La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/11/2023 | FRANCE | N°489410

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 30 novembre 2023, 489410


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 et 25 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Fédération droit au logement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution de l'article 2 du décret n° 2023-695 du 29 juillet 2023 portant règles sanitaires d'hygiène et de salubrité des locaux d'habitation et assimilés, en ce qu'il crée au se

in du code de la santé publique des articles R. 1331-17 et R. 1331-18 qui permettent ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 et 25 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Fédération droit au logement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 2 du décret n° 2023-695 du 29 juillet 2023 portant règles sanitaires d'hygiène et de salubrité des locaux d'habitation et assimilés, en ce qu'il crée au sein du code de la santé publique des articles R. 1331-17 et R. 1331-18 qui permettent la mise à disposition des sous-sols aux fins d'habitation ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, le décret contesté autorise la location de logements composés exclusivement de pièces situées en sous-sol, alors que de tels biens étaient considérés jusqu'à présent comme impropres à l'habitation et doivent être regardés comme des logements indécents, en deuxième lieu, le décret est entré en vigueur le 1er octobre 2023 et, en dernier lieu, la suspension du décret contesté s'impose au regard de l'intérêt public qui vise à lutter contre le mal logement et à garantir à chacun des conditions de vie dignes et décentes ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

- le décret du 29 juillet 2023 a été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que la version définitive du texte finalement publiée ne correspond pas à la version soumise pour avis au Haut conseil de la santé publique, alors que ces modifications soulèvent des questions nouvelles, en méconnaissance de l'article L. 1311-1 du code de la santé publique ;

- son article 2 est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il méconnaît les articles L. 1331-22 et L. 1331-23 du code de la santé publique dont il résulte une interdiction absolue de mettre à disposition des sous-sols à des fins d'habitation ;

- le décret contesté méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle relatif à la possibilité pour chacun de disposer d'un logement décent ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation quant à la conformité de locaux dont il permet l'utilisation à titre d'habitation avec les exigences de la santé publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2023, le ministre de la santé et de la prévention conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la justice et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qui n'ont pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Fédération droit au logement, et d'autre part, la Première ministre, le ministre de la santé et de la prévention, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, le ministre de la justice et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 27 novembre 2023, à 11 heures :

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération droit au logement ;

- le représentant de la Fédération droit au logement ;

- les représentants du ministre de la santé et de la prévention ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 521-1 du code de justice administrative que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

3. En vertu de l'article L. 1311-1 du code la santé publique, sans préjudice de l'application de législations spéciales et des pouvoirs reconnus aux autorités locales, des décrets en Conseil d'Etat fixent les règles générales d'hygiène et toutes autres mesures propres à préserver la santé de l'homme en matière de salubrité des habitations. L'article L. 1331-22 du même code dispose que " Tout local, installation, bien immeuble ou groupe de locaux, d'installations ou de biens immeubles, vacant ou non, qui constitue, soit par lui-même, soit par les conditions dans lesquelles il est occupé, exploité ou utilisé, un danger ou risque pour la santé ou la sécurité physique des personnes est insalubre (...) " et prévoit que les décrets pris en application de l'article L. 1311-1 précisent la définition des situations d'insalubrité. Aux termes de l'article L. 1331-23 de code : " Ne peuvent être mis à disposition aux fins d'habitation, à titre gratuit ou onéreux, les locaux insalubres dont la définition est précisée conformément aux dispositions de l'article L. 1331-22, que constituent les caves, sous-sols, combles, pièces dont la hauteur sous plafond est insuffisante, pièces de vie dépourvues d'ouverture sur l'extérieur ou dépourvues d'éclairement naturel suffisant ou de configuration exiguë, et autres locaux par nature impropres à l'habitation, ni des locaux utilisés dans des conditions qui conduisent manifestement à leur sur-occupation ".

