La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/08/2023 | FRANCE | N°457360

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 04 août 2023, 457360


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 8, 11 et 14 octobre 2021 et le 22 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... A..., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs, B... A... et D... A..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions insérées par le a) du 8° de l'article 1er du décret n° 2021-1268 du 29 septembre 2021 à l'article 47-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales néce

ssaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, qui étendent aux personne...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 8, 11 et 14 octobre 2021 et le 22 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... A..., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs, B... A... et D... A..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions insérées par le a) du 8° de l'article 1er du décret n° 2021-1268 du 29 septembre 2021 à l'article 47-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, qui étendent aux personnes âgées d'au moins douze ans et deux mois l'obligation de présentation de documents, dite " passe sanitaire ", pour l'accueil dans divers établissements, lieux, services et évènements ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir ou de suspendre l'exécution des dispositions du chapitre 2 du titre 1er, ou de son extension, ainsi que celles de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 dans leur rédaction issue du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- la décision du 19 novembre 2021 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 juillet 2023, présentée par M. A... ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Les mesures de santé publique destinées à prévenir la circulation du virus de la covid-19 prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ont été remplacées, après l'expiration de celui-ci le 1er juin 2021, par celles de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire. En particulier, le paragraphe II de l'article 1er de cette loi permettait au Premier ministre d'instituer un dispositif dit de " passe sanitaire ". Il pouvait ainsi subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19, l'accès à certains lieux, établissements ou évènements. En application de ces dispositions, le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire avait notamment fixé, à son article 47-1, la liste des lieux, services et événements concernés et défini certaines modalités d'application. A la suite d'une nouvelle dégradation de la situation épidémique, liée à une diffusion accrue du variant Delta sur le territoire national, la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a modifié la loi du 31 mai 2021 afin de permettre au Premier ministre d'étendre le champ d'application du " passe sanitaire ".

2. Le décret attaqué du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 a alors notamment modifié le III de l'article 2-3 de ce décret pour définir les modalités de lecture des justificatifs à présenter dans le cadre du " passe sanitaire " et les informations pouvant être lues à cette occasion par les personnes et services habilités à contrôler ces justificatifs. Il a également modifié les articles 2-2 et 47-1 de ce décret afin de préciser la nature et les conditions de validité de certains justificatifs. Le requérant demande l'annulation de ces dispositions du décret du 1er juin 2021 ainsi modifiées en ce qu'elles permettraient aux personnes et services habilités à contrôler les justificatifs de lire davantage de données que celles prévues par la loi.

3. Le décret du 29 septembre 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 a ensuite notamment modifié l'article 47-1 de ce décret afin d'étendre le dispositif du " passe sanitaire " aux mineurs âgés d'au moins douze ans et deux mois. Le requérant demande l'annulation de ces dispositions en ce qu'elles procèdent à cette modification et ne limitent pas les informations mentionnées sur les documents susceptibles de servir de justificatifs dans le cadre du " passe sanitaire ".

Sur les conclusions de la requête dirigées contre les dispositions litigieuses modifiées par le décret du 7 août 2021 :

4. Le troisième alinéa du B du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 prévoyait que la présentation du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19, afin d'accéder à certains lieux, établissements, services ou évènements, était réalisée sous une forme ne permettant pas aux personnes ou aux services autorisés à en assurer le contrôle d'en connaître la nature. Aux termes des dispositions du troisième alinéa du III de l'article 2-3 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, les personnes et services habilités à procéder au contrôle des justificatifs susceptibles d'être présentés dans le cadre du dispositif de passe sanitaire pouvaient " lire les noms, prénoms et date de naissance de la personne concernée par le justificatif, ainsi qu'un résultat positif ou négatif de détention d'un justificatif conforme ". Il résulte de ces dispositions que le décret attaqué prévoyait que ce contrôle intervenait dans des conditions ne permettant pas aux personnes et services habilités à y procéder de connaître la nature du justificatif qui leur était présenté. Le requérant n'est donc pas fondé à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient celles du B du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, le respect de la vie privée et du secret médical ainsi que la protection des données à caractère personnel, sans qu'il puisse utilement invoquer à cet effet les résultats de la lecture de ces justificatifs dans d'autres contextes et au moyen de dispositifs de lecture dont il n'établit pas qu'ils répondraient aux exigences des dispositions attaquées.

