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13/07/2023 | FRANCE | N°475817

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 13 juillet 2023, 475817


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 11 et 12 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pyragric Industrie, première requérante dénommée, et 86 autres entreprises demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2023-576 du 8 juillet 2023 portant interdiction de la vente, du port et du transport d'engins pyrotechniques et d'artifices de divertissement, Ã

  titre principal, en raison de son illégalité interne et, à titre subsidiaire...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 11 et 12 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pyragric Industrie, première requérante dénommée, et 86 autres entreprises demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2023-576 du 8 juillet 2023 portant interdiction de la vente, du port et du transport d'engins pyrotechniques et d'artifices de divertissement, à titre principal, en raison de son illégalité interne et, à titre subsidiaire, en raison de son illégalité externe ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, le décret porte un préjudice grave et immédiat à la situation économique et financière de l'ensemble du secteur et, en particulier, à la leur, en ce que les jours précédant la fête nationale du 14 juillet représentent la période la plus importante en termes de chiffre d'affaires pour la profession des artificiers, en deuxième lieu, le stockage des marchandises retournées par les détaillants qui ne peuvent l'écouler se heurte à des contraintes logistiques et soulève un problème de sécurité, en troisième lieu, est en cause une méconnaissance du droit de l'Union européenne et, enfin, il est nécessaire de suspendre l'exécution de l'acte litigieux sans attendre le jugement de la requête au fond, le décret litigieux épuisant ses effets le 15 juillet 2023 ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- le décret contesté méconnaît les dispositions de l'article 22 de la Constitution, en ce qu'il n'est pas contresigné par les ministres chargés de son exécution ;

- ce décret méconnaît les dispositions de la directive 2013/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 dès lors qu'il vise de manière générale et impersonnelle toutes les catégories d'artifices de divertissement sur l'ensemble du territoire national, alors que la directive ne prévoit que la possibilité pour les Etats membres d'interdire ou de restreindre la possession, l'utilisation et/ou la vente à des particuliers d'artifices de divertissement des seules catégories F2 et F3 ;

- le décret contesté porte une atteinte disproportionnée au principe de la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre dès lors qu'il impose une interdiction générale et absolue qui, en premier lieu, n'est pas nécessaire, la réglementation existante permettant déjà de prévenir les troubles à l'ordre public, en deuxième lieu, n'est pas adaptée, le décret ayant pour conséquence d'inciter les consommateurs à se fournir dans des réseaux d'approvisionnement parallèles, en particulier sur des sites internet étrangers et, en dernier lieu, n'est pas proportionnée, le décret s'appliquant à toutes les catégories d'artifice et sur l'ensemble du territoire national.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés le 12 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la directive 2013/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 ;

- le code de la défense ;

- le code de l'environnement ;

- le code pénal ;

- le décret n° 2010-580 du 31 mai 2010 ;

- l'arrêté interministériel du 3 mars 1982 fixant les dispositions relatives à certains produits explosifs dispensés de prescriptions du décret n° 81-972 du 21 octobre 1981 ;

- l'arrêté du ministre de l'intérieur du 17 décembre 2021 portant application des dispositions des articles L. 557-10-1 et R. 557-6-14-1 du code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les sociétés requérantes, et, d'autre part, la Première ministre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 12 juillet 2023, à 10 heures :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Pyragric Industrie et autres, ainsi que les représentants des sociétés requérantes ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction à 16 heures 30 le même jour, puis à 18 heures 30 ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Par le décret n° 2023-576 du 8 juillet 2023, publié et entré en vigueur le lendemain, la Première ministre a, pour prévenir les risques de troubles graves à l'ordre public au cours des festivités du 14 juillet, interdit, jusqu'au 15 juillet 2023 inclus, la vente, le port, le transport et l'utilisation des articles pyrotechniques et des artifices de divertissement sur l'ensemble du territoire national, à l'exclusion des opérations réalisées par les professionnels disposant des agréments et habilitations requis et par les collectivités publiques. Trois entreprises de commerce de gros et 84 entreprises de commerce de détail du secteur de la pyrotechnie demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de ce décret.

