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22/11/2023 | FRANCE | N°489282

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 22 novembre 2023, 489282


Vu la procédure suivante :

M. B... A..., agissant tant en son nom propre qu'au nom de son fils mineur, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 10 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Savoie les a mis en demeure de quitter l'appartement situé 16, rue du Clos Fleury, à Annemasse, dans un délai de dix jours sous peine d'expulsion par la force publique et, à titre subsidiaire, de leur

accorder un délai de six mois pour quitter ce logement. Par une ord...

Vu la procédure suivante :

M. B... A..., agissant tant en son nom propre qu'au nom de son fils mineur, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 10 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Savoie les a mis en demeure de quitter l'appartement situé 16, rue du Clos Fleury, à Annemasse, dans un délai de dix jours sous peine d'expulsion par la force publique et, à titre subsidiaire, de leur accorder un délai de six mois pour quitter ce logement. Par une ordonnance n° 2306793 du 23 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de l'arrêté du 10 octobre 2023 du préfet de la Haute-Savoie.

Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors, d'une part, que contrairement à ce qui a été retenu par le juge des référés du tribunal administratif, M. A... ne saurait être regardé comme " exposé à une situation irréversible ", eu égard à ses ressources importantes qui lui permettent de trouver rapidement une solution d'hébergement pour lui et son fils, et, d'autre part, que l'urgence alléguée est imputable à son seul comportement et notamment à ses manœuvres pour s'introduire et se maintenir illégalement dans le logement qu'il occupe ;

- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- le préfet de la Haute-Savoie a pris en compte la situation personnelle de M. A... et la présence dans le logement occupé de son enfant âgé de 7 ans, portées à sa connaissance par les mentions du procès-verbal de constat du 6 octobre 2023, pour adopter l'arrêté du 10 octobre 2023 de mise en demeure de quitter les lieux, qu'il a assorti d'un délai d'exécution de dix jours afin de lui permettre d'organiser leur départ dans les meilleures conditions, pour tenir compte de ces circonstances particulières ;

- cet arrêté ne saurait être regardé comme manifestement illégal dès lors que les conditions prévues au premier alinéa de l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable sont réunies.

La requête a été communiquée à M. A..., qui n'a pas produit de mémoire mais indique, dans un courrier enregistré le 16 novembre 2023, avoir une perspective de relogement à brève échéance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 modifiée ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et, d'autre part, M. A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 novembre 2023, à 11 heures :

- la représentante du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". Il appartient à toute personne demandant au juge administratif d'ordonner des mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative de justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Il appartient au juge des référés d'apprécier, au vu des éléments que lui soumet le requérant comme de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 est satisfaite, en prenant en compte la situation du requérant et les intérêts qu'il entend défendre mais aussi l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des mesures prises par l'administration.

2. Aux termes de l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale : " En cas d'introduction et de maintien dans le domicile d'autrui, qu'il s'agisse ou non de sa résidence principale ou dans un local à usage d'habitation, à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, la personne dont le domicile est ainsi occupé, toute personne agissant dans l'intérêt et pour le compte de celle-ci ou le propriétaire du local occupé peut demander au représentant de l'Etat dans le département de mettre en demeure l'occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile ou sa propriété et fait constater l'occupation illicite par un officier de police judiciaire, par le maire ou par un commissaire de justice. / (...) La décision de mise en demeure est prise, après considération de la situation personnelle et familiale de l'occupant, par le représentant de l'Etat dans le département dans un délai de quarante-huit heures à compter de la réception de la demande. Seule la méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa ou l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général peuvent amener le représentant de l'Etat dans le département à ne pas engager la mise en demeure. En cas de refus, les motifs de la décision sont, le cas échéant, communiqués sans délai au demandeur. / La mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Lorsque le local occupé ne constitue pas le domicile du demandeur, ce délai est porté à sept jours et l'introduction d'une requête en référé sur le fondement des articles L. 521-1 à L. 521-3 du code de justice administrative suspend l'exécution de la décision du représentant de l'Etat. (...) / Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effet dans le délai fixé, le représentant de l'Etat dans le département doit procéder sans délai à l'évacuation forcée du logement, sauf opposition de l'auteur de la demande dans le délai fixé pour l'exécution de la mise en demeure ".

3. Pour faire droit à la demande de M. A..., agissant tant en son nom propre qu'au nom de son fils mineur, tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 10 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Savoie les a mis en demeure de quitter l'appartement qu'ils occupent sans titre au 16, rue du Clos Fleury, à Annemasse, dans un délai de dix jours sous peine d'expulsion par la force publique, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a jugé la condition d'urgence remplie au motif que cet arrêté était " susceptible de produire une situation irréversible pour les personnes qui en sont l'objet ". Toutefois, il résulte de l'instruction que M. A... occupe un emploi stable en Suisse et perçoit à ce titre un salaire mensuel de plus de 6 000 euros qui le met à l'évidence à l'abri du besoin, y compris pour trouver rapidement une solution de relogement convenant à son fils de 7 ans. Dans ces conditions, en l'absence d'autres éléments susceptibles de caractériser une situation d'urgence, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a jugé que la condition d'urgence pouvait être regardée comme satisfaite.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, qu'en l'absence de la condition d'urgence particulière requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative il y a lieu, d'une part, d'annuler l'ordonnance du 23 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble et, d'autre part, de rejeter les demandes présentées sur le fondement de ces dispositions par M. A..., ainsi que, par voie de conséquence, celles qu'il a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 23 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée.

Article 2 : Les conclusions présentées en première instance par M. A... sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Fait à Paris, le 22 novembre 2023

Signé : Suzanne von Coester


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489282
Date de la décision : 22/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2023, n° 489282
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP PIWNICA et MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489282.20231122
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