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29/09/2023 | FRANCE | N°475575

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 29 septembre 2023, 475575


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 475575, M. A... B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision n° 1206/2022 du préfet de la région Normandie du 23 juin 2022 prononçant à son égard l'attribution de 6 points de pénalité en qualité d'armateur du navire " An Daouzeg Abostol " immatriculé DP 561 949 et de 6 points en qualité de capitaine du même navire, la suspension de la licence de pêche européenne de ce navire pour une durée de 7 jours du 5 décembre 2022 au 11 décembre 2022 inclus et la publication de cette décision pour une dur

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Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 475575, M. A... B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision n° 1206/2022 du préfet de la région Normandie du 23 juin 2022 prononçant à son égard l'attribution de 6 points de pénalité en qualité d'armateur du navire " An Daouzeg Abostol " immatriculé DP 561 949 et de 6 points en qualité de capitaine du même navire, la suspension de la licence de pêche européenne de ce navire pour une durée de 7 jours du 5 décembre 2022 au 11 décembre 2022 inclus et la publication de cette décision pour une durée de 30 jours auprès des représentants de la profession, a produit un mémoire, enregistré le 13 juin 2023 au greffe du tribunal administratif de Rouen, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime.

Par une ordonnance n° 2204547 du 3 juillet 2023, enregistrée le 3 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la quatrième chambre du tribunal administratif de Rouen, avant qu'il soit statué sur la demande de M. B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par le mémoire transmis et par un nouveau mémoire, enregistré le 28 août 2023, M. B... soutient que les dispositions du 2° de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, applicables au litige, méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la liberté d'entreprendre garantie par son article 4 et l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

Par un mémoire, enregistré le 21 juillet 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.

2° Sous le numéro 475577, M. A... B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision n° 1207/2022 du préfet de la région Normandie du 23 juin 2022 prononçant à son égard le paiement d'une amende de 1 500 euros, l'attribution de 6 points de pénalité en qualité d'armateur du navire " An Daouzeg Abostol " immatriculé DP 561 949 et de 6 points en qualité de capitaine du même navire, la suspension de la licence de pêche européenne de ce navire pour une durée de 7 jours du 12 décembre 2022 au 18 décembre 2022 inclus, ainsi que la publication de cette décision pour une durée de 30 jours auprès des représentants de la profession, a produit un mémoire, enregistré le 13 juin 2023 au greffe du tribunal administratif de Rouen, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève la même question prioritaire de constitutionnalité que sous le n° 475575.

Par une ordonnance n° 2204549 du 3 juillet 2023, enregistrée le 3 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la quatrième chambre du tribunal administratif de Rouen, avant qu'il soit statué sur la demande de M. B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par le mémoire transmis et par un nouveau mémoire, enregistré le 28 août 2023, M. B... soulève les mêmes griefs que sous le n° 475575.

Par un mémoire, enregistré le 21 juillet 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.

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3° Sous le numéro 475578, la société Cap Fagnet, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision n° 57/2023 du préfet de la région Normandie du 18 janvier 2023 prononçant à son égard une amende de 7 000 euros, l'attribution de 6 points de pénalité sur la licence de pêche européenne du navire " Le Vicomte " immatriculé 735 033, la suspension de cette même licence pour une durée de 7 jours du 13 février 2023 au 19 février 2023 inclus et la publication de cette décision pour une durée de 30 jours auprès des représentants de la profession, a produit un mémoire, enregistré le 7 juin 2023 au greffe du tribunal administratif de Rouen, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève la même question prioritaire de constitutionnalité que sous le n° 475575.

Par une ordonnance n° 2302056 du 3 juillet 2023, enregistrée le 3 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la quatrième chambre du tribunal administratif de Rouen, avant qu'il soit statué sur la demande de la société Cap Fagnet, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par le mémoire transmis et par un nouveau mémoire, enregistré le 21 août 2023, la société Cap Fagnet soutient les mêmes griefs que sous le n° 475575.

Par un mémoire, enregistré le 21 juillet 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les mémoires enregistrés sous les numéros 475575, 475577 et 475578 tendent à la transmission de la même question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime : " Indépendamment des sanctions pénales qui peuvent être prononcées et sous réserve de l'article L. 946-2, les manquements à la réglementation prévue par les dispositions du présent livre, les règlements de l'Union européenne pris au titre de la politique commune de la pêche et les textes pris pour leur application, y compris les manquements aux obligations déclaratives et de surveillance par satellite qu'ils prévoient, et par les engagements internationaux de la France peuvent donner lieu à l'application par l'autorité administrative d'une ou plusieurs des sanctions suivantes : / (...) / 2° La suspension ou le retrait de toute licence ou autorisation de pêche ou titre permettant l'exercice du commandement d'un navire délivré en application de la réglementation ou du permis de mise en exploitation ; / (...) ".

4. Les requérants soutiennent que les dispositions du 2° de l'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime, en ne prévoyant pas de limitation de durée à la suspension ou au retrait qu'elles prévoient des licences, autorisations, titre et permis qu'elles visent, portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, à la liberté d'entreprendre garantie par son article 4 et à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

5. D'une part, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Le principe de légalité des délits et des peines, qui découle de cet article, impose que le législateur ou, dans son domaine de compétence, le pouvoir réglementaire, fixe les sanctions ayant le caractère d'une punition en des termes suffisamment clairs et précis, et notamment qu'il indique précisément le montant maximum de la peine encourue.

6. Dès lors que les dispositions contestées, qui sont suffisamment claires et précises, prévoient, au rang des mesures permettant de sanctionner les manquements aux obligations instituées par les textes auxquels elles renvoient, non seulement la suspension de toute licence de pêche, autorisation de pêche, titre permettant l'exercice du commandement d'un navire ou permis de mise en exploitation d'un navire, mais aussi le retrait de ces actes, ce retrait constituant la peine la plus élevée des sanctions ainsi instituées, le législateur pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, ne pas préciser la durée des sanctions moins élevées constituées par la suspension temporaire de ces actes. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de ce principe ne présente pas de caractère sérieux.

7. D'autre part, l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que : " La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ". Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi. En prévoyant que l'autorité administrative peut suspendre ou retirer les actes mentionnés au point précédent, le législateur a entendu assurer l'effectivité de la règlementation nationale ou européenne applicable en matière de pêche maritime, notamment pour permettre l'exploitation durable des ressources halieutiques et la réduction au minimum des incidences négatives sur l'environnement. De plus, par ces dispositions, qui sont, ainsi qu'il a été dit au point précédent, suffisamment précises, le législateur n'a pas méconnu sa propre compétence. Il suit de là que le grief tiré de ce que les dispositions contestées porteraient à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif qu'elles poursuivent, et, en tout état de cause, celui tiré de la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, ne présentent pas un caractère sérieux.

8. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... et la société Cap Fagnet.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la société Cap Fagnet et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au tribunal administratif de Rouen.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 septembre 2023 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat et Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 29 septembre 2023.

Le président :

Signé : M. Stéphane Verclytte

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Isidoro

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 475575
Date de la décision : 29/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 29 sep. 2023, n° 475575
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Isidoro
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:475575.20230929
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