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11/08/2023 | FRANCE | N°476377

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 août 2023, 476377


Vu la procédure suivante :

Mme B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer sans délai une attestation de demande d'asile, ainsi qu'un dossier lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2304857 du 17 juillet 2023, le juge des référés du trib

unal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par une requête,...

Vu la procédure suivante :

Mme B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer sans délai une attestation de demande d'asile, ainsi qu'un dossier lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2304857 du 17 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la mesure de transfert est susceptible d'être exécutée à tout moment et que son placement en fuite met fin aux conditions matérielles d'accueil dont elle bénéficiait en qualité de demandeur d'asile, en termes d'allocation, d'hébergement, de couverture sociale et d'accompagnement administratif, alors qu'elle souffre d'importants problèmes de santé ;

- le refus de la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile, dès lors que le délai qui faisait obstacle à l'enregistrement de sa demande a expiré le 3 juillet 2023 et qu'elle n'est pas en situation de fuite ;

- elle ne saurait être regardée comme en fuite au sens de l'article 29 du règlement " Dublin III ", dès lors qu'elle s'est toujours conformée à ses obligations, notamment durant son assignation à résidence pendant plusieurs mois, qu'elle n'a jamais eu l'intention de se soustraire au contrôle de l'administration et que cette dernière n'a pas procédé à toutes les diligences qui lui incombaient dans l'organisation de son transfert au Portugal ;

- le document relatif aux modalités de son départ ne lui a pas été remis dans une langue qu'elle pouvait comprendre, en méconnaissance de l'article L. 121-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est pas porté d'atteinte illégale au droit d'asile.

Par des observations, enregistrées le 8 août 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

Ont été entendues lors de l'audience publique du 10 août 2023, à 15 heures :

- Me Loiseau, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de Mme A... ;

- la représentante de Mme A... ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 11 août 2023, à 11 heures ;

Par un nouveau mémoire, enregistré le 10 août 2023, Mme A... maintient les conclusions de sa requête.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 11 août 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

De nouvelles observations, enregistrées le 11 août 2023, ont été présentées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article 29 du règlement (UE) du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit règlement " Dublin III " : " 1. Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...) ; 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit-mois au maximum si la personne concernée prend la fuite (...) ".

3. Mme A..., ressortissante angolaise, a présenté une demande d'asile le 27 septembre 2022 auprès de la préfecture du Bas-Rhin, qui l'a orientée en procédure " Dublin ". Par un arrêté du 5 décembre 2022, la préfète du Bas-Rhin a décidé son transfert aux autorités portugaises responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 2 janvier 2023, qui a fait de nouveau courir le délai de six mois laissé à l'administration pour mettre ce transfert à exécution, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le recours formé contre cet arrêté par Mme A.... Celle-ci a été convoquée le 26 juin 2023 à la préfecture, où lui ont été notifiées les modalités de son transfert vers le Portugal, prévu le 29 juin 2023 depuis l'aéroport de Bâle-Mulhouse, avec une correspondance à Francfort. N'ayant pas pris le vol prévu à cet effet, elle a été regardée comme " en fuite ", une situation portant le délai de transfert à dix-huit mois. Par une ordonnance du 17 juillet 2023 dont elle relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile en procédure normale et de lui remettre sans délai une attestation de demande d'asile, ainsi qu'un dossier destiné à l'instruction de sa demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

4. Lorsqu'un demandeur d'asile fait l'objet d'une procédure de réadmission dans le cadre de la procédure " Dublin III ", il peut être regardé comme " en fuite " si, informé précisément et dans une langue qu'il comprend des modalités exactes de son réacheminement, il s'est délibérément abstenu de se conformer aux indications données par l'administration pour son voyage. Le fait de ne pas se rendre en temps utile sur le lieu programmé du départ, compte tenu des aléas de déplacement sur le trajet et de la longueur des procédures d'embarquement, sans pouvoir faire valoir un motif valable de retard, doit être assimilé à une telle abstention délibérée.