Sur les conclusions de la requête dirigées contre les dispositions litigieuses modifiées par le décret du 29 septembre 2021 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative : " En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté. / Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l'ordonnance de rejet mentionne qu'à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d'un mois, le requérant est réputé s'être désisté ". Il résulte de ces dispositions que, pour ne pas être réputé s'être désisté de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, le requérant qui a présenté une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, si cette demande est rejetée au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés, sous réserve que cette notification l'informe de cette obligation et de ses conséquences et à moins qu'il n'exerce un pourvoi en cassation contre l'ordonnance du juge des référés. Il doit le faire par un écrit dénué d'ambiguïté.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le requérant a produit le 22 octobre 2021, soit le surlendemain de la notification de l'ordonnance rejetant sa demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative tendant à la suspension de l'exécution des dispositions insérées par le a) du 8° de l'article 1er du décret du 29 septembre 2021 à l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021, une note en délibéré enregistrée dans la présente instance. Cette note contestait les conclusions prononcées par le rapporteur public lors de l'audience du 21 octobre 2021, dans lesquelles celui-ci estimait qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le requérant à l'appui de sa requête à fins d'annulation dirigée contre les dispositions litigieuses de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 modifiées par le décret du 29 septembre 2021. Elle doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme une confirmation du maintien de la requête. Il s'ensuit que le ministre de la santé et de la prévention et le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ne sont pas fondés à demander qu'il soit donné acte du désistement d'office du requérant en application des dispositions de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative.

7. En deuxième lieu, il est constant que le virus responsable de la covid-19 peut se transmettre par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée et que les personnes peuvent être contagieuses sans le savoir, notamment pendant la phase pré-symptomatique. En particulier, la transmission de ce virus est favorisée par le brassage de population, la densité de population et le temps de contact avec des personnes potentiellement contaminées. En outre, l'essentiel des mineurs âgés d'au moins douze ans et deux mois sont scolarisés au sein d'établissements qui constituent des lieux de fort brassage, dans lesquels le maintien de la distanciation physique est difficile. Enfin, il n'est pas sérieusement contesté que le virus responsable de la covid-19 est susceptible d'être diffusé par l'intermédiaire de ces mineurs.

8. En raison des caractéristiques des lieux, établissements, services ou évènements énumérés à l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021, les personnes qui souhaitaient y accéder étaient exposées à un risque accru de transmission du virus responsable de la covid-19. Il n'est pas sérieusement contesté que l'obligation, dans le cadre du " passe sanitaire " de présenter soit un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 pour y accéder permettait de réduire ce risque, de lever d'autres mesures barrière et de maintenir l'accès à ces lieux, établissements ou évènements aux personnes à risque, sans imposer d'obligation de vaccination.

9. Eu égard aux éléments rappelés aux deux points précédents, et alors que la situation sanitaire demeurait précaire et incertaine à la date du décret du 29 septembre 2021 et que le taux de vaccination des mineurs âgés d'au moins douze ans et deux mois était inférieur à celui de la population générale, le requérant n'est pas fondé à soutenir, notamment en invoquant le fait que le Gouvernement avait saisi le Conseil scientifique d'une demande portant sur l'allégement des mesures sanitaires ou en discutant l'intérêt thérapeutique de la vaccination, que l'extension du dispositif du passe sanitaire à ces mineurs pour accéder aux lieux, établissements, services ou évènements n'aurait pas été nécessaire, adaptée et proportionnée. Cette mesure n'étant au demeurant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, le requérant ne peut pas utilement invoquer l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

10. En troisième et dernier lieu, il résulte des dispositions du troisième alinéa du B du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 mentionnées au point 4 qu'elles ne limitaient pas la nature des informations susceptibles d'être mentionnées sur les documents justifiant que la personne concernée remplissait les conditions d'obtention du " passe sanitaire ", mais encadraient uniquement la nature des informations pouvant être lues lors d'un contrôle de ces justificatifs par des personnes et services habilités. Le requérant n'est donc pas fondé à soutenir que le décret du 29 septembre 2021 aurait méconnu ces dispositions pour n'avoir pas fixé, à l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021, des règles spécifiques relatives à la nature des informations mentionnées sur les documents justifiant de l'obtention du " passe sanitaire ".

11. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. A... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... A..., au ministre de la santé et de la prévention et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 juillet 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 4 août 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 457360
Date de la décision : 04/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 aoû. 2023, n° 457360
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:457360.20230804
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award