Sur la portée du décret litigieux :

3. L'article R. 557-6-1 du code de l'environnement définit un article pyrotechnique comme " tout article contenant des substances explosives ou un mélange explosif de substances conçues pour produire de la chaleur, de la lumière, des sons, des gaz, de la fumée ou une combinaison de ces effets par une réaction chimique exothermique auto-entretenue ". Selon le même article, un artifice de divertissement est un article pyrotechnique destiné au divertissement. En vertu du 1° de l'article R. 557-6-3 du même code, les artifices de divertissement sont classés en quatre catégories, de F1 à F4, en fonction des risques de sécurité qu'ils présentent, de leur niveau sonore et de leurs conditions d'utilisation. Selon les 2° et 3° du même article, les " articles pyrotechniques destinés au théâtre " sont classés en deux catégories, T1 et T2, de même que les " autres articles pyrotechniques ", répartis entre les deux catégories P1 et P2, en fonction du risque qu'ils présentent.

4. En vertu du d) du 1° de l'article R. 557-6-3 du code de l'environnement, les artifices de divertissement classés en catégorie F4 sont ceux qui " présentent un risque élevé et qui sont destinés à être utilisés uniquement par des personnes ayant des connaissances particulières (également désignés par l'expression " artifices de divertissement à usage professionnel ") et dont le niveau sonore n'est pas dangereux pour la santé humaine ". Les articles pyrotechniques classés dans les catégories T2 et P2 par les 2° et 3° du même article sont ceux qui sont destinés à être utilisés uniquement par des personnes ayant des connaissances particulières. Il résulte des dispositions de l'article L. 557-8 et du II de l'article R. 557-6-13 du même code que l'acquisition, la détention et l'utilisation de ces produits sont réservées aux personnes titulaires d'un certificat de formation ou d'une habilitation délivrés par un organisme agréé par le ministre chargé de la sécurité industrielle, ainsi que, en vertu de l'article 5 du décret du 31 mai 2010 relatif à l'acquisition, la détention et l'utilisation des artifices de divertissement et des articles pyrotechniques destinés au théâtre, de l'agrément préfectoral prévu par le 2° de l'article 4 s'agissant des artifices de divertissement conçus pour être lancés par un mortier.

5. Dès lors que l'article 2 du décret attaqué soustrait les professionnels disposant des agréments et habilitations requis à l'interdiction d'acquérir, de porter, de transporter et d'utiliser les articles pyrotechniques qui résulte de l'article 1er du même décret, ce dernier est, ainsi que l'ont confirmé les échanges à l'audience, dépourvu d'effet en ce qui concerne les articles pyrotechniques, réservés aux professionnels, relevant des catégories F4, T2 et P2. Il n'y a donc pas lieu de prononcer la suspension de son exécution dans cette mesure. Il y a lieu, en revanche, d'examiner si les conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative sont remplies s'agissant des articles pyrotechniques relevant des autres catégories.

Sur les moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux :

6. Le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l'ensemble du territoire, notamment celles qui ont pour objet de prévenir des troubles à l'ordre public à l'occasion d'évènements impliquant des rassemblements importants de personnes en de nombreux points du territoire national et susceptibles de donner lieu à des violences contre les personnes, notamment les forces de l'ordre en charge de la sécurisation de ces évènements, et contre les biens. Ces mesures doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à la gravité des risques prévisibles de troubles à l'ordre public.

En ce qui concerne les artifices de divertissement classés dans la catégorie F1 :

7. D'une part, le a) du 1° de l'article R. 557-6-3 du code de l'environnement définit ces artifices de divertissement comme ceux qui présentent " un risque très faible et un niveau sonore négligeable et qui sont destinés à être utilisés dans des espaces confinés, y compris à l'intérieur d'immeubles d'habitation ". Relèvent de cette catégorie, notamment, les artifices de type " claque-doigts ", " fontaines à gâteau ", " bougies étincelles " ou " cierges magiques ". En vertu du I de l'article R. 557-6-13 du même code, ces articles peuvent être vendus à des personnes âgées d'au moins douze ans. Si le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que ces produits ne sont pas dépourvus de danger, notamment pour les enfants, de tels risques, inhérents à la manipulation de tout article pyrotechnique, sont étrangers aux troubles graves à l'ordre public que le décret a pour objet de prévenir. De même, les effets visuels et sonores modestes de ces produits sont insusceptibles d'occasionner de tels troubles, même si le ministre de l'intérieur soutient qu'ils peuvent accroître le sentiment d'anxiété des policiers et gendarmes mobilisés. Il n'apparaît pas davantage que la matière première combustible contenue dans ces produits serait susceptible de permettre la confection par des particuliers d'articles pyrotechniques présentant un danger significatif pour des biens et des personnes qui seraient pris pour cibles. Enfin, l'instruction ne fait en tout état de cause pas ressortir un risque sérieux de confusion, à l'occasion des contrôles de police, entre ces produits et des artifices de divertissement des catégories F2 et F3 susceptibles d'être utilisés de façon détournée et malveillante comme projectiles contre les forces de l'ordre, d'autres personnes ou des biens.

