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27/11/2023 | FRANCE | N°489233

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 novembre 2023, 489233


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 et 20 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Philips France Commercial demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :



1°) de suspendre l'exécution de la décision du 4 septembre 2023 du ministre de la santé et de la prévention ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au t

itre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.







Elle soutie...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 et 20 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Philips France Commercial demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 4 septembre 2023 du ministre de la santé et de la prévention ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à l'impact de la décision du 4 septembre 2023, d'une part, sur la santé publique et, d'autre part, sur sa situation économique et financière ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision du 4 septembre 2023 est entachée d'un défaut de motivation dès lors que, d'une part, elle avait demandé la communication des motifs de la décision, en application de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, de sorte qu'une exigence plus élevée de motivation pesait sur l'administration et, d'autre part, elle a présenté de nouveaux éléments dans le cadre de la procédure contradictoire afin d'établir la sécurité du dispositif médical dont l'inscription sur la liste des produits remboursables par l'assurance maladie prévue par l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale était sollicitée, qui n'ont pas été pris en compte par la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) ;

- elle a été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que l'avis de la CNEDiMTS du 27 juin 2023 sur lequel elle se fonde a été rendu en méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure, prévu aux articles R. 165-9 et R. 165-12 du code de la sécurité sociale ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que son dispositif médical ne présentait pas de risque de nature à contrebalancer son efficacité ;

- elle porte atteinte au libre jeu de la concurrence dès lors que les dispositifs médicaux des autres marques, qui présentent des caractéristiques communes au sien et qui sont substituables, sont inscrits sur la liste des produits remboursables par l'assurance maladie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2023, le ministre de la santé et de la prévention conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 14 novembre 2023, la Haute Autorité de santé conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Philips France Commercial et, d'autre part, le ministre de la santé et de la prévention et la Haute Autorité de santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 novembre 2023, à 11 heures :

- Me Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Philips France Commercial ;

- les représentants de la société Philips France Commercial ;

- les représentants du ministre de la santé et de la prévention ;

- les représentants de la Haute Autorité de santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

3. La société Philips France commercial commercialise le dispositif médical de ventilation auto-asservie " DREAMSTATION BIPAP AUTOSV " utilisé pour certaines personnes atteintes d'un syndrome d'apnée du sommeil (SAS) lorsque les dispositifs médicaux de PPC (pression positive continue) ne permettent pas d'obtenir le résultat attendu. Ce dispositif médical, qui bénéficie d'un marquage " CE " depuis 2016 est mis sur le marché depuis 2017. La société requérante , a déposé, le 2 décembre 2022, une demande d'inscription en nom de marque de ce dispositif médical sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que l'ont fait les sociétés qui commercialisent les deux autres dispositifs médicaux de ventilation auto-asservie disponibles sur le marché. Après un projet d'avis défavorable de la commission compétente de la Haute Autorité de Santé (CNEDiMTS) le 30 mai 2023 et un avis défavorable au motif que le service attendu par ce dispositif était insuffisant rendu par la même commission le 27 juin 2023, après audition des représentants de la société requérante, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont rejeté la demande de la société par une décision du 4 septembre 2023, dont la société Philips a demandé l'annulation pour excès de pouvoir. Sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, cette société demande la suspension de l'exécution de cette décision.

4. Pour justifier de la condition d'urgence, la société requérante fait valoir, d'une part, que cette décision est susceptible de porter atteinte à la continuité du traitement des personnes atteintes du SAS bénéficiant de ce dispositif médical dans la mesure où les deux autres dispositifs médicaux de ventilation auto-asservie, qui ont fait l'objet d'un avis favorable de la CNEDiMTS, ne pourront pas, en pratique, se substituer rapidement au dispositif commercialisé par la société requérante, alors même qu'il existera une forte pression en ce sens puisque l'usage des deux premiers sera remboursé, ce qui ne sera pas le cas, ou seulement de manière très limitée, pour celui commercialisé par la société Philips. D'autre part, la société requérante fait valoir que la décision en cause aura pour elle un impact direct significatif avec la disparition rapide du marché du dispositif médical en cause au profit de ceux de ses deux concurrents qui bénéficieront d'une prise en charge, mais aussi un impact indirect majeur en raison de la suspicion qui visera l'ensemble des dispositifs médicaux qu'elle commercialise dans le domaine du SAS, où elle réalisait un chiffre d'affaires total de 5 millions d'euros en France en 2022, soit 10 % de son chiffre d'affaires global.

5. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'impact de la décision en cause sur la société requérante sera limité dans la mesure où la vente des dispositifs médicaux concernés ne représente qu'un peu plus de 1 % seulement du chiffre d'affaires de la société et que l'impact sur la réputation des dispositifs médicaux qu'elle commercialise dans le domaine du SAS est incertain puisque ces dispositifs sont pris en charge depuis longtemps et largement utilisés. En outre, le risque de rupture dans la prise en charge du traitement de certains patients n'apparaît pas tel qu'il serait de nature à caractériser une situation d'urgence, compte tenu de l'état du stock des appareils de ventilation auto-asservie et des capacités de production des sociétés commercialisant les deux appareils ayant bénéficié d'un avis favorable à leur prise en charge. Au demeurant, les échanges au cours de l'audience publique ont fait apparaître que si la société requérante présentait une nouvelle demande, de nature notamment à apporter certaines précisions et à lever certaines ambiguïtés relevées lors de l'examen par la CNEDiMTS, cette demande serait examinée avec la plus grande célérité par la Haute Autorité de Santé et les ministres compétents. Dans ces conditions, les circonstances invoquées par la société requérante ne permettent pas de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu'il entend défendre.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête de la société Philips France Commercial, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société Philips France Commercial est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Philips France Commercial, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé.

Fait à Paris, le 27 novembre 2023

Signé : Fabien Raynaud


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489233
Date de la décision : 27/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 nov. 2023, n° 489233
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489233.20231127
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