4. Pour l'application de ces dispositions, le décret n°2023-695 du 29 juillet 2023 fixe les règles sanitaires d'hygiène et de salubrité des locaux d'habitation et assimilés dans la partie réglementaire du code de la santé publique. Il précise la définition des situations d'insalubrité et les critères fondant la qualification de locaux par nature impropres à l'habitation. L'association Fédération droit au logement a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, elle demande la suspension de l'exécution de son article 2, en ce qu'il créé les articles R. 1331-17 et R. 1331-18 du code la santé publique, entrés en vigueur le 1er octobre 2023, en tant que ces articles permettent la mise à disposition des sous-sols aux fins d'habitation.

5. Aux termes de l'article R. 1331-17 du code de la santé publique : " Sont par nature impropres à l'habitation et ne peuvent en conséquence être mis à disposition aux fins d'habitation, à titre gratuit ou onéreux, par application de l'article L. 1331-23 : / 1° Les caves, quels que soient les aménagements et transformations qui leur sont apportés ; / 2° Les sous-sols, les combles, les pièces dont la hauteur sous plafond est insuffisante, les pièces de vie dépourvues d'ouverture sur l'extérieur, ou celles dépourvues d'éclairement naturel suffisant ou de configuration exiguë, sauf s'ils répondent aux exigences respectivement fixées par les articles R. 1331-18 à R. 1331-23 ". L'article R. 1331-18 de ce code dispose : " Un sous-sol peut être mis à disposition aux fins d'habitation si ses caractéristiques ne constituent pas un risque pour la santé de l'occupant et s'il répond aux conditions cumulatives suivantes : / -il satisfait aux exigences de hauteur sous-plafond, d'ouverture sur l'extérieur, d'éclairement et de configuration posées respectivement par les articles R. 1331-20 à R. 1331-23 ; / -les ouvertures sur l'extérieur n'exposent pas les occupants à des sources de pollution, notamment, à des émissions des gaz d'échappement de véhicules à moteurs thermiques ; / -il est aménagé à usage d'habitation. / Les rez-de-chaussée ou les rez-de-jardin de maisons implantées sur des terrains d'une pente égale ou supérieure à 10 degrés ne sont pas des sous-sols ". Aux termes de l'article R. 1331-20 du même code : " Les pièces de vie et de service du logement ont une hauteur sous plafond suffisante et continue pour la surface exigée permettant son occupation sans risque. Une hauteur sous plafond égale ou supérieure à 2,20 mètres est suffisante. Les locaux dont la hauteur sous plafond est inférieure à 2,20 mètres sont impropres à l'habitation sauf s'ils respectent les dispositions de l'article 4 du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains ". Aux termes de son article R. 1331-21 : " Les pièces de vie d'un local sont pourvues d'une ouverture sur l'extérieur donnant à l'air libre, le cas échéant par l'intermédiaire d'un volume vitré donnant lui-même à l'air libre, et présentent une section ouvrante permettant une aération naturelle suffisante. / Au moins une de ces pièces est munie d'une fenêtre ou d'une baie offrant une vue sur l'extérieur correspondant au minimum à un prospect permettant un éclairement naturel suffisant tel qu'il est défini à l'article R. 1331-22 ". Aux termes de son article R. 1331-22 : " L'éclairement naturel dont sont pourvues les pièces de vie d'un local est suffisant lorsque l'éclairement au centre de celle-ci permet d'y lire par temps clair et en pleine journée sans recourir à un éclairage artificiel ". Enfin, l'article R. 1331-23 du même code dispose : " La configuration des pièces de vie d'un local est regardée comme non exiguë lorsque sont satisfaites les conditions cumulatives suivantes : / 1° L'une de ces pièces de vie a une surface au moins égale à neuf mètres carrés ou présente un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes ; / 2° Les autres ont une surface au moins égale à sept mètres carrés ; / 3° Un occupant peut se mouvoir sans risque et circuler aisément dans le logement en tenant compte du mobilier, des équipements et des aménagements nécessaires à la vie courante ".