8. D'autre part, le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 2013/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d'articles pyrotechniques interdit en principe aux Etats membres de prohiber, restreindre ou entraver la mise à disposition sur le marché d'articles pyrotechniques satisfaisant aux exigences de cette directive. Son paragraphe 2, éclairé par le considérant 16 de cette directive, précise toutefois que cette interdiction ne fait pas obstacle à la prise, par un Etat membre, de mesures qui visent, pour des motifs d'ordre public, de sûreté, de santé et de sécurité, à interdire ou à restreindre la possession, l'utilisation ou la vente, à des particuliers, d'artifices de divertissement des catégories F2 et F3, d'articles pyrotechniques destinés au théâtre et d'autres articles pyrotechniques. Les artifices de divertissement de la catégorie F1 ne sont en revanche pas mentionnés, en raison des très faibles risques qu'ils présentent.

9. Dans ces conditions, les moyens tirés, d'une part, de ce que l'interdiction prévue par le décret litigieux en ce qui concerne les artifices de divertissement de la catégorie F1 ne serait, eu égard au très faible risque lié à la mise en œuvre de ces articles pyrotechniques, ni nécessaire, ni proportionnée, et, d'autre part, de ce qu'elle méconnaîtrait les objectifs de la directive du 12 juin 2013 paraissent, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret dans cette mesure.

En ce qui concerne les articles pyrotechniques classés dans les catégories T1 et P1 :

10. Les 2° et 3° de l'article R. 557-6-3 du code de l'environnement rangent dans ces catégories les articles pyrotechniques utilisés pour un autre usage que le divertissement qui présentent un " risque faible ". Si ces produits peuvent, à l'instar des fumigènes, être utilisés dans le cadre de manifestations et rassemblements et contribuer à compliquer l'intervention des forces de l'ordre, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils seraient susceptibles de présenter un risque tel pour la sécurité des personnes, dont les forces de l'ordre, ou celle des biens qu'il justifierait l'interdiction générale et absolue de leur vente à des particuliers et de leur port, de leur transport et de leur utilisation par ces derniers sur l'ensemble du territoire national, fût-ce pour la courte période de temps couverte par ce décret. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que l'interdiction de la vente, du port, du transport et de l'utilisation des artifices de ces deux catégories présenterait un caractère disproportionné aux risques qu'ils présentent dans le cadre des festivités du 14 juillet et méconnaîtrait les objectifs de la directive du 12 juin 2013, sont de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué dans cette mesure.

En ce qui concerne les artifices de divertissement classés dans les catégories F2 et F3 :

11. Le b) du 1° de l'article R. 557-6-3 du code de l'environnement définit les artifices de la catégorie F2 comme ceux qui présentent un " risque faible et un faible niveau sonore et qui sont destinés à être utilisés à l'air libre, dans des zones confinées ". Le c) du même 1° définit les artifices de divertissement de catégorie F3 comme ceux qui " présentent un risque moyen, qui sont destinés à être utilisés à l'air libre, dans de grands espaces ouverts et dont le niveau sonore n'est pas dangereux pour la santé humaine ".

