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13/10/2023 | FRANCE | N°466114

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 13 octobre 2023, 466114


Vu les procédures suivantes :



I. La commune de Rives-de-l'Yon (Vendée) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'ordonner la libération immédiate, par la société à responsabilité limitée (SARL) Guillet-Joguet et tous occupants de son chef, de l'atelier- relais qu'elle occupe dans la zone artisanale des Mollaires ainsi que l'évacuation des biens leur appartenant, au besoin avec le concours de la force publique.



Par une ordonnance n° 2207770 du 11 juillet 2022, le juge des référés de ce tribu...

Vu les procédures suivantes :

I. La commune de Rives-de-l'Yon (Vendée) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'ordonner la libération immédiate, par la société à responsabilité limitée (SARL) Guillet-Joguet et tous occupants de son chef, de l'atelier- relais qu'elle occupe dans la zone artisanale des Mollaires ainsi que l'évacuation des biens leur appartenant, au besoin avec le concours de la force publique.

Par une ordonnance n° 2207770 du 11 juillet 2022, le juge des référés de ce tribunal a enjoint à la société Guillet-Joguet, ainsi qu'à toute personne occupante sans titre, d'évacuer sans délai cet atelier-relais et, dans l'hypothèse où il n'y serait pas déféré dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa décision, a autorisé la commune à y procéder d'office, au besoin avec le concours de la force publique.

Sous le n° 466114, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 juillet et 9 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Guillet-Joguet demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la commune de Rives-de-l'Yon ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Rives-de-l'Yon la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. La société Guillet-Joguet et la société civile professionnelle (SCP) MJuris, agissant en qualité de mandataire judiciaire, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de mettre fin à l'injonction d'évacuer l'atelier-relais qu'elle occupe sur le territoire de la commune de Rives-de-l'Yon prononcée par son ordonnance n° 2207770 du 11 juillet 2022.

Par une ordonnance du 3 novembre 2022, la juge des référés de ce tribunal a rejeté les demandes de la société et de son mandataire judiciaire et, sur demande reconventionnelle de la commune, a assorti l'injonction de libérer les lieux en litige d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de sa décision.

Sous le n° 468983, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 novembre et 1er décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Guillet-Joguet et la SCP MJuris agissant en qualité de mandataire judiciaire demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Rives-de-l'Yon la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de la société Guillet Joguet et à la SCP Krivine, Viaud, avocat de la commune de Rives-de-l'Yon ;

Vu, la note en délibéré, enregistrée le 10 octobre 2023, présentée par la commune de Rives-de-l'Yon ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la société à responsabilité limitée (SARL) Guillet-Joguet et la commune de Saint-Florent des Bois, aux droits de laquelle s'est substituée la commune nouvelle de Rives-de-l'Yon, ont conclu, par acte authentique des 26 et 31 juillet 2000, un contrat de crédit-bail immobilier, d'une durée de quinze ans, portant sur un terrain bâti situé dans la zone artisanale des Mollaires, sur le territoire de cette commune, et comportant une option, pouvant être exercée à compter de la huitième année, d'achat de l'ensemble immobilier composé de ce terrain et de l'atelier-relais que la commune y avait édifié. Par une délibération du 30 septembre 2021, le conseil municipal de Rives-de-l'Yon a prononcé le classement de l'ensemble immobilier en cause dans le domaine public communal. La commune a ensuite saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à ce qu'il ordonne, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, la libération du terrain et de l'atelier-relais qu'il supportait, qu'elle entendait céder. La société Guillet-Joguet se pourvoit en cassation, d'une part, contre l'ordonnance du 11 juillet 2022 par laquelle le juge des référés lui a enjoint de quitter sans délai les lieux qu'elle occupait. La société Guillet-Joguet et la société civile professionnelle (SCP) MJuris agissant en qualité de mandataire judiciaire demandent, d'autre part, l'annulation de l'ordonnance du 3 novembre 2022 par laquelle ce même juge des référés a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il mette fin à cette injonction et a assorti cette dernière d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de sa décision. Il y a lieu de joindre ces deux pourvois pour statuer par une seule décision.

2. Avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance au domaine public d'un bien était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, applicable depuis le 1er juillet 2006 : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ". Aux termes de l'article L. 2111-3 du même code : " S'il n'en est disposé autrement par la loi, tout acte de classement ou d'incorporation d'un bien dans le domaine public n'a d'autre effet que de constater l'appartenance de ce bien au domaine public (...) ".

3. Si la construction d'ateliers-relais par une commune a pour objet de favoriser son développement économique en complétant ses facultés d'accueil des entreprises et relève donc d'une mission de service public, cette circonstance ne suffit en revanche pas à faire regarder ces ateliers, qui ont vocation à être loués ou cédés à leurs occupants, comme étant affectés, une fois construits, à un service public et, sous réserve qu'ils aient fait l'objet d'un aménagement spécial ou indispensable, à les incorporer de ce seul fait dans le domaine public de la commune.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le bien immobilier dont la commune lui demandait d'ordonner la libération était, ainsi qu'il a été dit, un atelier-relais édifié par la commune pour les besoins de la société Guillet-Joguet, qu'il n'était pas affecté à l'usage direct du public et ne pouvait être regardé comme affecté à un service public pour les besoins duquel il aurait fait l'objet d'aménagements spéciaux ou indispensables, que le contrat conclu entre la commune et la société comportait une clause emportant promesse unilatérale de cession au profit du preneur et que la commune exprimait, dans ses écritures, l'intention de céder le bien après sa libération. Si figurait également au dossier soumis au juge des référés une délibération du conseil municipal, antérieure de quelques mois à sa saisine, prononçant le classement de ce bien dans le domaine public communal, cette délibération, qui ne faisait pas davantage état d'une intention d'affecter le bien en litige à un service public, ne pouvait avoir par elle-même pour effet de conférer le caractère d'une dépendance du domaine public à un bien ne satisfaisant pas aux critères rappelés au point 2. Dans ces conditions, le bien immobilier en cause était manifestement insusceptible d'être qualifié de dépendance du domaine public. Il en résulte qu'en faisant droit à la demande d'expulsion qui lui était soumise sans relever l'incompétence de la juridiction administrative, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, que la société Guillet-Joguet est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée du 11 juillet 2022.

6. Par voie de conséquence, l'ordonnance du 3 novembre 2022, qui se borne à refuser de mettre fin à l'injonction de quitter les lieux prononcée par l'ordonnance du 11 juillet 2022 et à en prévoir les modalités d'exécution sous astreinte, doit également être annulée.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la commune de Rives-de-l'Yon, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les conclusions présentées par la commune de Rives-de-l'Yon devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Guillet-Joguet, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Rives-de-l'Yon une somme de 3 000 euros à verser à la société Guillet-Joguet au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 11 juillet 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes et l'ordonnance du 3 novembre 2022 de la juge des référés du même tribunal sont annulées.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Rives-de-l'Yon devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Les conclusions formée par la commune de Rives-de-l'Yon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La commune de Rives-de-l'Yon versera à la société Guillet-Joguet la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Guillet-Joguet, à la société civile professionnelle MJuris, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Guillet-Joguet, et à la commune de Rives-de-l'Yon.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 septembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.

Rendu le 13 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve

La secrétaire :

Signé : Mme Michelle Bailleul


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 466114
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 oct. 2023, n° 466114
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Benjamin Duca-Deneuve
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD ; SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:466114.20231013
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