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24/11/2023 | FRANCE | N°473674

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 24 novembre 2023, 473674


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Ecovélo Human Concept a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la consultation lancée par la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération tendant à la passation d'un marché relatif à l'achat de vélos à assistance électrique et au déploiement et à la gestion d'un service de location de ces vélos en libre-service. Par une ord

onnance n° 2301622 du 18 avril 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Rennes a...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ecovélo Human Concept a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la consultation lancée par la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération tendant à la passation d'un marché relatif à l'achat de vélos à assistance électrique et au déploiement et à la gestion d'un service de location de ces vélos en libre-service. Par une ordonnance n° 2301622 du 18 avril 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Rennes a annulé la procédure de passation de ce marché ainsi que la décision de rejet de l'offre de la société Ecovélo Human Concept et celle attribuant ce marché à la société Fifteen.

Procédures devant le Conseil d'Etat :

1° Sous le n° 473674, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 28 avril, 12 mai et 29 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Ecovélo Human Concept ;

3°) de mettre à la charge de la société Ecovélo Human Concept la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 473793, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 3 et 19 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Fifteen demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la même ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la société Ecovélo Human Concept la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Ecovélo Human Concept et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Fifteen ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération et de la société Fifteen sont dirigés contre la même ordonnance. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés du tribunal administratif de Rennes que la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération a engagé la passation d'un marché public selon la procédure formalisée avec négociation portant sur l'achat de vélos à assistance électrique et le déploiement et la gestion d'un service public de location de ces vélos en libre-service. La société Ecovélo Human Concept, dont l'offre a été classée deuxième, a demandé au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Rennes d'annuler la procédure de passation de ce marché. Par une ordonnance du 18 avril 2023 contre laquelle la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération et la société Fifteen, attributaire du contrat, se pourvoient en cassation, la juge des référés du tribunal administratif de Rennes a annulé cette procédure. Par les moyens qu'elles soulèvent, la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération et la société Fifteen doivent être regardées comme demandant l'annulation des articles 2 et 4 de l'ordonnance attaquée.

3. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution (...) ". Aux termes de l'article L. 2152-8 du même code : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de son article R. 2152-11 : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ". Enfin, aux termes de son article R. 2152-12 : " Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, les critères d'attribution font l'objet d'une pondération ou, lorsque la pondération n'est pas possible pour des raisons objectives, sont indiqués par ordre décroissant d'importance. La pondération peut être exprimée sous forme d'une fourchette avec un écart maximum approprié ".

4. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.

5. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

6. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le règlement de la consultation indiquait que le critère technique, pondéré à 60 sur 100, serait apprécié au regard de quatre " éléments d'appréciation " affectés respectivement de 25, 25, 5 et 5 points. En estimant que la notation de l'offre de la société évincée sur le critère technique était entachée " d'erreur matérielle ou à tout le moins d'incohérence " au motif que le rapport d'analyse des offres, au demeurant incomplet, qui avait été versé au dossier, ne permettait pas d'expliquer les notes comportant des décimales attribuées aux offres sur chacun de ces " éléments d'appréciation ", alors qu'elles étaient justifiées par une " appréciation littérale synthétique " procédant d'une échelle comportant cinq degrés, de " insatisfaisante " à " performante ", et en reconstituant la note technique de la candidate évincée en notant chacune des appréciations littérales attribuée par le pouvoir adjudicateur par une note sans décimale, alors que les principes rappelés au point précédent ne s'opposent pas à ce que le pouvoir adjudicateur traduise des appréciations littérales par des notes comportant des décimales, la juge des référés, qui n'a pas relevé en quoi cette méthode de notation aurait été, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser leur pondération, a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que les articles 2 et 4 de l'ordonnance attaquée doivent être annulés.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'analyse des offres, que la valeur technique des offres a été évaluée en fonction de quatre sous-critères dont la pondération avait été portée à la connaissance des candidats (" conception, fonctionnalités, garantie ", noté sur 25 ; " exploitation ", noté sur 25 ; " déploiement ", noté sur 5 ; " performance environnementale ", noté sur 5). Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que l'attribution de notes comportant des décimales sur chacun de ces sous-critères, qui traduit l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur la valeur des offres, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la méthode de notation.

10. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les notes attribuées aux offres des candidats auraient comporté des erreurs ou des incohérences de nature à priver de portée les critères de sélection des offres ou à neutraliser leur pondération.

11. En troisième lieu, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

12. Il ne résulte pas de l'instruction que, pour la notation du sous-critère " exploitation " de l'offre de la société Ecovélo Human Concept, le pouvoir adjudicateur se serait fondé sur des éléments ne figurant pas dans son offre négociée n° 2. La société Ecovélo Human Concept n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que son offre finale aurait été dénaturée par le pouvoir adjudicateur.

13. En quatrième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". L'article L. 2152-2 du même code précise qu'une offre irrégulière est " une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Aux termes de l'article L. 2152-3 : " Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure ".

14. Alors même que les candidats ont été incités à optimiser leur offre au regard de ce montant, il ne résulte pas de l'instruction que le montant estimatif du budget d'investissement et de fonctionnement porté à la connaissance des candidats dans le cadre de la procédure de négociation aurait revêtu un caractère impératif ou qu'il aurait constitué le montant des crédits budgétaires alloués au marché avant le lancement de la procédure. Dans ces conditions, la société Ecovélo Human Concept n'est pas fondée à soutenir que l'offre de la société attributaire aurait revêtu un caractère irrégulier ou inacceptable.

15. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, il ne résulte pas de l'instruction que le budget estimatif voté par l'organe délibérant de la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération aurait revêtu un caractère impératif, ni que le pouvoir adjudicateur l'aurait présenté comme tel. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que le pouvoir adjudicateur aurait fourni à la société attributaire des éléments d'information dont les autres soumissionnaires n'auraient pas bénéficié. Par suite, la société Ecovélo Human Concept n'est pas fondée à soutenir que le principe d'égalité de traitement entre les candidats aurait été méconnu lors de la négociation.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de la société Ecovélo Human Concept présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Rennes doit être rejetée.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ecovélo Human Concept la somme de 4 500 euros à verser, d'une part, à la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération et, d'autre part, à la société Fifteen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour l'ensemble de la procédure.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 2 et 4 de l'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Rennes sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par la société Ecovélo Human Concept devant le juge des référés du tribunal administratif de Rennes et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant le Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 3 : La société Ecovélo Human Concept versera à la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération et à la société Fifteen la somme de 4 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération, à la société Fifteen et à la société Ecovélo Human Concept.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 473674
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 nov. 2023, n° 473674
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Elise Adevah-Poeuf
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP DELAMARRE, JEHANNIN ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:473674.20231124
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