12. L'article L. 557-10-1 du même code prévoit que, lorsqu'une personne physique acquiert auprès d'un opérateur économique des articles pyrotechniques destinés au divertissement relevant des catégories définies par arrêté du ministre de l'intérieur, l'opérateur est tenu d'enregistrer la transaction et l'identité de l'acquéreur. Il ressort des travaux préparatoires à la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés qui a introduit ces dispositions que le législateur a, ce faisant, entendu assurer la traçabilité de la vente des seuls engins pyrotechniques utilisés de façon récurrente comme armes par destination contre les forces de sécurité intérieure et susceptibles de mettre leur vie ou leur sécurité en danger. Sur ce fondement, le ministre de l'intérieur a, à l'issue d'une concertation approfondie entre ses services et les professionnels du secteur de la pyrotechnie, mentionnée lors de l'audience, pris un arrêté en date du 17 décembre 2021, qui précise qu'il a pour but de prévenir les atteintes à la sécurité publique en contrôlant la mise à disposition à toute personne physique ou morale des artifices de divertissement des catégories F2 et F3 qu'il énumère, dont les fusées, les chandelles romaines, les chandelles monocoup et les pétards aériens et, lorsqu'ils relèvent de la catégorie F3, les pétards à mèche, les pétards à composition flash, les batteries et les combinaisons.

13. En premier lieu, les festivités du 14 juillet prochain sont susceptibles, dans le contexte des récentes émeutes d'une particulière violence qui ont fait suite au décès de M. A... B... le 27 juin 2023 à Nanterre à l'occasion d'un contrôle de police, de donner lieu à d'importants débordements et à des exactions contre les forces de l'ordre et les biens, en particulier ceux affectés à un service public ou à l'usage du public. Il résulte en outre de l'instruction qu'à l'occasion des violences qui ont éclaté à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet 2023, ont été utilisés dans des proportions importantes voire inédites, outre des mortiers d'artifice relevant de la catégorie F4, des artifices de divertissement relevant des catégories F2 et F3 et figurant sur la liste fixée par l'arrêté du 17 décembre 2021. Le ministre indique ainsi en défense que les fusées et les chandelles romaines sont les " articles pyrotechniques les plus détournés à l'encontre des forces de sécurité intérieure " et fait, pour l'essentiel, état de l'utilisation, lors des récentes émeutes, d'articles figurant sur cette liste et, en particulier, de ceux qui peuvent servir à la propulsion à grande distance de projectiles dangereux. En dépit des possibilités d'approvisionnement illégal auprès d'opérateurs étrangers sur internet et du suivi dont leur vente doit faire l'objet en France, l'interdiction de la vente de ces produits aux particuliers est de nature à permettre d'en limiter significativement la circulation et l'utilisation en vue de commettre des violences susceptibles de mettre en danger la vie des policiers et gendarmes mobilisés, ainsi d'ailleurs que les sociétés requérantes l'ont admis à l'audience. En outre, les récentes émeutes ont montré que les heurts pouvaient survenir en-dehors de périmètres délimités par l'administration et correspondant à des centres urbains, y compris en milieu rural, de sorte qu'une interdiction circonscrite à certaines zones géographiques n'apparaît pas suffisante. Dans ces conditions, aucun des moyens de légalité interne soulevés n'apparaît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret dans cette mesure. Il en va de même du moyen tiré du défaut de contreseing du ministre de l'intérieur.

14. En second lieu, en revanche, si le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait état en défense d'un risque de détournement à des fins de commission de violences de certains autres artifices de divertissement classés en catégories F2 et F3, ce risque, qui n'a pas justifié l'inscription sur la liste fixée par l'arrêté du 17 décembre 2021 à l'issue de l'instruction et de la concertation dont ce texte a fait l'objet, n'est pas solidement étayé par les constats réalisés à l'occasion des récentes émeutes et ne se distingue pas du risque général qu'un objet soit utilisé comme projectile dangereux contre les forces de l'ordre ou les biens. En outre, s'il ne peut être écarté, le risque de confusion, à l'occasion des contrôles de police, entre ces produits et ceux qui figurent sur cette liste ou les artifices relevant des catégories F4, T2 et P2 apparaît limité en raison, d'une part, des mentions devant obligatoirement figurer sur le conditionnement de ces articles et, sous réserve que la taille, la forme et la conception du produit le permettent, de leur étiquetage obligatoire et individuel et, d'autre part, de leurs caractéristiques visuelles, de leur taille et de leur diamètre, qui traduisent une différence d'usage prévu ou potentiel, et de dangerosité. Il appartient en outre à toute personne qui porte ou transporte de tels artifices de justifier, à l'occasion du contrôle dont elles peuvent faire l'objet, d'un motif légitime, à défaut duquel celle-ci encourt six mois d'emprisonnement, 7500 euros d'amende et la confiscation du produit, conformément aux dispositions de l'article L. 2353-10 du code de la défense. Dans ces conditions, les moyens tirés, d'une part, de ce que l'interdiction générale faite par le décret litigieux de vendre à des particuliers et, pour ces derniers, de porter, transporter et utiliser des artifices de divertissement relevant des catégories F2 et F3 et qui ne sont pas inscrits sur la liste fixée par l'arrêté du 17 décembre 2021 présenterait un caractère disproportionné et, d'autre part, de ce qu'elle méconnaîtrait les objectifs de la directive du 12 juin 2013 apparaissent, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret dans cette mesure.

