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04/11/2023 | FRANCE | N°489226

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 04 novembre 2023, 489226


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 et 4 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des supporters (ANS) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :



1°) à titre principal, de suspendre l'exécution, d'une part de l'arrêté du 2 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer, publié au Journal officiel du 4 novembre, portant interdiction de d

éplacement des supporters du club de football du Lille Olympique Sporting Club l...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 et 4 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des supporters (ANS) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l'exécution, d'une part de l'arrêté du 2 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer, publié au Journal officiel du 4 novembre, portant interdiction de déplacement des supporters du club de football du Lille Olympique Sporting Club lors de la rencontre du samedi 4 novembre 2023 à 21 heures avec l'Olympique de Marseille, d'autre part, du décret n° 2023-1014 du 3 novembre 2023, publié au Journal officiel du même jour, relatif à l'entrée en vigueur immédiate de cet arrêté, et, enfin, de l'arrêté du 2 novembre 2023 de la préfète de police des Bouches-du-Rhône, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le lendemain, portant interdiction de stationner, de circuler sur la voie publique et d'accéder au stade Orange vélodrome à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du Lille Olympique Sporting Club à l'occasion de cette même rencontre de football ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'arrêté du 4 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qu'il s'applique à un nombre de personnes égal ou inférieur à 250 personnes se comportant comme supporters du Lille OSC ou se prévalant de cette qualité ;

3°) d'ordonner la communication des comptes rendus des réunions préparatoires à l'organisation de cette rencontre ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'interdiction de déplacement préjudicie de manière suffisamment grave et illégale à la situation des supporters lillois à une échéance très proche du match à intervenir ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'association, à la liberté de réunion, à la liberté d'expression et au droit d'exercer un recours effectif devant le juge ;

- l'arrêté contesté est entaché de défaut de motivation en ce qu'il ne fait état d'aucune circonstance précise de fait et de lieu justifiant les mesures restrictives prises à l'encontre des supporters lillois, et en particulier d'antécédents graves, répétés et récents ;

- les décisions contestées, qui ne devraient pouvoir intervenir que dans des situations exceptionnelles, ne sont fondées sur aucune circonstance suffisamment précise de temps et de lieu dès lors que, en premier lieu, elles n'évoquent ni ne démontrent l'existence d'un antécédent récent, grave et récurrent, en deuxième lieu, il n'existe pas de risque de conflit particulier entre les supporters du Lille OSC et ceux de l'Olympique de Marseille et, en dernier lieu, elles conduisent à une mobilisation des forces de l'ordre supérieure à celle qu'impliquerait un dispositif d'encadrement ;

- la mesure d'interdiction contestée n'est pas nécessaire et proportionnée ;

- les décisions contestées méconnaissent son droit d'exercer un recours effectif devant le juge dès lors que, d'une part, elles sont délibérément intervenues le 4 novembre 2023 pour une rencontre prévue le même jour et, d'autre part, les réunions préparatoires à cette rencontre avaient confirmé la venue de 250 supporters lillois.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code du sport ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Association nationale des supporters, et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 4 novembre 2023, à 14 heures 30 :

- Me Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association nationale des supporters ;

- le représentant de l'association nationale des supporters ;

- la représentante du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-2 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique ".

3. Les interdictions que le ministre de l'intérieur et le représentant de l'Etat dans le département peuvent décider, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, constituent des mesures de police administrative. L'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence serait susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leur déplacement que sur le lieu de la manifestation sportive. Il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, le recours aux interdictions prises sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 tant au regard de la réalité des risques de troubles graves pour l'ordre public qu'elles visent à prévenir que de la proportionnalité des mesures. Il incombe au juge des référés d'apprécier les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce et de ne faire usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sur le fondement desquelles il est saisi que lorsque l'illégalité invoquée présente un caractère manifeste.

4. L'association nationale des supporters demande la suspension de l'exécution, d'une part de l'arrêté du 2 novembre 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer, publié au Journal officiel du 4 novembre, portant interdiction de déplacement des supporters du club de football du Lille Olympique Sporting Club lors de la rencontre du samedi 4 novembre 2023 à 21 heures avec l'Olympique de Marseille, d'autre part, du décret du 3 novembre 2023, publié au Journal officiel du même jour, relatif à l'entrée en vigueur immédiate de cet arrêté, et, enfin, de l'arrêté du 2 novembre 2023 de la préfète de police des Bouches-du-Rhône, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le lendemain, portant interdiction de stationner, de circuler sur la voie publique et d'accéder au stade Orange vélodrome à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du Lille Olympique Sporting Club à l'occasion de cette même rencontre de football.

Sur la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat :

5. Le juge des référés du Conseil d'Etat ne peut être régulièrement saisi, en premier et dernier ressort, d'une requête tendant à la mise en œuvre de l'une des procédures régies par le livre V du code de justice administrative que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'Etat.

6. En vertu de l'article R. 341-1 du code de justice administrative : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d'un tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel ".

