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15/11/2023 | FRANCE | N°489228

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 15 novembre 2023, 489228


Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris , statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à la Ville de Paris de procéder à son hébergement dans une structure adaptée à son âge et à son état psychique et de prendre en charge ses besoins alimentaires et sanitaires quotidiens dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astr

einte de 100 euros par jour de retard, jusqu'à ce que l'autorité judiciai...

Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris , statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, d'enjoindre à la Ville de Paris de procéder à son hébergement dans une structure adaptée à son âge et à son état psychique et de prendre en charge ses besoins alimentaires et sanitaires quotidiens dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait définitivement statué sur son recours fondé sur les articles 375 et suivants du code civil et, en dernier lieu, de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'Etat, ou à lui verser directement en cas de non-admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par une ordonnance n° 2323817 du 19 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, en premier lieu, admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, enjoint à la maire de Paris d'assurer son hébergement dans une structure adaptée à son âge ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question relative à sa minorité, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance, en troisième lieu, mis à la charge de la Ville de Paris la somme de 500 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans l'hypothèse où il serait admis au bénéfice définitif de l'aide juridictionnelle, ou à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 dans l'hypothèse où ce bénéfice lui serait refusé et, en dernier lieu, rejeté le surplus de sa requête.

Par une requête, enregistrée le 3 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 19 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la requête en référé de M. B....

Elle soutient que :

- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris est entachée d'irrégularité en ce que sa minute n'est pas signée en méconnaissance de l'article R. 742-5 du code de justice administrative ;

- que le juge des référés a commis une erreur de droit en se fondant sur un passeport qui ne constitue pas un acte d'état civil bénéficiant de la force probante qui résulte de l'article 47 du code civil, sans apprécier la pertinence des éléments retenus par le rapport d'évaluation de la minorité du demandeur ;

- que la minorité de M. B... n'était pas établie dès lors qu'aucun élément du dossier ne permet de rattacher le passeport à M. B... et que les mentions et conditions de l'obtention de ce passeport, ainsi que les déclarations et éléments produits par M. B... à l'occasion de son évaluation et au soutien de sa requête ne permettent pas d'établir sa minorité.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- l'arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l'article R. 211-11 du code de l'action sociale et des familles relatif aux modalités d'évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article 375 du code civil : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 373-5 de ce code : " A titre provisoire mais à charge d'appel, le juge peut, pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. / En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. (...) ".

3. Par ailleurs, l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) / ; 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ". L'article L. 223-2 de ce code prévoit que : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. / (...) Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant n'a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n'a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l'autorité judiciaire en vue de l'application de l'article 375-5 du code civil ". Aux termes de son article R. 221-11 : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) / IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ". Le même article dispose que les décisions de refus de prise en charge sont motivées et mentionnent les voies et délais de recours.

4. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant, dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants ou par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. Il en résulte également que, lorsqu'il est saisi par un mineur d'une demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue par l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, décider de saisir l'autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, décider d'admettre le mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné. L'article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d'assistance éducative que sa situation nécessite. Lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation mentionnée au point 3 ci-dessus, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département.

6. Il appartient toutefois au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu'il lui apparaît que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d'enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

7. Enfin, l'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

Sur la requête en appel de la Ville de Paris :

8. Il résulte de l'instruction conduite par le juge des référés du tribunal administratif de Paris que M. B..., qui indique être un ressortissant guinéen âgé de 16 ans, s'est présenté à l'accueil pour mineurs non accompagnés de Paris le 26 juillet 2023 pour bénéficier d'une évaluation de sa minorité et de son isolement. Il a été reçu en entretien d'évaluation le 3 août 2023, à l'issue duquel sa minorité n'a pas été admise, et il a fait l'objet le 4 août 2023 d'une décision de refus de prise en charge par la Ville de Paris au titre de la protection de l'enfance. Il a alors saisi le 1er septembre 2023, le juge des enfants du tribunal judiciaire de Paris afin de lui demander une mesure d'assistance éducative. Par une ordonnance du 19 octobre 2023 dont la Ville de Paris interjette appel, le juge des référés a enjoint à la maire de Paris d'assurer l'hébergement de M. B... dans une structure adaptée à son âge ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question relative à sa minorité.

9. En premier lieu, il ressort de la minute de l'ordonnance attaquée qui figure dans le dossier de première instance qu'elle est signée par son auteur.

10. En second lieu, pour juger " qu'en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, l'appréciation portée par la maire de Paris sur la minorité de M. B... doit être regardée comme manifestement erronée ", le juge des référés du tribunal administratif de Paris a relevé que M. B... avait présenté pour justifier sa minorité un passeport biométrique original à son nom délivré le 7 octobre 2022 à Conakry, ne présentant ni rature, ni modification manifeste susceptible de remettre en doute son authenticité et dont la division nationale de la lutte contre la fraude documentaire et à l'identité, qui l'a analysé dans le cadre d'une commission rogatoire du juge des enfants du tribunal pour enfants de Paris , a relevé qu'il " présente toutes les caractéristiques d'un document authentique " et a estimé que ni l'indication figurant dans le rapport de la division nationale de la lutte contre la fraude documentaire selon laquelle le " risque d'une obtention indue " du passeport n'était pas exclu, ni l'absence de visa pour l'Espagne alors que M. B... affirme y être passé, ni l'évaluation sociale mettant en doute le parcours migratoire relaté par l'intéressé, ne remettaient en cause la force probante de la mention de sa date de naissance figurant sur son passeport.

11. D'une part, la seule circonstance qu'un passeport ne soit pas un acte d'état civil au sens des dispositions précitées de l'article 47 du code civil ne fait pas obstacle à ce que le juge des référés se fonde sur les données personnelles figurant sur un passeport qu'il estime authentique. Contrairement à ce que soutient la Ville de Paris , il ressort de la motivation de l'ordonnance attaquée que le juge des référés a fondé son appréciation de la minorité de M. B... sur l'ensemble des pièces du dossier, y compris le rapport d'évaluation qui concluait en sens contraire. D'autre part, en faisant valoir qu'aucun élément ne permet de rattacher le passeport à M. B... et que les conditions de son obtention ainsi que les déclarations de M. B... doivent conduire à écarter sa valeur probante, la Ville de Paris n'apporte aucun élément nouveau ou sérieux de nature à remettre en cause l'appréciation du juge des référés du tribunal administratif de Paris .

12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Ville de Paris doit être rejetée, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la Ville de Paris est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ville de Paris .

Fait à Paris , le 15 novembre 2023

Signé : Gilles Pellissier


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489228
Date de la décision : 15/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 nov. 2023, n° 489228
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489228.20231115
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