Sur l'urgence :

15. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension de l'exécution d'un acte administratif, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, lorsque cette exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l'acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

16. D'une part, il résulte de l'instruction que les festivités du 14 juillet constituent, avec le passage à la nouvelle année, la principale occasion de vente au public d'articles pyrotechniques et, en particulier, d'artifices de divertissement. Il n'est ainsi pas sérieusement contesté que le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises du secteur à cette occasion représente une proportion très significative de leur chiffre d'affaires annuel. L'instruction fait à cet égard ressortir que l'interdiction prononcée par le décret litigieux est susceptible d'occasionner un préjudice financier important, à tout le moins, pour les deux entreprises de commerce de gros requérantes qui sont tenues contractuellement de reprendre les produits non écoulés par les détaillants, et pour les détaillants, en particulier ceux qui ont acquis ces produits sans pouvoir contractuellement les restituer contre remboursement aux grossistes. En outre, l'équilibre financier de ce secteur a été sérieusement fragilisé par l'annulation des spectacles pyrotechniques pendant la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 et reste particulièrement précaire en raison des contraintes réglementaires et des restrictions liées notamment à la sécheresse et aux risques de départs de feux de forêts. Enfin, un retour massif des produits en cause par des détaillants craignant de ne pouvoir les écouler après les festivités du 14 juillet pourrait soulever des difficultés de stockage pour les grossistes, astreints à des obligations particulières à cet égard, et, ce faisant, créer un risque pour la sécurité publique. Le décret litigieux apparaît ainsi de nature à porter un préjudice suffisamment grave et immédiat à la situation de ces entreprises et à celle de tiers. Dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il n'est pas établi qu'un intérêt public important s'attacherait à l'interdiction par le décret litigieux de la vente, du port, du transport et de l'utilisation par des particuliers des articles pyrotechniques les moins dangereux, soit ceux des catégories F1, T1 et P1, ainsi que les artifices de divertissement des catégories F2 et F3 ne figurant pas sur la liste fixée par l'arrêté du 17 décembre 2021, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et alors que ce décret, pris le 8 juillet dernier et publié le lendemain, épuisera ses effets le 15 juillet prochain, de regarder la condition d'urgence comme satisfaite dans cette mesure.

17. Il résulte de tout ce qui précède que l'exécution du décret litigieux doit être suspendue en tant seulement que celui-ci interdit, sous réserve des exceptions prévues à son article 2, la vente, le port, le transport et l'utilisation des articles pyrotechniques des catégories F1, T1 et P1, ainsi que des artifices de divertissement des catégories F2 et F3 ne figurant pas sur la liste fixée par l'arrêté du 17 décembre 2021.

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme globale de 3000 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de l'article 1er du décret n° 2023-576 du 8 juillet 2023 portant interdiction de la vente, du port et du transport d'engins pyrotechniques et d'artifices de divertissement est suspendue en tant qu'il porte sur les articles pyrotechniques relevant des catégories F1, T1 et P1, ainsi que sur les artifices de divertissement des catégories F2 et F3 ne figurant pas sur la liste fixée par l'arrêté du 17 décembre 2021.

Article 2 : L'Etat versera aux sociétés requérantes la somme globale de 3000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Pyragric Industrie, première requérante dénommée pour l'ensemble des sociétés requérantes, ainsi qu'à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Fait à Paris, le 13 juillet 2023

signé : Alexandre Lallet


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 475817
Date de la décision : 13/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2023, n° 475817
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:475817.20230713
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