5. En l'espèce, Mme A..., qui ne parle pas et ne comprend pas le français, a reçu notification d'un document d'information dénommé " routing ", qui lui a été traduit par oral, mentionnant la compagnie aérienne, le numéro de vol et l'heure de départ de l'aéroport d'où elle devait le 29 juin 2023 se rendre au Portugal, pays compétent pour examiner sa demande. Ce document, qui ne lui permettait pas d'embarquer, indiquait qu'elle devait se présenter à la police aux frontières à 4h45, sans préciser la localisation de ce service au sein de l'aéroport, lequel comporte au demeurant plusieurs étages. Il résulte de l'instruction et notamment des échanges à l'audience que l'intéressée s'est effectivement rendue à l'aéroport à 4h45 et que, ne sachant pas où trouver la police aux frontières, elle s'est présentée à un agent de l'aéroport. Celui-ci, à qui elle a donné à lire sa " fiche de liaison " retraçant les instructions de la préfecture, lui a demandé d'attendre dans une salle, ce qu'elle a fait sans chercher à aucun moment à se dérober. Lorsque, après plus d'une heure et demi d'attente à la place qui lui avait été indiquée, elle a pu échanger avec des policiers, ceux-ci lui ont fait comprendre qu'il était trop tard pour embarquer et l'ont invitée à recontacter la préfecture. Au regard des circonstances de l'espèce, notamment de l'initiative qu'elle avait prise de faire traduire sa " fiche de liaison " en langue allemande pour le cas où elle en aurait besoin à l'aéroport de Francfort et d'avancer, en vue de son départ, la séance d'hémodialyse qu'elle subit trois fois par semaine, ainsi que du fait que, s'étant rendue à l'aéroport à l'heure prévue, elle s'est adressée à un agent dont elle pouvait raisonnablement penser qu'il pourrait l'aider à se conformer aux instructions reçues, à un moment de la journée où les guichets d'information étaient encore fermés, Mme A... ne peut être regardée comme s'étant délibérément soustraite à l'exécution de ses obligations. En regardant l'intéressée comme " en fuite ", alors au surplus que ni avant cette date, ni depuis, elle n'a cherché à se soustraire à ses obligations, notamment dans le cadre de son assignation à résidence pendant plusieurs mois, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg et le ministère de l'intérieur ont inexactement qualifié les faits. Mme A... est donc fondée à soutenir que c'est à tort que sa demande a été rejetée pour ce motif. L'affaire étant en l'état, il y a lieu de statuer, par la voie de l'effet dévolutif, sur les autres moyens soulevés au soutien des conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

6. Il n'est pas contesté en appel que, dès lors que l'intéressée n'est pas " en fuite " au sens de l'article 29 du règlement " Dublin III " cité au point 2, l'administration est légalement tenue d'enregistrer en procédure normale la demande d'asile que Mme A... lui a soumise le 7 juillet 2023 et de lui délivrer l'attestation de dépôt de cette demande lui permettant de saisir l'OFPRA. Si son placement " en fuite " n'a jusqu'à présent pas eu d'incidence sur ses conditions matérielles d'existence, il apparaît urgent, au regard de la grande précarité de sa situation et des effets d'un enregistrement de sa demande d'asile sur ses droits, notamment pour sa prise en charge médicale, qu'il y soit procédé dans les plus brefs délais.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui remettre une attestation de demande d'asile, ainsi que le dossier destiné à l'instruction de sa demande par l'OFPRA, dans les meilleurs délais, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 17 juillet 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Starsbourg est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... en procédure normale, de lui délivrer une attestation de demande d'asile et de lui remettre le dossier destiné à l'instruction de sa demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Fait à Paris, le 11 août 2023

Signé : Suzanne von Coester


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 476377
Date de la décision : 11/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 aoû. 2023, n° 476377
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:476377.20230811
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