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09/11/2023 | FRANCE | N°466754

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 09 novembre 2023, 466754


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a, d'une part, demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 23 octobre 2019 par laquelle la cheffe du service de la sécurité de défense et des systèmes d'informations de la direction générale de l'armement du ministère des armées a retiré son habilitation d'accès aux informations et supports classifiés au niveau confidentiel défense et d'enjoindre à la ministre des armées de lui restituer cette habilitation et, d'autre part, d'annuler la décision du 28 août 2020 par laquelle la société Naval Group a proc

dé au retrait de ses autorisations d'accès au site de Cherbourg et d'enjoi...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a, d'une part, demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 23 octobre 2019 par laquelle la cheffe du service de la sécurité de défense et des systèmes d'informations de la direction générale de l'armement du ministère des armées a retiré son habilitation d'accès aux informations et supports classifiés au niveau confidentiel défense et d'enjoindre à la ministre des armées de lui restituer cette habilitation et, d'autre part, d'annuler la décision du 28 août 2020 par laquelle la société Naval Group a procédé au retrait de ses autorisations d'accès au site de Cherbourg et d'enjoindre à cette société de lui restituer ses autorisations d'accès. Par deux jugements n° 1902889 et n° 2001928 du 9 juillet 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n°s 21NT02520, 21NT02532 du 17 juin 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté les appels formés par M. A... contre ces jugements.

Par un pourvoi sommaire, un pourvoi sommaire rectificatif et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 août, 18 août et 17 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le code pénal ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Krivine, Viaud, avocat de M. A... et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Naval Group ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 octobre 2023, présentée par M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., agent de sécurité affecté sur le site de la société Naval Group à Cherbourg (Manche), s'est vu retirer, par une décision du 23 octobre 2019 de la cheffe du service de la sécurité de défense et des systèmes d'informations de la direction générale de l'armement du ministère des armées son habilitation d'accès aux informations et locaux classifiés " confidentiel défense ". M. A... a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler cette décision et d'enjoindre à la ministre des armées de lui restituer son habilitation et, d'autre part, d'annuler la décision du 28 août 2020 par laquelle la société Naval Group lui a retiré ses droits d'accès au site de Cherbourg. Par deux jugements du 9 juillet 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté ces demandes. M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ces jugements.

Sur l'arrêt en tant qu'il a statué sur la décision de retrait d'habilitation du 23 octobre 2019 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2311-1 du code de la défense : " Les règles relatives à la définition des informations concernées par les dispositions du présent chapitre sont définies par l'article 413-9 du code pénal ". Aux termes de l'article 413-9 du code pénal : " Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès./ Peuvent faire l'objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l'accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale./ Les niveaux de classification des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection sont déterminés par décret en Conseil d'Etat ".

3. Aux termes de l'article R. 2311-5 du code de la défense, dans sa rédaction alors en vigueur : " Dans les conditions fixées par le Premier ministre, les informations et supports classifiés au niveau Secret-Défense ou Confidentiel-Défense, ainsi que les modalités d'organisation de leur protection, sont déterminés par chaque ministre pour les administrations et les organismes relevant de son département ministériel ". Selon l'article R. 2311-7 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Nul n'est qualifié pour connaître d'informations et supports classifiés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation et s'il n'a besoin (...) de les connaître ".

4. Aux termes de l'article 23 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, approuvée par l'arrêté du 30 novembre 2011 alors applicable : " (...) / La demande d'habilitation déclenche une procédure destinée à vérifier qu'une personne peut, sans risque pour la défense et la sécurité nationale ou pour sa propre sécurité, connaître des informations ou supports classifiés dans l'exercice de ses fonctions. La procédure comprend une enquête de sécurité permettant à l'autorité d'habilitation de prendre sa décision en toute connaissance de cause ". Aux termes du 3 de l'article 31 de la même instruction générale : " La décision d'habilitation ne confère pas à son bénéficiaire de droit acquis à son maintien. L'habilitation peut être retirée en cours de validité ou à l'occasion d'une demande de renouvellement si l'intéressé ne remplit plus les conditions nécessaires à sa délivrance, ce qui peut être le cas lorsque des éléments de vulnérabilité apparaissent, signalés par exemple par : / - le service enquêteur ; / - le supérieur hiérarchique ou l'officier de sécurité concerné, à la suite d'un changement de situation ou de comportement révélant un risque pour la défense et la sécurité nationale ".

5. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 122-2 du même code : " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ".

6. Le retrait d'une habilitation au secret de la défense nationale, eu égard à la nature d'une telle habilitation et aux motifs susceptibles d'en justifier le retrait, qui ne sont pas nécessairement liés au comportement personnel de l'intéressé et dont la divulgation peut être de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale, n'est pas au nombre des décisions devant être soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable en vertu de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, alors même qu'il serait fondé sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur le comportement de l'intéressé. Par suite, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'aucune disposition législative ou réglementaire, notamment aucune disposition de l'instruction interministérielle n° 1300, ni aucun principe général du droit, n'imposait à l'administration d'inviter M. A... à s'expliquer ou à prendre connaissance de son dossier avant de prendre la décision contestée lui retirant son habilitation confidentiel défense.

7. Par ailleurs, M. A..., qui n'a pas soutenu devant la cour que la décision de retrait de son habilitation constituerait une sanction, ne peut utilement invoquer pour la première fois en cassation les dispositions de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, ni valablement soutenir que la cour administrative d'appel aurait insuffisamment motivé son arrêt en ne se prononçant pas sur ce point.

8. En second lieu, aux termes de l'article 413-7 du code pénal : " Est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait, dans les services, établissements ou entreprises, publics ou privés, intéressant la défense nationale, de s'introduire, sans autorisation, à l'intérieur des locaux et terrains clos dans lesquels la libre circulation est interdite et qui sont délimités pour assurer la protection des installations, du matériel ou du secret des recherches, études ou fabrications. /Un décret en Conseil d'Etat détermine, d'une part, les conditions dans lesquelles il est procédé à la délimitation des locaux et terrains visés à l'alinéa précédent et, d'autre part, les conditions dans lesquelles les autorisations d'y pénétrer peuvent être délivrées ". L'article R. 413-1 du même code dispose que : " Les zones protégées que constituent les locaux et terrains clos mentionnés à l'article 413 7 sont délimitées dans les conditions prévues à la présente section ". Aux termes de l'article R. 413-5 du même code : " L'autorisation de pénétrer dans la zone protégée est donnée par le chef du service, de l'établissement ou de l'entreprise, selon les directives et sous le contrôle du ministre ayant déterminé le besoin de protection. /Toutefois, lorsque la zone a été instituée pour protéger des recherches, études ou fabrications qui doivent être tenues secrètes dans l'intérêt de la défense nationale, l'autorisation est délivrée par le ministre qui a déterminé le besoin de protection. Dans tous les cas, l'autorisation est délivrée par écrit. Elle peut être retirée à tout moment dans les mêmes formes ".

9. Aux termes de l'article 74 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, dans sa rédaction applicable au litige : " L'institution de zones réservées a pour but d'apporter une protection renforcée aux informations et supports ainsi qu'aux systèmes d'information classifiés au niveau Secret Défense. / (...) / Une zone réservée ne peut être créée en dehors d'une zone protégée. Elle peut être incluse dans une zone protégée ou lui correspondre. / Les mesures de sécurité applicables aux zones réservées sont définies à l'annexe 7 ". Aux termes de l'annexe 7 de la même instruction : " Dès lors que des documents d'un niveau de classification égal ou supérieur à Secret Défense sont traités dans des locaux, des mesures particulières de sécurité doivent être mises en place. Ces mesures de sécurité permettent de définir les zones réservées, elles-mêmes obligatoirement situées en zone protégée, conformément aux dispositions de l'article 74 de la présente instruction. / La protection des informations ou supports classifiés se traduit par un durcissement des mesures de protection physique et de contrôle d'accès, qui a pour but d'empêcher : - tout accès à ces informations par des personnes, même habilitées, n'ayant pas besoin d'en connaître ; (...) ".

