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24/11/2023 | FRANCE | N°489603

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 novembre 2023, 489603


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 et 24 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des supporters demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :



1°) d'ordonner la communication des comptes rendus des réunions préparatoires de l'arrêté du 22 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;



2°) de suspen

dre, à titre principal, l'exécution de l'arrêté du 22 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 et 24 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des supporters demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la communication des comptes rendus des réunions préparatoires de l'arrêté du 22 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

2°) de suspendre, à titre principal, l'exécution de l'arrêté du 22 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer portant interdiction de déplacement des supporters du club de football du Football Club des Girondins de Bordeaux lors de la rencontre du samedi 25 novembre 2023 à 19 heures avec le Paris Football Club ;

3°) de suspendre, à titre subsidiaire, l'exécution de l'arrêté du 22 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qu'il s'applique à un nombre de personnes égal ou inférieur à 500 personnes se comportant comme supportrices du club visiteur ou se prévalant de cette qualité ;

4°) d'ordonner, en tout état de cause, toute mesure de nature à préserver les libertés fondamentales des supporters visiteurs ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'arrêté contesté prive les supporters visiteurs de l'exercice de leurs libertés fondamentales à trois jours du match à intervenir ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;

- l'arrêté contesté méconnaît la liberté d'aller et venir, la liberté d'association, la liberté de réunion et la liberté d'expression des supporters visiteurs dès lors qu'il a été pris sur le fondement des articles L. 332-16-1 et L. 332-16-2 du code du sport ;

- il méconnaît le droit à un accès utile au juge des référés dès lors que, en premier lieu, il a été publié deux jours avant le match à intervenir, en deuxième lieu, il contredit un précédent arrêté préfectoral qu'il vise expressément et, en dernier lieu, il ne se fonde sur aucune circonstance nouvelle ;

- il n'est pas fondé sur des circonstances de temps et de lieu le justifiant dès lors que, en premier lieu, il se fonde sur des erreurs de fait, en deuxième lieu, il ne fait pas état d'antécédents d'incidents pertinents, à raison des circonstances de temps et de lieu anciennes ou nouvelles, récents, graves et répétés impliquant les supporters visiteurs, en troisième lieu, il n'existe pas de rivalité sérieuse entre les supporters des deux équipes et, en dernier lieu, l'Etat dispose d'un effectif de forces de l'ordre suffisant pour sécuriser le déplacement et la participation au match à venir des supporters visiteurs ;

- il n'est pas nécessaire et proportionné dès lors que, d'une part, les circonstances de temps et de lieu ne sont pas de nature à justifier une interdiction totale de déplacement et de participation au match et, d'autre part, des mesures d'encadrement moins contraignantes permettraient d'accueillir les supporters visiteurs ;

- l'adoption tardive de l'arrêté, d'une part, génère un risque de trouble à l'ordre public et, d'autre part, porte une atteinte manifestement disproportionnée aux libertés fondamentales, notamment au droit à un recours effectif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du sport ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Association nationale des supporters, et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 24 novembre 2023, à 16 heures 30 :

- Me Stoclet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Association nationale des supporters ;

- le représentant de l'Association nationale des supporters ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-2 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique ".

3. Les interdictions que le ministre de l'intérieur et le représentant de l'Etat dans le département peuvent décider, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, constituent des mesures de police administrative. L'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence serait susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leur déplacement que sur le lieu de la manifestation sportive. Il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, le recours aux interdictions prises sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 tant au regard de la réalité des risques de troubles graves pour l'ordre public qu'elles visent à prévenir que de la proportionnalité des mesures. Il incombe au juge des référés d'apprécier les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce et de ne faire usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sur le fondement desquelles il est saisi que lorsque l'illégalité invoquée présente un caractère manifeste.

4. L'Association nationale des supporters demande la suspension de l'exécution de l'arrêté du 22 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer, publié au Journal officiel du 23 novembre 2023, portant interdiction de déplacement des supporters du club de football du Football Club des Girondins de Bordeaux lors de la rencontre du samedi 25 novembre 2023 à 19 heures avec le Paris Football Club au stade Charléty.

5. Il résulte de l'instruction que, à l'occasion de la 15ème journée de championnat de France de Ligue 2 BKT, l'équipe du Paris Football Club (PFC) doit recevoir celle du Football Club des Girondins de Bordeaux (FCGB) au stade Charléty le samedi 25 novembre à 19 heures. Le préfet de police a, par un arrêté du 15 novembre 2023, interdit la présence de personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'équipe bordelaise aux abords immédiats du stade Charléty, dans un périmètre déterminé, sur la voie publique, la journée du samedi 25 novembre 2023. Puis le ministre de l'intérieur a, par l'arrêté contesté, pris le 22 novembre suivant, interdit le déplacement dans les communes de la région d'Ile-de-France des personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'équipe du Football Club des Girondins de Bordeaux ou se comportant comme tel.