6. Par ailleurs, aux termes de l'article 2 du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains : " Le logement doit satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires : / 1. Il assure le clos et le couvert. Le gros œuvre du logement et de ses accès est en bon état d'entretien et de solidité et protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d'eau. Les menuiseries extérieures et la couverture avec ses raccords et accessoires assurent la protection contre les infiltrations d'eau dans l'habitation. Pour les logements situés en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte, il peut être tenu compte, pour l'appréciation des conditions relatives à la protection contre les infiltrations d'eau, des conditions climatiques spécifiques à ces collectivités ; / 2. Il est protégé contre les infiltrations d'air parasites. Les portes et fenêtres du logement ainsi que les murs et parois de ce logement donnant sur l'extérieur ou des locaux non chauffés présentent une étanchéité à l'air suffisante. Les ouvertures des pièces donnant sur des locaux annexes non chauffés sont munies de portes ou de fenêtres. Les cheminées doivent être munies de trappes. Ces dispositions ne sont pas applicables en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte ; / (...) 4. La nature et l'état de conservation et d'entretien des matériaux de construction, des canalisations et des revêtements du logement ne présentent pas de risques manifestes pour la santé et la sécurité physique des locataires ; / (...) 6. Le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d'ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l'air et une évacuation de l'humidité adaptés aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements ; / 7. Les pièces principales, au sens du troisième alinéa de l'article R. 111-1 du code de la construction et de l'habitation, bénéficient d'un éclairement naturel suffisant et d'un ouvrant donnant à l'air libre ou sur un volume vitré donnant à l'air libre ". L'article 4 de ce décret dispose que : " Le logement dispose au moins d'une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes. / La surface habitable et le volume habitable sont déterminés conformément aux dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 156-1 du code de la construction et de l'habitation ".

7. Pour caractériser l'urgence qui s'attache, selon elle, à la suspension de l'exécution des dispositions contestées, la requérante soutient qu'en permettant la mise à disposition de logements composés exclusivement de pièces situées en sous-sols, elles autorisent la location, notamment aux populations les plus précaires, de biens considérés jusqu'à présent comme impropres à l'habitation et qui doivent être regardés comme des logements indécents, portant ainsi une atteinte grave et immédiate à la protection de la santé publique et aux intérêts qu'elle défend s'agissant de la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent.

8. Toutefois, d'une part, les dispositions règlementaires contestées n'autorisent la mise à disposition aux fins d'habitation des sous-sols que pour autant que leurs caractéristiques ne constituent pas un risque pour la santé de l'occupant, qu'ils répondent aux exigences de hauteur sous-plafond, d'ouverture sur l'extérieur, d'éclairement et de configuration prévues par les dispositions citées au point 5 des articles R. 1331-20 à R. 1331-23 du code de la santé publique, que les ouvertures sur l'extérieur n'exposent pas les occupants à des sources de pollution, et qu'ils soient aménagés à usage d'habitation. Elles interdisent par ailleurs la mise à disposition aux fins d'habitation des caves, quels que soient les aménagements et transformations qui leur sont apportés. L'association requérante n'établit pas, en l'état de l'instruction, que les prescriptions encadrant ainsi la mise à disposition de sous-sols aux fins d'habitation seraient inadaptées ou insuffisantes pour assurer la protection de la santé de leurs occupants. Il est constant, d'autre part, ainsi que la requérante en a convenu lors de l'audience publique, que les dispositions contestées ne dérogent pas au décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, de sorte que les logements en sous-sol mis en location doivent répondre aux caractéristiques définies par ce décret, notamment celles prévues par son article 2, citées au point 6, relatives à la protection de la sécurité physique et de la santé des locataires. Dans ces conditions, il n'est pas justifié d'une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts invoqués par la requérante de nature à caractériser une situation d'urgence justifiant l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-1 du code de justice administrative sans attendre le jugement de la requête au fond.

9. Il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner si l'un des moyens invoqués est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des dispositions contestées, qu'il y a lieu de rejeter la requête de l'association Fédération droit au logement, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de l'association Fédération droit au logement est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Fédération droit au logement, à la Première ministre, au ministre de la santé et de la prévention, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la justice et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Fait à Paris, le 30 novembre 2023

Signé : Alban de Nervaux


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489410
Date de la décision : 30/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 nov. 2023, n° 489410
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489410.20231130
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award