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20/11/2023 | FRANCE | N°489212

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 20 novembre 2023, 489212


Vu les procédures suivantes :

M. B... C... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui restituer son attestation de demande d'asile en cours de validité, sous astreinte. Par une ordonnance n° 2309806 du 23 octobre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

I. Sous le n° 489212, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 14 novembre 2023 au

secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au juge des réf...

Vu les procédures suivantes :

M. B... C... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui restituer son attestation de demande d'asile en cours de validité, sous astreinte. Par une ordonnance n° 2309806 du 23 octobre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

I. Sous le n° 489212, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 14 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de renouveler son attestation de demande d'asile en procédure Dublin, sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il entre dans l'office du juge des référés d'enjoindre à l'autorité préfectorale la restitution de l'attestation de demande d'asile illégalement retirée ou son renouvellement à la date d'expiration de la précédente ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le retrait de l'attestation de demande d'asile ne lui permet plus de justifier de la régularité de son séjour et le place ainsi que sa famille dans une situation de très grande vulnérabilité ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de circuler librement, à son droit de solliciter l'asile à l'issue de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de cette demande, à son droit de mener une vie privée et familiale normale ainsi qu'à l'intérêt supérieur de sa fille ;

- le retrait de son attestation de demande d'asile est illégal dès lors qu'il n'a pas entendu faire obstacle à son transfert vers l'Italie, ni se soustraire de manière systématique aux convocations préfectorales dont il a fait l'objet et qu'il ne peut donc pas être regardé comme étant en fuite.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme A... C... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui restituer son attestation de demande d'asile en cours de validité, sous astreinte. Par une ordonnance n° 2309808 du 23 octobre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande

II. Sous le n° 489213, par une requête, enregistrée le 2 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... demande à la juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de renouveler son attestation de demande d'asile en procédure Dublin, sans délai à compter de la notification de l'ordonnance sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle présente des moyens identiques à ceux visés sous le premier numéro.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. C... et Mme C... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 15 novembre 2023, à 10 heures 30 :

- Me Molinié, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. et Mme C... ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers : " 1. Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...) ; / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté (...) à dix-huit-mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. (...) ".

3. La notion de fuite au sens des dispositions précitées de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit s'entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant.

4. D'autre part, l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 311-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2. / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention ". Aux termes de l'article R. 573-2 du même code : " L'attestation de demande d'asile peut être retirée ou ne pas être renouvelée lorsque l'étranger se soustrait de manière intentionnelle et répétée aux convocations ou contrôles de l'autorité administrative en vue de faire échec à l'exécution d'une décision de transfert ".

5. Il résulte de l'instruction que M. C... et Mme C..., son épouse, ressortissants turcs d'origine kurde, entrés en France le 6 décembre 2022, ont présenté une demande d'asile le 22 décembre 2022 auprès de la préfecture des Bouches-du-Rhône, qui les a orientés en procédure " Dublin " et leur a délivré chacun une attestation de demande d'asile. Une fille est née en France le 31 janvier 2023. Après avoir obtenu, le 14 avril 2023, des autorités italiennes un accord pour leur prise en charge, le préfet des Bouches-du-Rhône a, le 22 mai 2023, par arrêtés, prononcé le transfert des intéressés à destination de l'Italie et les a, dans cette attente, assignés à résidence. Par deux jugements du 5 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés. Constatant que ni M. C... ni Mme C... ne s'étaient rendus aux convocations des 30 mars, 2 juin et 4 juillet 2023 sans apporter de justifications, le préfet a, le 1er août suivant, signalé aux autorités italiennes qu'il les déclarait " en fuite ", prolongeant ainsi le délai de transfert initialement de six mois, expirant le 6 décembre 2023, à dix-huit mois, expirant le 29 mai 2024. Après avoir prolongé par des arrêtés du 27 juillet 2023, l'assignation à résidence des intéressés jusqu'au 10 septembre suivant, le préfet a, prononcé, le 20 septembre 2023, le retrait de leur attestation de demande d'asile dont la validité expirait le 25 octobre 2023, et a cessé de les placer en assignation à résidence. M. et Mme C... relèvent chacun appel de l'ordonnance du 23 octobre 2023 par laquelle la juge des référés désignée par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à ce qu'il soit, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de leur réattribuer le bénéfice de leur attestation de demande d'asile. Il y a lieu de joindre ces requêtes qui présentent à juger les mêmes questions pour qu'il y soit statué par une seule ordonnance.

6. Il résulte de l'instruction et des échanges à l'audience que si M. et Mme C... se sont, depuis leurs arrêtés de transfert et d'assignation à résidence du 22 mai 2023, abstenus, sans justification, de se rendre aux convocations en préfecture des 2 juin et 4 juillet, en revanche, ils se sont rendus à celle du 26 juin, puis sans discontinuité à celles des 27 juillet, 7 août, 29 août et 20 septembre 2023. Il résulte également de l'instruction que ces deux absences n'ont pu avoir par elles-mêmes pour effet de faire échec à une décision de transfert, faute pour la préfecture d'avoir mis en place les éléments matériels d'exécution. S'il est vrai que le ministre fait valablement valoir à l'audience que des pratiques d'absence ponctuelles et discontinues peuvent contribuer à perturber l'organisation de ces procédures, il n'apparaît pas, au regard des pièces du dossier, notamment de la chronologie des faits et des échanges à l'audience, que l'attitude de M. et Mme C... ait eu pour objet et encore moins pour effet de contrarier, en l'espèce, ces opérations. En particulier, lorsque le préfet a signalé, le 1er août, à l'Italie que le couple était en fuite, il est constant que celui-ci s'était pourtant présenté trois jours auparavant en préfecture et s'y était vu remettre un nouvel arrêté d'assignation à résidence de 45 jours. De même, et alors que le couple s'était également présenté régulièrement aux quatre convocations successives qui leur avait été adressées, le préfet a néanmoins décidé, le 20 septembre, de retirer leur attestation de demande d'asile. Par suite, M. et Mme C... sont fondés à soutenir que, dans les circonstances de l'espèce, faute de pouvoir être regardés, notamment au 20 septembre, comme s'étant soustraits de manière intentionnelle et répétée aux convocations ou aux contrôles de l'autorité administrative en vue de faire échec à l'exécution d'une décision de transfert, le préfet des Bouches-du-Rhône a, dans l'exercice du pouvoir de retrait de l'attestation de la demande d'asile qu'il tient de l'article R. 573-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile pour l'exercice duquel l'attestation est délivrée.

7. Toutefois, compte tenu de leurs écritures et des échanges à l'audience, et bien qu'ils soient privés, à la date de la présente ordonnance, depuis près de deux mois du bénéfice de leur attestation de demande d'asile, les intéressés, qui se bornent à faire état de quelques considérations générales, n'apportent aucun élément de nature à établir que leur demande de rétablissement de cette attestation serait, en ce qui les concerne, justifiée par une situation d'urgence. Par suite, il n'y a pas lieu, en l'état de l'instruction, pour le juge du référé du Conseil d'Etat de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il ordonne, à très bref délai, au préfet des Bouches-du-Rhône de leur délivrer les documents sollicités. Il s'ensuit que M. et Mme C... ne sont pas fondés à se plaindre que, par les ordonnances attaquées, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M. et Mme C... qui sont les parties perdantes.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. C... et celle de Mme C... sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... C..., à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 20 novembre 2023

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489212
Date de la décision : 20/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 nov. 2023, n° 489212
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP PIWNICA et MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489212.20231120
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