante :

Mme F..., agissant en son nom propre et en tant que représentante légale de ses enfants mineurs, C..., E..., A... B... et D... B..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à l'Etat, ou à défaut à la commune de Strasbourg, de leur assurer un hébergement d'urgence dans un délai de quarante-huit heures à compt

er de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de...

Vu la procédure suivante :

Mme F..., agissant en son nom propre et en tant que représentante légale de ses enfants mineurs, C..., E..., A... B... et D... B..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à l'Etat, ou à défaut à la commune de Strasbourg, de leur assurer un hébergement d'urgence dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par personne et, en dernier lieu, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros hors taxe à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou, en cas de refus d'octroi de l'aide juridictionnelle, de lui verser directement la même somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 2308199 du 20 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a, en premier lieu, admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, enjoint à la préfète du Bas-Rhin d'indiquer à Mme B... un lieu d'hébergement pour elle et ses enfants, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette ordonnance, sous astreinte de 30 euros par jour de retard et, en dernier lieu, ordonné à l'Etat de verser à Me Hebrard la somme de 1 000 euros hors taxe, sous réserve de l'admission définitive de Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me Hebrard renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, et, dans le cas où l'aide juridictionnelle ne lui serait pas accordée par le bureau d'aide juridictionnelle, que la somme de 1000 euros soit versée à Mme B....

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5, 14 et 15 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 20 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de rejeter les conclusions de première instance présentées par Mme B....

Elle soutient que :

- les intéressés se sont eux-mêmes placés dans la situation d'urgence dont ils se prévalent dès lors qu'ils ont pris la décision de quitter le département de la Meuse au profit de celui du Bas-Rhin alors qu'il est saturé ;

- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- ils ne justifient pas d'une circonstance exceptionnelle permettant de caractériser une carence de l'Etat dès lors que la vulnérabilité médicale de leur fille peut faire l'objet d'un traitement en dehors d'une structure d'hébergement d'urgence ;

- elle a utilisé tous les moyens dont elle dispose dès lors que le dispositif d'hébergement d'urgence est fortement saturé en dépit des efforts constants de l'Etat pour en augmenter la capacité d'accueil et qu'il existe des personnes dont la demande est plus ancienne ou qui présente une situation de détresse qui les rend prioritaires.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 et 14 décembre 2023, Mme B... conclut, au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence est satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme B... a parallèlement déposé une demande d'aide juridictionnelle provisoire, enregistrée le 13 décembre 2023.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la DIHAL, et d'autre part, Mme B... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 13 décembre 2023, à 11 heures :

- Me Sebagh, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

- la représentante de la DIHAL ;

à l'issue de laquelle la juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 15 décembre 2023 à 18 heures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse ". L'article L. 345-2-2 dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) " et, aux termes de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) ". Enfin, l'article L. 121-7 du même code prévoit que : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

3. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi, à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

4. Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'ont pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence. Dès lors, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles. Constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant.

5. La DIHAL relève appel de l'ordonnance du 20 novembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la demande de Mme B... tendant à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin de leur indiquer un hébergement d'urgence pour elle et ses enfants.

6. Il résulte de l'instruction, qui s'est poursuivie à l'audience, que Mme B..., ressortissante albanaise, est entrée en France le 6 juillet 2022 avec ses quatre enfants âgés de 17, 14, 8 et 4 ans. Après le rejet définitif de sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile, ils ont quitté, en mai 2023, le centre d'accueil pour demandeurs d'asile à Verdun (Meuse) où ils étaient hébergés et se sont rendus à Strasbourg où ils vivent depuis dans la rue. Mme B... fait valoir qu'elle s'occupe seule de ses quatre enfants, qui présentent diverses pathologies bénignes susceptibles de s'aggraver dans des conditions de vie dégradées du fait d'un séjour prolongé à la rue, en particulier en période hivernale. Cependant, Mme B... a continué de bénéficier avec ses enfants d'un hébergement pendant la période nécessaire à leur départ après le rejet de leur demande d'asile et ne fait état d'aucune démarche à l'issue de cette période en vue de solliciter l'aide au retour. En outre, à la suite de l'injonction prononcée par le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, une solution d'hébergement d'urgence, qui n'était pas, contrairement à ce qu'elle soutient, inadaptée à sa situation, lui a été proposée à Geispolsheim dans la banlieue de Strasbourg, qu'elle a refusée. Ainsi, il n'apparaît pas à la date de la présente ordonnance que Mme B... et ses enfants seraient placés dans des circonstances exceptionnelles justifiant qu'il soit enjoint à l'Etat de mettre cette famille à l'abri en raison d'une situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Par suite, la DIHAL est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 20 novembre 2023 et de rejeter la demande d'injonction formée par Mme B... devant le tribunal administratif de Strasbourg, sans qu'il y ait lieu de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 20 novembre 2023 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la direction interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement et à Mme F....

Fait à Paris, le 21 décembre 2023

Signé : Célia Vérot


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489927
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 déc. 2023, n° 489927
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489927.20231221
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award