7. Le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort, en application respectivement du 1° et du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, pour connaître d'un recours pour excès de pouvoir contre un décret et contre un arrêté du ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement de supporteurs en application de l'article L. 332-16-1 du code du sport, cet arrêté ayant un caractère réglementaire. En outre, dès lors que les deux arrêtés en litige se rapportent au même évènement sportif et qu'il appartient au juge des référés de porter une appréciation d'ensemble tant sur la gravité des atteintes que les mesures litigieuses portent aux libertés fondamentales invoquées que sur l'existence éventuelle d'une disproportion manifeste de ces mesures au regard des risques de troubles graves à l'ordre public susceptibles de l'émailler, et alors en outre que, eu égard à la très grande proximité de ces arrêtés avec cet évènement, la saisine de deux juges des référés de juridictions différentes ferait courir le risque de décisions incohérentes entre elles, il y a lieu, au regard des dispositions de l'article R. 341-1 du code de justice administrative, d'admettre la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat pour se prononcer sur l'ensemble des conclusions dont il est saisi, alors même que les recours contre les arrêtés préfectoraux de la nature de celui en litige doivent en principe être portés devant le tribunal administratif territorialement compétent.

Sur la demande en référé :

8. Il résulte de l'instruction et de l'audience organisée ce jour que, alors que les échanges préparatoires à l'organisation, sur le plan de la sécurité, de la rencontre du championnat de France de football le 4 novembre 2023 à 21 heures entre les équipes du Lille Olympique Sporting Club et de l'Olympique de Marseille avaient conduit jusqu'au 2 novembre, à prévoir la présence à cette rencontre, dans la tribune réservée aux visiteurs, de 250 à 350 supporters lillois s'y rendant pour leur majorité par leurs propres moyens, à l'exception d'un car et deux minibus affrétés, le ministre de l'intérieur et la préfète de police des Bouches ont, par les deux arrêtés contestés, interdit respectivement le déplacement à Marseille des personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'équipe lilloise ou se comportant comme tels et leur présence au stade Orange vélodrome ou dans ses abords immédiats. Ces deux arrêtés ont été publiés le 3 et le 4 novembre, soit la veille et le jour même de la rencontre.

9. Les mesures contestés, qui sont suffisamment motivées, sont fondées sur les " risques sérieux pour la sécurité des personnes et des biens " qui naitraient de la présence des personnes qu'elles visent à l'occasion de la rencontre de football en cause, en particulier à la suite des graves violences intervenues le 29 octobre 2023 lors d'une rencontre de Ligue 1 opposant l'Olympique de Marseille et l'Olympique lyonnais ainsi que dans le contexte de forte mobilisation des forces de l'ordre depuis le rehaussement récent de la posture du plan Vigipirate au niveau " Urgence attentat ".

10. Si l'arrêté ministériel, à la différence d'ailleurs de l'arrêté de la préfète de police des Bouches-du-Rhône, avance dans sa motivation des éléments relatifs à l'historique des rencontres entre les deux équipes concernées, il ne résulte pas de l'instruction que de tels éléments soient suffisamment circonstanciés pour justifier les mesures contestées. Il en va de même plus généralement du risque pour la sécurité propre au match en cause, qu'il appartient aux autorités compétentes d'apprécier de manière détaillée et précise, et qui n'avait conduit, comme l'indique l'administration, qu'à son classement par les services de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme, y compris après les événements survenus le 29 octobre, à un niveau de risque de 2 sur une échelle qui compte 5 niveaux. Au surplus, l'administration n'établit pas précisément le surcroit de mobilisation des forces de l'ordre qu'imposerait la présence d'un nombre de toutes façons limité de supporters lillois dans le cadre d'une rencontre qui devra en toute hypothèse être fortement sécurisée. En outre, l'interdiction de déplacement a été publiée le matin même de la rencontre, alors que la distance entre les deux villes concernées est de 1000 km, et qu'il est constant qu'une très large partie des supporters concernés sont déjà présents sur place, ce qui remet en cause son effectivité, et, par suite sa justification. Enfin, il résulte des échanges intervenus lors de l'audience que, eu égard précisément à la présence sur place de la majorité des supporters concernés et à la faculté qui leur est en tout état de cause laissée par les mesures contestées de pénétrer dans l'enceinte du stade à condition de ne pas se prévaloir de leur qualité de supporters et de ne pas se comporter comme tels, un risque existe que leur présence dans les tribunes du stade, en dehors de l'enceinte sécurisée réservée aux supporters des clubs visiteurs, soit à l'origine de violences qui auraient pu, sans ces mesures, être évitées. Dans ces conditions, et indépendamment même de la regrettable annonce tardive des mesures contestées, en contradiction avec les travaux préparatoires qui avaient été conduits entre les parties concernées et sans que ce revirement apparaisse justifié par quelque élément nouveau que ce soit, la requérante peut nourrir des doutes quant à la légalité des décisions litigieuses.

11. Toutefois, eu égard à l'imminence, malgré l'instruction de la présente requête dans l'espace de quelques heures, de la rencontre sportive en cause et aux risques pour l'ordre public que pourrait présenter la modification du dispositif de sécurité, tel qu'arrêté à la suite de l'interdiction ministérielle, qu'imposeraient les mesures demandées dans un contexte réel de forte mobilisation des forces de l'ordre, il y a lieu, au regard de l'ensemble des intérêts publics en cause, de rejeter la requête.

12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la communication des comptes rendus des réunions préparatoires à l'organisation de la rencontre de football, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de l'Association nationale des supporters est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association nationale des supporters, à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 4 novembre 2023

Signé : Jean-Philippe MOCHON


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 489226
Date de la décision : 04/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 nov. 2023, n° 489226
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:489226.20231104
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