6. La mesure contestée est fondée sur les " risques sérieux pour la sécurité des personnes et des biens " qui naîtraient de la présence des personnes qu'elle vise à l'occasion de la rencontre de football en cause, en particulier à la suite des graves violences intervenues lors de déplacements récents du club du Football Club des Girondins de Bordeaux ainsi que lors de rencontres organisées à Paris avec le club du Paris Football Club, des tensions dans les relations entre les supporters des deux équipes depuis que, à compter de la saison 2022-2023, elles évoluent dans la même division, de la perspective que des supporters du Paris Saint-Germain (PSG) profitent du déplacement de leurs homologues bordelais pour en découdre avec eux, et, enfin, du contexte de forte mobilisation des forces de l'ordre depuis le rehaussement récent de la posture du plan Vigipirate au niveau " Urgence attentat ".

7. Il résulte de l'instruction que les soutiens du FCGB comptent en leur sein un certain nombre de supporters radicaux dont la violence s'est manifestée dans la période récente à l'occasion de déplacements du club, notamment lors de la rencontre du 21 août 2023 avec l'Athlétic Club d'Ajaccio qui s'est tenue à Ajaccio et au cours de laquelle une rixe entre les supporters des deux clubs a conduit à interrompre la rencontre, a nécessité l'intervention des forces de l'ordre et a fait plusieurs blessés. Il résulte également de l'instruction que certains supporters du club du PFC adoptent fréquemment un comportement violent lors des matchs qui se déroulent à Paris, comme en témoignent encore récemment la rencontre du PFC avec le GF 38, le 6 mai 2023, et celle avec le FC Laval, le 26 septembre 2023. Le fait que le PFC ait décidé de l'accès gratuit au stade Charléty pour la saison 2023-2024, sous réserve d'une réservation en ligne, est en outre de nature à accentuer les risques existants du fait de la participation d'individus désireux de se joindre à des actions violentes. Tel est notamment le cas des supporters du PSG, qui ont un antagonisme historique avec les joueurs de Bordeaux, et pour lesquels les informations reçues des services spécialisés font état d'un risque réel et sérieux d'affrontement entre les supporters des deux clubs.

8. Il résulte également de l'instruction que les forces de l'ordre sont actuellement fortement mobilisées pour faire face à la menace terroriste, qui demeure actuelle et prégnante sur l'ensemble du territoire national à la suite de la reprise du conflit israélo-palestinien et du récent attentat du 13 octobre 2023 à Arras, qui a conduit à l'élévation de la posture Vigipirate au niveau " Urgence attentat ". Cette mobilisation sera renforcée pour sécuriser plusieurs rassemblements revendicatifs prévus le samedi 25 novembre, dont certains non déclarés mais annoncés. Ces circonstances font légitimement craindre que les ressources disponibles, par ailleurs éprouvées, ne soient pas suffisantes pour sécuriser la rencontre en l'absence de mesures juridiques permettant de prévenir ou, à tout le moins, de limiter les risques de troubles graves à l'ordre public susceptibles de résulter de la présence d'environ 500 supporteurs bordelais, parmi lesquels 200 radicaux, lors de la rencontre au stade Charléty.

9. S'il est vrai, enfin, que, comme le souligne l'association requérante, l'édiction tardive de cet arrêté apparaît regrettable, les supporteurs bordelais ayant déjà pris leurs dispositions pour se rendre à Paris, cette circonstance, qui n'entraîne pas d'atteinte supplémentaire significative aux libertés fondamentales invoquées, et dont il ne résulte en particulier aucun atteinte au droit à un recours effectif, n'est pas de nature à affecter la proportionnalité de la mesure. N'est pas non plus de nature à affecter cette proportionnalité la circonstance que les supporters bordelais n'aient encore jamais été interdits de déplacement à Paris pour affronter le PFC ou le PSG, le juge des référés appréciant la réalité des risques de troubles graves pour l'ordre public et la proportionnalité des mesures prises sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce, et au vu des éléments dont il est fait état devant lui à la date à laquelle il se prononce.

10. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et eu égard en particulier à la mobilisation intense et de long terme des forces de l'ordre, que la décision litigieuse serait entachée d'une illégalité manifeste justifiant le prononcé des mesures demandées ou d'autres mesures et, en particulier, que des mesures moins contraignantes seraient, dans les circonstances de l'espèce, manifestement suffisantes pour prévenir les troubles graves à l'ordre public que la présence de supporteurs se revendiquant du Football Club des Girondins de Bordeaux ou de personnes se comportant comme tels est susceptible d'occasionner.

11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la communication des comptes rendus des réunions préparatoires à l'organisation de la rencontre de football, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'Association nationale des supporters est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association nationale des supporters ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 24 novembre 2023

Signé : Christine Maugüé


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489603
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 nov. 2023, n° 489603
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489603.20231124
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