10. En vertu des dispositions citées au point 8, l'accès à une zone réservée est soumis à une autorisation spécifique destinée à assurer une protection renforcée de certaines informations ou supports, la seule habilitation à connaître d'informations ou supports classifiés ne pouvant en tenir lieu.

11. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, le 3 avril 2018, M. A... a pénétré sans présenter de badge sur le site de l'entreprise Naval Group à Cherbourg, puis s'est introduit au cours de la même matinée sans autorisation dans des locaux situés dans une zone protégée dont l'accès est soumis à des règles strictes et réservé aux personnels détenant une habilitation spécifique. La cour administrative d'appel a souverainement retenu, sans dénaturer les pièces du dossier, que la décision attaquée par M. A... ne reposait pas sur des faits matériellement inexacts. En jugeant, après avoir relevé que, compte tenu de son expérience et des fonctions qu'il exerçait, M. A... ne pouvait ignorer que son habilitation " confidentiel défense " ne pouvait tenir lieu d'autorisation d'accès à ces locaux, que la décision du 23 octobre 2019 portant retrait de son habilitation " confidentiel défense " n'était pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation.

Sur l'arrêt en tant qu'il a statué sur la décision de retrait de l'autorisation d'accès au site de Naval Group du 28 août 2020 :

12. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, M. A... n'avait pas, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision du 28 août 2020 de retrait de son autorisation d'accès au site de Naval Group, contesté par voie d'exception la légalité de la décision de retrait de son habilitation du 23 octobre 2019, notamment au regard des dispositions de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale. Par suite, en jugeant que le requérant ne pouvait utilement, pour contester la légalité du retrait de son autorisation d'accès au site de Naval Group, se prévaloir des dispositions de cette instruction générale, qui ne concerne que la procédure de retrait d'une habilitation et non celle conduisant au retrait d'une autorisation d'accès à un site protégé, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

13. En deuxième lieu, en jugeant que la décision du 28 août 2020 n'était entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation, la cour s'est, sans les dénaturer, livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce.

14. En troisième lieu, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a jugé que le détournement de pouvoir allégué, tiré de ce que l'interdiction d'accès au site aurait eu pour objet de restreindre l'action syndicale au sein de la société Naval Group, n'était pas établi.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement de la somme de 1 500 euros à verser à la société Naval Group au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.

Article 2 : M. A... versera à la société Naval Group une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la société Naval Group et au ministre des armées.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466754
Date de la décision : 09/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - PROCÉDURE CONTRADICTOIRE - CARACTÈRE NON OBLIGATOIRE - RETRAIT D’UNE HABILITATION AU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE.

01-03-03-02 Le retrait d’une habilitation au secret de la défense nationale, eu égard à la nature d’une telle habilitation et aux motifs susceptibles d’en justifier le retrait, qui ne sont pas nécessairement liés au comportement personnel de l’intéressé et dont la divulgation peut être de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale, n’est pas au nombre des décisions devant être soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable en vertu de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), alors même qu’il serait fondé sur l’appréciation portée par l’autorité compétente sur le comportement de l’intéressé.

ARMÉES ET DÉFENSE - RETRAIT D’UNE HABILITATION AU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE – EXIGENCE D’UNE PROCÉDURE CONTRADICTOIRE PRÉALABLE (ART - L - 121-1 DU CRPA) – ABSENCE.

08-10 Le retrait d’une habilitation au secret de la défense nationale, eu égard à la nature d’une telle habilitation et aux motifs susceptibles d’en justifier le retrait, qui ne sont pas nécessairement liés au comportement personnel de l’intéressé et dont la divulgation peut être de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale, n’est pas au nombre des décisions devant être soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable en vertu de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), alors même qu’il serait fondé sur l’appréciation portée par l’autorité compétente sur le comportement de l’intéressé.


Publications
Proposition de citation : CE, 09 nov. 2023, n° 466754
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Elise Adevah-Poeuf
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:466754.20231109
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